Ce classique de la littérature ethnologique est l'oeuvre
d'un philosophe qui s'intéresse à la science des moeurs
comme étude des comportements qui varient avec les époques
et les lieux. Lucien Lévy-Bruhl est convaincu de l'existence
díune différence irréductible entre l'esprit
de l'homme civilisé et celui de l'homme qu'il qualifie comme
ses contemporains de " primitif ". La " mentalité
" primitive se caractérise essentiellement par la croyance
en un monde non sensible, animé par les esprits des morts,
des animaux et des végétaux. Pour un primitif, ce
monde est réel, inextricablement mêlé au monde
sensible.
La Mentalité primitive, composé de quatorze
chapitres, comporte deux parties: la première, théorique,
tente de caractériser, la mentalité primitive par
une conception mystique de la causalité. La seconde illustre
cette définition par l'absence de la pensée que nous
qualifions de logique et le recours à la magie. C'est dans
ce cadre que Levy-Bruhl consacre un chapitre aux rêves : dans
les sociétés archaïques, le rêve constitue
un voyage de l'âme pendant le sommeil; son absence provoque
une immobilité qui préfigure celle de la mort. Au
cours de ses voyages nocturnes, l'âme s'en va visiter le monde
invisible peuplé des ancêtres, des animaux, des forces
naturelles. Lucien Lévy-Bruhl rapporte de nombreux récits
(sans avoir toujours un regard suffisamment critique sur ses sources)
qui étayent la croyance selon laquelle ce qui est vécu
en rêve est véritable et aussi important que ce qui
est vécu en veille.
L'étude du rêve primitif montre le rôle social
de celui-ci : non seulement il met l'individu en relation avec le
monde non visible mais il assigne à chacun sa place; l'âme
du donneur est un fragment de l'âme tutélaire du groupe,
constitué de tout ce qui confère au groupe son identité.
L'ouvrage de Lucien Lévy-Bruhl a fait l'objet de critiques
(les premières venant de l'auteur lui-même) contre
sa conviction que la mentalité primitive ignorerait les principes
logiques. Mais ce livre est toujours un ouvrage de référence
et rapporte les récits de rêves sur lesquels se
sont fondées de nombreuses études ethnologiques.
Ce livre peut donner envie de lire: J. G. Frazer: Le
Rameau d'or, Robert Laffont, collection Bouquins, Paris, 1981
(1ère édition: 1890), un grand classique de la littérature
ethnologique; Mircea Eliade: Mythes, rêves et mystères,
Gallimard, Paris, 1957. Il faudrait lire aussi les textes recueillis
par Roger Caillois dans Le Rêve et les sociétés
humaines, Gallimard, Paris, 1967... dont on attend la réimpression.
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