Le sommeil paradoxal : Est-il le gardien de l'individuation psychologique ?
Michel Jouvet
Revue Canadienne de Psychologie, 1991, 45(2), 148-168

Résumé

Le cerveau est le seul organe de l'organisme des homéothermes adultes dont les cellules ne se divisent pas. Il faut donc expliquer comment certains aspects de l'hérédité psychologique (qui sont parfois mis en évidence de façon spectaculaire chez des jumeaux homozygotes élevés dans des milieux différents) peuvent persister pendant toute une vie (individuation psychologique). Une programmation génétique définitive au cours de l'ontogenèse (par neurogenèse) est improbable du fait de la plasticité du système nerveux. C'est pourquoi il faut envisager la possibilité d'une programmation génétique itérative. Les mécanismes internes (synchroniques) du sommeil paradoxal (SP) sont particulièrement adaptés à une telle programmation. Celle-ci mettrait en jeu un système endogène de stimulation qui viendrait activer et stabiliser des récepteurs génétiquement programmés par le DNA de certains circuits de neurones. L'excitation de ces neurones au cours du SP se traduit par des comportements oniriques qui peuvent être dévoilés expérimentalement. Les répertoires de ces comportements sont spécifiques à chaque individu et des données indirectes sont en faveur d'une composante génétique de cette programmation. Parmi les mécanismes qui permettent la programmation itérative du SP, une importance particulière est donnée au sommeil. La sécurité - et donc l'absence de mise en jeu du système d'éveil - est une condition indispensable à la mise en jeu de la programmation génétique. En ce sens, le sommeil apparaît bien comme le gardien du rêve. D'autre part, le sommeil semble être indispensable à l'accumulation des réserves énergétiques qui sont utilisées par les mécanismes cholinergiques du SP.

Les modalités temporelles du SP (organisation diachronique) sont également discutées en rapport avec la phylogenèse. Ainsi, l'absence de SP chez les poïkilothermes est expliquée par la présence d'une neurogenèse continuelle chez l'adulte. Au cours de l'ontontogenèse des mammifères, un stade de programmation par neurogenèse (sommeil sismique) précède l'apparition du SP tant que le système de programmation n'est pas fonctionnel. La présence, ou l'absence, de rebond après privation de SP est interprétée en fonction de l'existence, ou non, de stress au cours de la suppression de SP. Une explication est proposée pour expliquer l'absence d'effets spécifiques de la privation de SP chez l'homme. De même que la variabilité intraspécifique somatique est l'une des conditions de l'évolution, il est proposé que l'une des fonctions du SP est d'entretenir la variabilité psychologique au sein d'une population.

Abstract

The brain is the sole organ of homeotherms that do not undergo cell division. We thus have to explain how certain aspects of psychological heredity (found in homozygotes twins raised in different surroundings) may persist for a whole life (psychological individuation). A definitive genetic programming during development (by neurogenesis) is unlikely due to the plasticity of the nervous system. That's why we have to consider the possibility of an iterative genetic programming. The internal mechanisms (synchronous) of paradoxical sleep (SP) are particularly adapted to such programming. This would activate an endogenous system of stimulation that would stimulate and stabilize receptors genetically programmed by DNA in some neuronal circuits. The excitation of these neurons during SP leads to oniric behaviours that could be experimentally revealed - the lists of these behaviours are specific to each individual and indirect data suggest a genetic component of this programming. Amongst the mechanisms allowing the iterative programming of SP, sleep is particularly important. Security - and hence the inhibition of the arousal system - is a sine qua non condition for genetic programming to take place. In that sense, sleep could very well be the guardian of dreaming. On the other hand, sleep seems to be necessary for the accumulation of energetic resources used by the cholinergic mechanisms of SP.

The temporal modalities of SP (diachronic organization) are also discussed in relation to phylogenesis. Thus, the absence of SP in poikilotherms is explained by a continual neurogenesis in the adult. During ontogenesis in mammals, a stage of programming by neurogenesis (seismic sleep) precedes the appearance of SP so long as the programming system isn't functional. The presence, or absence, of rebound after SP deprivation is interpreted in terms of the existence, or non existence, of stress during SP suppression. An explanation is proposed to account for the absence of specific effects of SP deprivation in humans. In the same way somatic intraspecific variability is one of the conditions of evolution, it is proposed that one of the functions of SP is to maintain psychological variability in a given population.

