|
||||||||||
|
IntroductionLa génétique est devenue la science du polymorphisme et donc de l'individualité. Elle commence à s'intéresser au cerveau. Les différences de comportement ou de capacités d'apprentissage chez des souches consanguines de souris sont bien connues (Bovet, Bovet-Nitti, & Oliverio, 1969). Il semble exister cependant une certaine résistance dans quelques milieux scientifiques (Lewontin, Rose, & Kamin, 1984) pour admettre l'intervention d'une contribution génétique qui puisse expliquer les différences psychologiques dans l'espèce humaine. Bien sûr, l'individuation psychologique relève de deux sources inextricablement mêlées et difficiles à distinguer sur le plan biologique et expérimental: la source génétique et la source épigénétique. L'une des meilleures méthodes permettant de mesurer l'impact de la source génétique est l'étude des jumeaux homozygotes ou hétérozygotes, soit élevés ensemble, soit séparés très tôt après la naissance et élevés dans des milieux différents. La rareté de telles observations explique pourquoi il n'y a eu que relativement peu de publications sur ce sujet (Bouchard, 1984;Helden, 1980). Cependant, une étude récente résumant un travail considérable, vient de paraître (Bouchard, Lykken, McGue, Segal, & Tellegen, 1990). Depuis 1979, l'étude de 100 paires de jumeaux monozygotes et hétérozygotes, soit séparés à la naissance et élevés séparément, soit élevés ensemble, a été effectuée. Ces jumeaux ont été soumis pendant 1 semaine, à l'Université du Minnesota, à des tests psychologiques et physiologiques. Les résultats ont révélé que 70% environ de la variance du quotient intellectuel étaient sous la dépendance de facteurs génétiques. Les tests de la personnalité, du tempérament, des habitudes au cours du travail, des loisirs et des attitudes sociales ont mis en évidence une très grande similarité entre les jumeaux monozygotes élevés séparément et ceux qui étaient élevés ensemble. L'exemple suivant, que nous empruntons à Bouchard (1984; Helden, 1980), permet d'illustrer, sans doute sur deux cas exceptionnels, le sujet de notre exposé, c'est-à-dire le déterminisme génétique de l'individuation psychologique. Les jumeaux Jim furent élevés dès leur première enfance dans des familles différentes du Middle West américain. Ils ne se rencontrèrent que 39 ans plus tard, à l'Université du Minnesota où ils furent étudiés par Bouchard. Il apparaît normal que leur histoire somatique ou pathologique fût similaire. Ils avaient chacun des hémorroides. Leur fréquence cardiaque, leur tension artérielle, leur électroencéphalogramme et l'allure de leurs tracés polygraphiques de sommeil étaient identiques. Ils avaient engraissé inexplicablement de 5 kg à la même époque et souffraient de migraines depuis l'âge de 18 ans. Plus surprenant, sans doute, est l'histoire de leurs vies affectives car elles semblent avoir emprunté le même chemin. Ils divorcèrent chacun d'une première femme, appelée Linda, et se remarièrent chacun avec une femme appelée Betty. Ils avaient baptisé chacun leur chien Toy et leur fils James Allan et James Alan respectivement. Ils occupaient tous deux leurs loisirs par de la menuiserie et ils rongeaient chacun leurs ongles. Nul ne s'étonne de la ressemblance physique des jumeaux ou de traits physiques caractéristiques dans certaines familles royales. Le nez des Bourbons est célèbre. Les programmes du DNA et la division des cellules épithéliales permettent de l'expliquer. Il en est, sans doute, ainsi de l'histoire pathologique des jumeaux puisqu'ils possédaient le même capItal. d'enzymes et d'erreurs de métabolisme. Mais comment expliquer l'hérédité psychologique, celle qui est responsable des réactions idiosyncrasiques identiques de jumeaux soumis à des environnements différents pendant toute leur vie ? Si les cellules nerveuses continuaient à se diviser comrne la quasi totalité des cellules de l'organisme, on pourrait supposer que le programme contenu dans le DNA puisse préserver et transmettre chez chaque jumeau, grâce à une neurogenèse continue, un patrimoine héréditaire psychologique identique. Cependant, les neurones du système nerveux central ne se divisent pas, à quelques exceptions près (voir plus loin). Le