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Comment étudie-t-on le sommeil ?Savez-vous pourquoi et comment vous dormez ? Savez-vous combien de temps chaque nuit vous dormez profondément, vous rêvez, à quel moments et pourquoi vous vous agitez, à quel rythme se produisent vos alternances de sommeil lent et de sommeil paradoxal, pourquoi au moment de vous endormir, vous avez froid, et vous vous réveillez en ayant chaud, pourquoi le "coup de pompe" de onze heures du matin, ou l'envie de sieste de début d'après-midi ? Seriez-vous capables de dire de combien d'heures de sommeil vous avez besoin pour être en forme, et à combien de cycles nocturnes, et surtout à des cycles de quelle durée cela correspond ? Quelle est votre heure "naturelle", physiologique, d'endormissement et quels en sont les signes d'approche ? La manière de dormir, la durée totale nécessaire de sommeil, la durée de chaque cycle sont spécifiques à chaque individu, cérébralement programmées, sans doute génétiquement organisées, elles évoluent tout au long de notre vie, de la période foetale à la vieillesse. Or à des questions aussi simples concernant l'un des équilibres les plus précieux de notre vie, personne ou presque ne sait répondre. Il est frappant de découvrir que l'information sur le sommeil dans notre société est nulle. Ouvrez un livre de biologie des lycéens de terminale scientifique. Les programmes scolaires rendent nos adolescents incollables sur la digestion, la circulation sanguine, les mécanismes de la reproduction et la transmission des caractères héréditaires, le fonctionnement du système nerveux ou les échanges cellulaires, les moyens de défense contre les infections et les mécanismes des réactions immunitaires, voire la théorie de l'évolution et les différents types de microscopes ! Par contre rien, pas un mot, pas une ligne sur le sommeil. Comme si cette fonction était secondaire, sans intérêt. On devient bachelier, à l'heure actuelle en France, en ignorant totalement ce qui se passe dans notre organisme pendant plus d'un tiers du temps de notre vie... Curieuse carence de l'Education nationale dont personne ne se plaint! Personne ne se plaint, en fait, parce que personne ne connaît. Les médecins et pédiatres ignorent encore presque tout du sommeil de l'enfant normal, sur lequel les recherches fondamentales démarrent à peine. Rendez vous compte: d' Aristote à Piéron en 1913, seules quelques descriptions d'individus endormis avaient été possibles. Il a fallu attendre 1924, la découverte de l'électroencéphalographie par Hans Berger - EEG qui enregistre les faibles courants électriques émis par notre cerveau au cours de ses différentes activités, pour s'apercevoir qu'il existe une corrélation entre nos differents états de vigilance et certaines modifications de notre activité électrique cérébrale. Loomis aux États-Unis réalise en 1937 le premier enregistrement EEG nocturne de sommeil, mais c'est seulement vingt ans plus tard que débuteront les véritables études scientifiques des différents états de vigilance chez l'homme. En 1953, Aserinski et Kleitman découvrent le sommeil de rêve et sa traduction électrique; puis les travaux se succèdent: Dement en 1958 aux États-Unis sur le sommeil de l'adulte et Jouvet à Lyon en 1959 chez l'animal. Depuis cette époque, des dizaines de centres spécialisés pour l'étude du sommeil se sont ouverts, d'abord aux États-Unis, puis en Europe. Des milliers de tracés électroencéphalographiques ont été enregistrés, en très grande partie chez l'adulte jeune. Ces études ont permis de découvrir que notre sommeil est un état très complexe. Il ne s'agit pas du tout d'une mise en veilleuse de notre activité mentale et physique. Il s'agit d'un réel "état second", aussi varié et complexe à décrire que l'état de veille et où toutes nos fonctions biologiques sont modifiées. Bien sûr, l'activité électrique du cerveau est différente, spécifique des différentes phases du sommeil. Nous les décrirons longuement. Mais, et c'est là le point essentiel à réaliser, le sommeil est une période tout à fait particulière, où toutes nos autres caractéristiques biologiques vont se modifier rythmiquement: la