Introduction

La génétique est devenue la science du polymorphisme et donc de l'individualité. Elle commence à s'intéresser au cerveau. Les différences de comportement ou de capacités d'apprentissage chez des souches consanguines de souris sont bien connues (Bovet, Bovet-Nitti, & Oliverio, 1969). Il semble exister cependant une certaine résistance dans quelques milieux scientifiques (Lewontin, Rose, & Kamin, 1984) pour admettre l'intervention d'une contribution génétique qui puisse expliquer les différences psychologiques dans l'espèce humaine. Bien sûr, l'individuation psychologique relève de deux sources inextricablement mêlées et difficiles à distinguer sur le plan biologique et expérimental: la source génétique et la source épigénétique.

L'une des meilleures méthodes permettant de mesurer l'impact de la source génétique est l'étude des jumeaux homozygotes ou hétérozygotes, soit élevés ensemble, soit séparés très tôt après la naissance et élevés dans des milieux différents. La rareté de telles observations explique pourquoi il n'y a eu que relativement peu de publications sur ce sujet (Bouchard, 1984;Helden, 1980). Cependant, une étude récente résumant un travail considérable, vient de paraître (Bouchard, Lykken, McGue, Segal, & Tellegen, 1990). Depuis 1979, l'étude de 100 paires de jumeaux monozygotes et hétérozygotes, soit séparés à la naissance et élevés séparément, soit élevés ensemble, a été effectuée. Ces jumeaux ont été soumis pendant 1 semaine, à l'Université du Minnesota, à des tests psychologiques et physiologiques. Les résultats ont révélé que 70% environ de la variance du quotient intellectuel étaient sous la dépendance de facteurs génétiques. Les tests de la personnalité, du tempérament, des habitudes au cours du travail, des loisirs et des attitudes sociales ont mis en évidence une très grande similarité entre les jumeaux monozygotes élevés séparément et ceux qui étaient élevés ensemble.

L'exemple suivant, que nous empruntons à Bouchard (1984; Helden, 1980), permet d'illustrer, sans doute sur deux cas exceptionnels, le sujet de notre exposé, c'est-à-dire le déterminisme génétique de l'individuation psychologique. Les jumeaux Jim furent élevés dès leur première enfance dans des familles différentes du Middle West américain.

Ils ne se rencontrèrent que 39 ans plus tard, à l'Université du Minnesota où ils furent étudiés par Bouchard. Il apparaît normal que leur histoire somatique ou pathologique fût similaire. Ils avaient chacun des hémorroides. Leur fréquence cardiaque, leur tension artérielle, leur électroencéphalogramme et l'allure de leurs tracés polygraphiques de sommeil étaient identiques. Ils avaient engraissé inexplicablement de 5 kg à la même époque et souffraient de migraines depuis l'âge de 18 ans. Plus surprenant, sans doute, est l'histoire de leurs vies affectives car elles semblent avoir emprunté le même chemin. Ils divorcèrent chacun d'une première femme, appelée Linda, et se remarièrent chacun avec une femme appelée Betty. Ils avaient baptisé chacun leur chien Toy et leur fils James Allan et James Alan respectivement. Ils occupaient tous deux leurs loisirs par de la menuiserie et ils rongeaient chacun leurs ongles.

Nul ne s'étonne de la ressemblance physique des jumeaux ou de traits physiques caractéristiques dans certaines familles royales. Le nez des Bourbons est célèbre. Les programmes du DNA et la division des cellules épithéliales permettent de l'expliquer. Il en est, sans doute, ainsi de l'histoire pathologique des jumeaux puisqu'ils possédaient le même capItal. d'enzymes et d'erreurs de métabolisme.