mécanisme responsable du nez des Bourbons est donc absent au niveau des neurones. Faut-il alors admettre que le programme génétique mis en jeu au cours de l'ontogenèse pendant le développement pré- et post natal soit responsable, une fois pour toutes, des innombrables et subtiles connexions interneuronales qui seront, toute une vie, responsable de tel ou tel trait de caractère. Cette hypothèse est improbable. D'une part, la programmation génétique des milliers de milliards de connexions synaptiques nécessiterait un nombre de gênes bien supérieur à celui qui existe dans le génome. D'autre part, les influences de l'environnement finiraient par altérer définitivement ces connexions. Les neurones sont en effet doués d'une extraordinaire plasticité. Ainsi, pendant la période foetale, l'exposition à certaines drogues ou hormones peut modifier le comportement pendant la vie entière chez le rat (Campbell & Zimmermann, 1982). L'élevage de souris dans l'obscurité peut altérer définitivement l'architectonie de la couche externe du cortex visuel et la suture des paupières d'un oeil chez le chaton provoque une déconnexion des afférences visuelles vers le cortex occipItal. (voir revue dans Horn, Rose, & Bateson, 1973). La liste des modifications anatomiques et biochimiques cérébrales, entraînées par l'environnement interne ou externe, s'allonge chaque jour et il est devenu évident que les connexions interneurales peuvent être modifiées par l'expérience. Comment expliquer alors la conservation de certains traits invariants de la personnalité chez des jumeaux soumis depuis la naissance et pendant plusieurs dizaines d'années à un environnement et à des expériences différents qui se sont imprimés sur leur système nerveux en y laissant des modifications différentes ? L'apprentissage nécessite la répétition prolongée des stimuli épigénétiques afin d'établir les bases morphologiques et biochimiques de nouvelles connexions. Pourquoi ne pas concevoir alors que certains programmes génétiques ne puissent être renforcés périodiquement (programmation itérative) afin d'établir et de maintenir fonctionnels les circuits synaptiques responsables de l'hérédité psychologique? Ce mécanisme pourrait ainsi interagir avec l'environnement en rétablissant certains circuits qui auraient pu être altérés par les événements épigénétiques ou, au contraire, en supprimant d'autres. La réponse à cette question n'est évidemment pas facile à obtenir chez l'homme. La génétique du comportement (chez des souris de souches consanguines) permettrait peut-être un début de réponse. On sait que la variance (theta) des différences interindividuelles, ou phénotypiques (P), de comportement peut théoriquement s'exprimer de la façon suivante: thetaP2 = thetaG2 + thetaE2 + thetaI2. G représente l'hérédité, E l'environnement et I leur interaction (Hirsch, 1962). Si une programmation génétique itérative (G') existe, la formule devient thetaP2 = thetaG2 + thetaG 2 + thetaE2 + thetal2. Si l'on a affaire à une population génétique hétérogène, la suppression de G' chez un individu risque d'être impossible à vérifier puisque le concept d'individu moyen (average individual) est un mythe. Pour cette raison, il devrait être plus facile d'apprécier les effets de G ' chez différentes souches génétiquement pures. Dans ce cas la suppression de G' devrait diminuer la variance phénotypique de comportement qui existe entre les deux populations. Dans les chapitres suivants nous résumerons les faits expérimentaux qui sont en faveur de l'hypothèse qu'une programmation génétique cérébrale survient au cours du sommeil paradoxal (SP). Pour faciliter cet exposé, un modèle théorique de programmation génétique du cerveau sera d'abord résumé. Ce modèle suppose une organisation synchronique (les modalités d'organisation interne des mécanismes). Il suppose également une organisation diachronique: les modalités d'organisation temporelle de cette programmation en relation avec l'histoire de l'individu, c'est-à dire avec les événements épigénétiques. La théorie que nous résumons dans cet article est construite à partir d'hypothèses déjà publiées (Jouvet, 1978, 1980, 1986). Elle a été aussi élaborée grâce aux critiques de Debru (1990). |
REFERENCES |
|