température, le rythme cardiaque et le rythme respiratoire, la pression artérielle, le tonus musculaire, les sécrétions hormonales ont une histoire, une périodicité nocturne, que l'on peut enregistrer, mesurer, doser. Figure 1 : Caractéristiques du sommeil enregistré sur les tracés polygraphiques. Pour ce faire, les études du sommeil sont donc maintenant polygraphiques, c'est-à-dire que l'on enregistre simultanément l'activité électrique du cerveau (EEG), les mouvements des yeux (électro-oculogramme), le tonus musculaire (électromyogramme) au niveau des muscles du menton, l'activité cardiaque (électrocardiogramme), et la respiration. Tous ces éléments sont recueillis par des électrodes collées sur le cuir chevelu, de chaque côté des yeux, sur le menton et sur le thorax. Elles sont reliées par de longs fils à un appareil d'enregistrement sur lequel se déroulera à vitesse lente le tracé de sommeil. De plus, le sujet endormi est en permanence filmé par une caméra spéciale, même lorsque la chambre est éteinte, et tous les bruits sont captés par un système de micros. Le tracé est annoté de façon permanente, tout au long de l'enregistrement, par une personne de l'équipe medicale. Ces enregistrements sont peu gênants lorsqu'ils se limitent à ces paramètres. Mais l'étude de certaines pathologies du sommeil peut nécessiter des prélèvements plus traumatisants:
Figure 2 : Pause respiratoire centrale - pause respiratoire obstructive Tous ces enregistrements vont ensuite être lus par fragments de 30 secondes, période du tracé sur laquelle sera mis un code correspondant à un état de vigilance et à des événements particuliers. Actuellement, des programmes sur ordinateur permettent, à partir de ces codes, d'obtenir très rapidement les caractéristiques de la nuit de sommeil et le dessin de l'hypnogramme, c'est-à-dire le déroulement temporel de la nuit de sommeil, avec les différents niveaux de vigilance en fonction du temps. Figure 3 : Déroulement temporel d'une nuit de sommeil (hypnogramme) Les enregistrements polygraphiques de sommeil sont normalement réalisés dans des services spécialisés: en chambre-laboratoire d'un centre hospitalier. Le sujet étudié devra donc dormir à l'hôpital au moins une nuit, et souvent plusieurs, pour lui permettre de s'adapter à l'environnement nouveau, aux électrodes (on parle de nuits d'"habituation"), puis obtenir des enregistrements valables. Les protocoles d'étude du sommeil d'un sujet normal portent généralement sur l'analyse de 3 à 5 nuits d'enregistrement, mais, par exemple, l'étude chez l'adulte des effets d'un nouvel hypnotique peut comporter jusqu'à 45 nuits d'enregistrement chez un seul sujet! Les progrès actuels de l'informatique permettent depuis peu de réaliser des enregistrements polygraphiques dans une chambre banale d'hôpital et même à domicile, grâce à des enregistreurs miniaturisés de la taille d'un walkman, attachés à une ceinture, et qui permettent d'obtenir, sur cassette, 24 heures consécutives de tracés. Un système de lecture et de visualisation permet une lecture en temps différé et même une lecture rapide (24 minutes de lecture pour 24 heures d'enregistrement, par exemple). Une horloge permet une recherche rapide et une lecture en temps réel des événements intéressants. Déjà, les progrès informatiques laissent présager une analyse automatique des tracés polygraphiques. Ces analyses existent pour le rythme respiratoire et le rythme cardiaque, les enregistrements de sommeils normaux d'adultes; elles ne sont pas encore tout à fait au point pour l'étude du sommeil de l'enfant. Ces enregistrements polygraphiques de sommeil ont permis de connaître parfaitement notre sommeil d'adulte normal, puis progressivement d'adulte malade: malade de trop ou de ne pas assez dormir, souffrant de pauses respiratoires (apnées) au cours du sommeil, ou de maladies neurologiques dont les symptômes sont masqués le jour et n'apparaissent qu'au cours du sommeil. Depuis 1968, toutes ces études diniques et EEG de sommeil ont abouti à une classification et une codification internationales des états de vigilance en fonction des différents stades des tracés électriques d'encéphalogrammes. |