Mais comment expliquer l'hérédité psychologique, celle qui est responsable des réactions idiosyncrasiques identiques de jumeaux soumis à des environnements différents pendant toute leur vie ? Si les cellules nerveuses continuaient à se diviser comrne la quasi totalité des cellules de l'organisme, on pourrait supposer que le programme contenu dans le DNA puisse préserver et transmettre chez chaque jumeau, grâce à une neurogenèse continue, un patrimoine héréditaire psychologique identique. Cependant, les neurones du système nerveux central ne se divisent pas, à quelques exceptions près (voir plus loin). Le mécanisme responsable du nez des Bourbons est donc absent au niveau des neurones. Faut-il alors admettre que le programme génétique mis en jeu au cours de l'ontogenèse pendant le développement pré- et post natal soit responsable, une fois pour toutes, des innombrables et subtiles connexions interneuronales qui seront, toute une vie, responsable de tel ou tel trait de caractère. Cette hypothèse est improbable. D'une part, la programmation génétique des milliers de milliards de connexions synaptiques nécessiterait un nombre de gênes bien supérieur à celui qui existe dans le génome. D'autre part, les influences de l'environnement finiraient par altérer définitivement ces connexions. Les neurones sont en effet doués d'une extraordinaire plasticité. Ainsi, pendant la période foetale, l'exposition à certaines drogues ou hormones peut modifier le comportement pendant la vie entière chez le rat (Campbell & Zimmermann, 1982). L'élevage de souris dans l'obscurité peut altérer définitivement l'architectonie de la couche externe du cortex visuel et la suture des paupières d'un oeil chez le chaton provoque une déconnexion des afférences visuelles vers le cortex occipItal. (voir revue dans Horn, Rose, & Bateson, 1973). La liste des modifications anatomiques et biochimiques cérébrales, entraînées par l'environnement interne ou externe, s'allonge chaque jour et il est devenu évident que les connexions interneurales peuvent être modifiées par l'expérience. Comment expliquer alors la conservation de certains traits invariants de la personnalité chez des jumeaux soumis depuis la naissance et pendant plusieurs dizaines d'années à un environnement et à des expériences différents qui se sont imprimés sur leur système nerveux en y laissant des modifications différentes ? L'apprentissage nécessite la répétition prolongée des stimuli épigénétiques afin d'établir les bases morphologiques et biochimiques de nouvelles connexions. Pourquoi ne pas concevoir alors que certains programmes génétiques ne puissent être renforcés périodiquement (programmation itérative) afin d'établir et de maintenir fonctionnels les circuits synaptiques responsables de l'hérédité psychologique? Ce mécanisme pourrait ainsi interagir avec l'environnement en rétablissant certains circuits qui auraient pu être altérés par les événements épigénétiques ou, au contraire, en supprimant d'autres.

La réponse à cette question n'est évidemment pas facile à obtenir chez l'homme. La génétique du comportement (chez des souris de souches consanguines) permettrait peut-être un début de réponse. On sait que la variance (theta) des différences interindividuelles, ou phénotypiques (P), de comportement peut théoriquement s'exprimer de la façon suivante: thetaP2 = thetaG2 + thetaE2 + thetaI2. G représente l'hérédité, E l'environnement et I leur interaction (Hirsch, 1962). Si une programmation génétique itérative (G') existe, la formule devient thetaP2 = thetaG2 + thetaG 2 + thetaE2 + thetal2. Si l'on a affaire à une population génétique hétérogène, la suppression de G' chez un individu risque d'être impossible à vérifier puisque le concept d'individu moyen (average individual) est un mythe. Pour cette raison, il devrait être plus facile d'apprécier les effets de G ' chez différentes souches génétiquement pures. Dans ce cas la suppression de G' devrait diminuer la variance phénotypique de comportement qui existe entre les deux populations.

Dans les chapitres suivants nous résumerons les faits expérimentaux qui sont en faveur de l'hypothèse qu'une programmation génétique cérébrale survient au cours du sommeil paradoxal (SP). Pour faciliter cet exposé, un modèle théorique de programmation génétique du cerveau sera d'abord résumé. Ce modèle suppose une organisation synchronique (les modalités d'organisation interne des mécanismes). Il suppose également une organisation diachronique: les modalités d'organisation temporelle de cette programmation en relation avec l'histoire de l'individu, c'est-à dire avec les événements épigénétiques.

