Ce livre a fait l'objet de nombreuses critiques, notamment de la
part de certains anthropologues. Il a pourtant un immense mérite
: il invite à un regard passionnant sur le monde grec; on
a beaucoup reproché à Dodds d'importer dans ce monde
des outils d'analyse adaptés en fait aux Occidentaux du XXe
siècle. On trouve en effet ici et là des interprétations
psychanalytiques assez anachroniques; cet inconvénient surmonté,
le livre de Dodds permet de comprendre que la pensée grecque
ne peut être réduite aux écrits philosophiques.
Dodds accorde une large part aux rêves. Les poèmes
homériques, écrits au VIIIe et VIIe siècles,
constituent le point de départ de l'analyse: on y trouve
de nombreux récits de rêves dans lesquels un personnage
nommé Oneiros, dieu ou héros mythique, entre dans
la chambre du dormeur et délivre un message. Plus l'homme
est important, plus le message aura valeur d'oracle. Dans
d'autres récits, le rêve est une vision qui nécessite
une interprétation. Comme la plupart des autres peuples,
les Grecs font une distinction entre ceux qui sont vrais et passent
par la " porte de corne " et ceux qui trompent et passent
par la " porte d'ivoire ".
Le rêve grec présente un caractère particulier:
il est " vu " par un donneur passif, alors que nous, Occidentaux
contemporains, " faisons " un rêve. Le rêve
homérique est envoyé au dormeur par un autre monde,
tout aussi objectif que celui de la veille, celui des dieux et des
héros; il est reçu comme un " présent
" et est en cela recherché. Dodds montre ensuite la
manière dont l'attitude des Grecs face au rêve se modifie
sous l'influence principalement des Scythes venus d'Asie centrale.
Leur conviction s'amplifie peu à peu - en raison de la culture
chamanique que les Scythes apportent en Thrace - que l'âme
est séparable du corps au moment de la mort et pendant le
sommeil: ses voyages d'alors correspondent au vécu onirique.
Les poèmes attribués au mythique Orphée propagent
cette conviction au VIe siècle et la mêlent à
celle, religieuse, de la Grèce classique. Le rêve devient
un voyage de l'âme vers le royaume des morts. Ces croyances
sont au moins aussi influentes dans la Grèce antique que
l'attitude rationnelle à l'égard du rêve, celle
d'Aristote par exemple qui fait du rêve prophétique
une simple coïncidence (symbolon) et se révèle
en cela presque trop " moderne " pour une civilisation
qui entretient avec le monde un rapport surnaturel.
Ce livre peut donner envie de lire : Homère :
L'Iliade et l'Odyssée, dans une de leurs nombreuses
éditions; Aristote: Parva Naturalia - Petits traités
d'histoire naturelle, Belles Lettres, Paris, 1965; La Vérité
des songes, De la divination dans le sommeil, traduit du grec
et présenté par Jackie Pigeaud, Rivages poche, Paris,
1995; et bien sûr les livres de J. -P. Vernant.
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