La théorie que nous résumons dans cet article est construite à partir d'hypothèses déjà publiées (Jouvet, 1978, 1980, 1986). Elle a été aussi élaborée grâce aux critiques de Debru (1990).

Modalités synchroniques

Les modalités théoriques d'une programmation génétique du système nerveux central

Neurogenèse : Il est évident qu'au cours de l'ontogenèse, la neurogenèse en contribuant à l'organisation génétiquement programmée du système nerveux central est la gardienne de l'individuation. Ainsi, une neurogenèse qui persisterait au cours de la vie adulte pourrait continuer à assurer cette fonction.

Chez les poissons, amphibiens et reptiles (poïkilothermes ou ectothermes), il existe une croissance continue du cerveau pendant toute la vie. Celle-ci est assurée par une neurogenèse continuelle au cours de la vie post-natale (voir revue in Holder & Clarke, 1988). Ainsi, chez les poissons, il peut exister un remplacement continuel de certaines cellules olfactives dont les axones vont rejoindre les neurones centraux. Cette neurogenèse contribue à garder l'information de l'imprinting pendant toute une vie en permettant le homing du saumon (Hasler & Scholz, 1983). Chez les amphibiens, une neurogenèse continuelle peut exister également au niveau du système rétinotectal. Chez les reptiles (lézards), une neurogenèse post-natale a également été démontrée au niveau du cortex cérébral (Lopez-Garcia, Molowny, Garcia-Verdugo, & Ferrer, 1988). Il semble exister enfin une corrélation entre l'existence d'une neurogenèse continuelle et la faculté de régénérescence du système nerveux puisque la moelle épinière caudale peut entièrement être reconstituée à partir de cellules périépendymaires chez les amniotes (Holder & Clarke, 1988).

L'apparition de l'homéothermie, en permettant une liberté plus grande par rapport aux conditions thermiques de l'environnement, s'est accompagnée d'une diminution considérable des capacités de neurogenèse post-natale. Les oiseaux semblent représenter une étape transitionnelle: le cerveau des oiseaux possède en effet des similarités importantes avec celui des poissons, amphibiens et reptiles (voir revue dans Konishi, Emlen, Ricklefs, & Wingfield, 1989). De nouveaux neurones peuvent apparaître au niveau du cerveau antérieur des oiseaux adultes. Ils effectuent une migration depuis leur lieu de naissance juxtraventriculaire jusqu'à leur destination en glissant sur la piste des cellules gliales radiées (comme chez les ectotherrnes). Dans certains cas, ces nouveaux neurones peuvent être incorporés dans des circuits fonctionnels (par exemple le système responsable du chant chez le canari ou le pinson (Zebra Finch) (Nordeen & Nordeen, 1990; Paton & Nottebohm, 1984). Il semble que ces processus de neurogenèse adulte apparaissent de façon saisonnière en relation avec les stéroïdes sexuels. Ainsi, il peut exister chez les oiseaux des possibilités de neurogenèse adulte qui pourraient contribuer à entretenir une programmation génétique.

Par contre, ces phénomènes n'existent pas chez les mammiferes chez qui toute neurogenèse disparaît rapidement au cours du mois qui suit la naissance. Au lieu d'une neurogenèse, c'est au contraire une régression qui apparaît avec la mort des périkaryas et la rétraction des axones au cours de la vie adulte. Cet aspect régressif s'accompagne également d'une diminution considérable des capacités de régénérescence des neurones centraux (voir revue dans Oppenheim, 1985). Seuls les neurones olfactifs sont continuellement remplacés au cours de toute la vie (voir références dans Farbman, 1990). Les pistes des cellules gliales radiées qui assurent la migration des neurones au cours de l'ontogenèse disparaissent également chez les mammifères.

En conclusion, une conservation de l'individuation génétique par neurogenèse permanente chez l'adulte semble probable chez les ectothermes (poissons, amphibiens et reptiles). Elle est également possible, mais saisonnière, chez certains oiseaux adultes. Elle est totalement impossible chez les mammifères après la période post natale. Il faut donc supposer qu'un nouveau mode de programmation génétique soit apparu avec l'homéothermie.

La programmation itérative: La programmation des circuits responsables de l'idiosyncrasie héréditaire ne nécessite pas, en effet, l'apparition de nouveaux neurones par neurogenèse. Les périkaryas contiennent le DNA nécessaire à la synthèse des molécules qui sont incorporées dans les membranes comme récepteurs. On peut ainsi émettre l'hypothèse que certains types de neurones, qui apparaissent tardivement au cours de l'ontogenèse (comme les neurones Golgi de type II de Jacobson, 1970), puissent synthétiser continuellement des récepteurs. Ces récepteurs labiles ne deviendraient fonctionnels que s'ils étaient excités (stabilisés) par des excitations endogènes.

Il faut alors présumer qu'il existe un générateur endogène qui soit responsable de la validation de ces récepteurs selon le même mécanisme utilisé par les stimuli épigénétiques pour maintenir fonctionnelle la voie visuelle par exemple. Il n'est pas besoin d'admettre la nécessité d'un codage temporel d'influx à partir du générateur pour instruire l'entretien et la validation des systèmes responsables des réactions idiosyncrasiques héréditaires (Hypothèse Instructive, Jouvet, 1978). Selon une hypothèse sélective plus simple (Jouvet, 1980, 1986), l'information de la programmation héréditaire dépendrait alors seulement de la sélection des neurones qui sont, ou ne sont pas, excités par une programmation endogène dont le codage peut être stochastique. D'après cette hypothèse sélective, un nombre limité de gênes pourrait contribuer à la programmation de l'hérédité psychologique en induisant à la fois la synthèse des récepteurs et l'arrivée des terminales présynaptiques issues du générateur au niveau de différents groupes d'interneurones (voir Fig. 1).

Modèle théorique de programmation génétique itérative au cours du sommeil paradoxal

(1) Un neurone B (Golgi type II) vient de synthétiser un récepteur qui est incorporé dans la membrane sous forme labile (hachures verticales).

(2) Au cours du SP, le système PGO (en haut à droite) stimule l'interneurones A, ce qui va exciter et stabiliser le récepteur du neurone B et le rendre fonctionnel (comportement onirique).

(3) Ce récepteur demeure fonctionnel pendant l'éveil qui fait suite au SP.

(4) Aussi long temps que le récepteur est fonctionnel, les stimuli de l'environnement (flèche ascendante) peuvent activer à la fois des réponses non spécifiques d'éveil (système C) et la réponse idiosyncrasique génétiquement programmée à partir de B. Si le SP est supprimé

(5) et qu'il n'existe plus d'activité PGO, le récepteur reste labile, non fonctionnel, et le neurone B n'est plus activé.

(6) Dans ce cas, le stimulus épigénétique ne sera plus capable d'entraîner de réponses idiosyncrasiques, mais seulement une réponse non spécifique. Le chloramphénicol pourrait inhiber la synthèse du récepteur B et ainsi découpler l'activité PGO des réponses unitaires du neurone B et de son expression motrice dans le comportement onirique (voir détail dans le texte; d'après JOUVET, 1980).


Les mécanismes et les conditions théoriques d'une programmation génétique itérative : Le générateur endogène doit pouvoir à la fois agir au niveau des systèmes perceptifs et des systèmes moteurs corticaux et sous-corticaux. Dans le premier cas, il pourrait être responsable de l'induction de perceptions sans objet ou d'hallucinations. Dans le deuxième cas, il doit induire la maintenance ou la facilitation des programmes de comportement responsables des réactions idiosynchrasiques individuelles ou éventuellement supprimer ou altérer certains programmes moteurs acquis au cours de l'apprentissage. Il apparaît donc nécessaire que l'excitation programmée puisse agir jusqu'au niveau des motoneurones ponto-bulbaires ou médullaires.

Les motoneurones étant soumis à l'influence d'une programmation endogène, deux conséquences devraient en découler:

(1) Il devrait être possible, dans certaines conditions, de distinguer une composante génétique dans les patterns d'activité des motoneurones qui sont directement, ou indirectement, sous le contrôle du générateur au cours de la programmation. Cette composante génétique traduirait la mise en jeu de différents groupes d'interneurones en réponse à l'arrivée des excitations stochastiques délivrées par le générateur endogène.

(2) Il devrait également exister certains mécanismes capables de supprimer l'activité musculaire au cours de la programmation du système moteur ou des systèmes perceptifs sinon l'organisme serait soumis à de possibles hallucinations ou à des comportements moteurs stéréotypés non contrôlés qui risqueraient d'être dangereux s'ils survenaient au cours de l'éveil ou du sommeil. Afin que la programmation génétique puisse survenir sans trop de bruit de fond et que le rapport signal sur bruit soit élevé, il faudrait également qu'il puisse exister des mécanismes de contrôle qui inhiberaient l'arrivée des influx sensoriels extérieurs ou internes. Ainsi, les processus d'intégration seraient facilités au niveau des systèmes programmés (comme cela se produit au cours de l'attention dans la vie éveillée).

Enfin, étant donné qu'au moment de la programmation génétique le cerveau ne peut recevoir et répondre aux stimuli extérieurs (et probablement à certains signaux internes), du fait de l'inhibition des afférences intéro- et extéroceptives et du blocage de l'activité musculaire, il devrait exister un mécanisme de protection qui permettrait à ce processus de ne survenir que lorsque l'organisme n'est plus soumis à des stimuli potentiellement dangereux, c'est-à-dire à un moment où les mécanismes d'éveil ne sont plus mis en jeu, c'est-à-dire au cours du sommeil.

Modalités diachroniques de la programmation itérative

La programmation génétique est évidemment prédominante au cours de l'ontogenèse, c'est-à-dire pendant la période d'organisation du système nerveux central par neurogenèse in utero ou in ovo. Ensuite, la durée de la programmation ne peut que diminuer car elle ne peut survenir qu'au cours du sommeil. On peut donc supposer que chez l'adulte il puisse exister un rapport entre la durée de la programmation et celle du sommeil.

On doit supposer que la programmation du système nerveux central nécessite et utilise une grande quantité d'énergie, au moins égale à celle qui est utilisée pendant l'éveil au cours de l'apprentissage. Des réserves énergétiques sont accumulées au cours du sommeil sous la forme d'une glycogénogenèse (Karnovsky, Reich, Anchors, & Burrows, 1983). Ces réserves pourraient procurer l'énergie nécessaire à la programmation. La meilleure solution serait alors de concevoir un fonctionnement périodique: chaque épisode de programmation serait suivi d'une période de renouvellement de réserve au cours du sommeil. Ainsi, la programmation itérative pourrait s'effectuer selon un mode périodique.

Afin d'être efficace, la programmation génétique périodique doit être en relation avec les stimuli épigénétiques qui ont excité le système nerveux central au cours de l'éveil précédent. C'est-à-dire qu'il devrait exister des mécanismes pouvant adapter la durée de la programmation à la quantité de stimuli, soit extérieurs, soit intérieurs (hormonaux), qui pourraient avoir induit des modifications épigénétiques au niveau des systèmes dépendant des synapses cibles de la programmation.

Cependant, la programmation génétique de la personnalité est aveugle sur le plan du destin de l'individu. Elle est la loi et n'a pas de raison de faciliter la trace de tous les événements qui ont excité le cerveau. Dans certains cas, sans doute, la programmation pourrait faciliter l'acquisition d'un apprentissage si celui-ci renforce certains traits idiosynchrasiques de la personnalité. Dans d'autres cas, il devrait n'avoir aucun effet ou même pourrait inhiber ou effacer certains circuits synaptiques épigénétiquement acquis si ceux-ci s'opposent à la typologie. Ce concept d'efface ment de certains circuits corticaux au cours du SP (Jouvet, 1980) a été particulière ment développé par Crick et Mitchinson (1983). Selon ces auteurs, la fonction du SP serait surtout de supprimer certaines modalités indésirables d'interaction au niveau du cortex. Ce processus, appelé reverse learning pourrait surtout servir à oublier: "we dream in order to forget". Ainsi, la suppression de la programmation génétique devrait soit supprimer, soit faciliter, ou n'avoir aucune action sur l'apprentissage. Par contre, on doit s'attendre à ce que cette suppression puisse altérer l'expression des comportements idiosynchrasiques et ainsi diminuer la variance phénotypique entre individus appartenant à des souches génétiques différentes au sein de la même espèce.

Les mécanismes du sommeil paradoxal sont-ils adaptés à la conservation de l'individuation du système nerveux central ? Les mécanismes du sommeil paradoxal sont-ils adaptés à la conservation de l'individuation du système nerveux central ?

Modalités synchroniques : Le système de programmation

Système ponto-géniculo-occipItal. (PGO): Les données expérimentales qui ont été recueillies depuis 30 ans chez re chat ont permis d'arriver au concept d'un système ponto-géniculo-occipItal. (PGO) dans lequel on peut recueillir au cours du SP des ondes lentes de haut voltage appelées activité PGO. L'organisation de ce système peut être résumée ainsi (voir revue in Sakai, 1980, 1985; Steriade & McCarley, 1990). L'activité PGO dépend d'un groupe de neurones situés dans la partie dorso-latérale de la formation réticulée pontique. Il existe ainsi deux générateurs bilatéraux et symétriques que l'on peut diviser en deux subsystèmes: le premier, en relation avec la partie rostrale du cerveau, serait situé dans la région du noyau parabrachialis lateralis et son extension rostrale en avant du brachium conjunctivum. Le second, dans la région du noyau de Kolliker-Fuse, serait responsable des mouvements des yeux au cours du SP.

Les générateurs, probablement cholinergiques, de l'activité PGO ressemblent beaucoup à des "pacemaker" automatiques car l'activité PGO peut encore être enregistrée de façon périodique au niveau du pont chez une préparation pontique chronique (Jouvet, 1962) ou même chez la préparation pont isolé (Matsuzaki, 1969).

Le système, qui conduit l'information PGO depuis le pont jusqu'au noyau genouillé latéral et aux différentes aires corticales, a été délimité: à partir de chaque générateur monte une voie ipsilatérale qui se termine soit au niveau du noyau géniculé latéral (en excitant des récepteurs nicotiniques), soit sur le cortex visuel. Cette voie croise la ligne médiane au niveau de la commissure suprachiasmatique pour gagner le noyau géniculé controlatéral (Laurent, Cespuglio, & Jouvet, 1974). Les aires corticales sont excitées par l'intermédiaire de relais situés au niveau des noyaux intralaminaires du thalamus. Le générateur pontique envoie également des influences excitatrices au niveau du système oculomoteur controlatéral (Cespuglio, Laurent, & Jouvet, 1975).

Les cibles de l'activité PGO et le couplage sélection-programmation. Des enregistrements par microélectrodes chroniques au cours du SP, en corrélation avec l'enregistrement des PGO, ont fourni des données concordantes concernant la plupart des structures corticales et sous-corticales. Ainsi, au niveau sous-cortical, la formation réticulée pontique, mésencéphalique, le noyau rouge, le système pyramidal, etc., présentent une activité unitaire en corrélation étroite avec l'activité PGO. Au niveau du cortex visuel du chat, 40% des neurones sont sous la dépendance directe, ou indirecte, de l'activité PGO (voir références dans Steriade & Hobson, 1976). Les interneurones Golgi type II apparaissent comme des cibles spécifiques de l'activité PGO au niveau du cortex. Ils sont, en effet, silencieux au cours de l'éveil, tandis qu'ils présentent une activité de haute fréquence, contemporaine de l'activité PGO (Steriade, 1978).

Programmation génétique des récepteurs post-synaptiques des cibles sélectives de l'activité PGO. Il n'existe encore aucune donnée directe concernant la possible synthèse de récepteurs avant le SP et leur possible stabilisation au cours de celui-ci. Certains résultats sont indirectement en faveur de l'existence d'une synthèse protéique dépendant du SP. D'une part, une protéine de poids moléculaire élevé apparaît dans le cerveau lorsque de SP est rétabli après injection de SHTP chez un animal rendu insomniaque par l'injection préalable de P.chlorophénylalanine (Bobillier, Froment, Seguin, & Jouvet, 1973). D'autre part, le chloramphénicol a une action inhibitrice remarquable sur le SP. Il le supprime à forte dose (Petitjean, Buda, Janin, David, & Jouvet, 1979), tandis qu'à faible dose, il provoque un découplage entre l'activité PGO issue du générateur pontique et les réponses multiunitaires post-synaptiques de nombreuses structures cérébrales (Drucker-Colin, Zamora, Bernal-Pedraza, & Sosa, 1979). Etant,donné que le chloramphénicol peut inhiber la synthèse de récepteurs post-synaptiques (Ramirez, 1973), il apparaît possible que le découplage observé (suppression ou diminution relative de l'activité unitaire en rapport avec l'activité PGO) soit dû à l'inhibition de la synthèse des récepteurs génétiquement programmés au niveau des &brkbar;llules cibles. En ce cas, en effet, l'activité PGO ne peut plus entraîner les systèmes neuronaux commandés par les interneurones. Elle n'est plus que du bruit sans signification envahissant un cerveau dépourvu des récepteurs capables de lui fournir un programme: un rêve vide.

Les aspects synchroniques de la programmation. Les patterns ou structures d'occurrence de l'activité PGO défient toute classification, bien qu'un modèle semi markovien ait été réalisé chez le chat par Chouvet (1981) 1 . Il n'est pas possible ici de s'étendre sur les difficultés et les résultats de ces analyses. Très brièvement, le codage de l'activité PGO semble être constitué par deux processus différents. Le processus primaire (PGO isolé) est soumis à une distribution de Poisson. II représenterait l'activité automatique du générateur pontique. Le processus secondaire est semi markovien. Il exprimerait la réponse d'interneurones du système oculo-moteur et contiendrait déjà une part de l'expression de la programmation génétique car il est dépendant du premier processus. Il est en effet possible de modifier considérable ment les patterns de l'activité PGO au cours du SP par décortication (Jouvet, 1962).

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Pour cette raison, il est plus facile d'étudier les aspects synchroniques de la programmation au niveau d'effecteurs mis en jeu par les récepteurs génétiquement programmés et excités par le processus stochastique primaire. Chez l'animal (ou l'homme), cela n'est possible qu'au niveau des mouvements oculaires (qui sont les seuls effecteurs moteurs non inhibés au cours du SP). Les résultats obtenus chez des souris de deux souches génétiquement pures (BALB/C et C57BR) révèlent des structures d'occurrence fort différentes, tandis que l'analyse des hybrides de la pre mière génération et les répartitions exprimées sur les croisements en retour (Back Cross) confirme l'existence d'un déterminisme génétique de type dominant pour la souche BR (Cespuglio, Musolino, Debilly, Jouvet, & Valatx, 1975; Chouvet, 1981). Chez deux sous-espèces de babouins (Papio Papio et Papio hamadryas), Ben (1975) a également décrit une organisation différente des patterns d'activité PGO. Enfin, chez l'homme, Chouvet, Blois, Debilly et Jouvet (1983) on observé des variations interindividuelles considérables dans l'organisation temporelle des mouvements oculaires du SP chez 10 hommes adultes jeunes non apparentés alors que chez six paires de jumeaux homozygotes l'organisation était similaire.

En résumé, les résultats de l'analyse des mouvements oculaires du SP chez des souches de souris génétiquement pures et chez des jumeaux homozygotes humains sont en faveur d'une composante génétique. Cependant, les modalités d'occurrence (patterns) des mouvements oculaires ne permettent pas de deviner le type de comportement qui est programmé au cours du SP.

C'est pourquoi l'étude de la réponse de tous les effecteurs moteurs, qui sont normalement paralysés au cours du SP, a été entreprise. La délimitation des systèmes responsables de l'inhibition motrice au cours du SP a permis ainsi d'étudier, chez le chat, la résultante motrice de la programmation au cours du SP qui s'extériorise au cours du comportement onirique.

Le comportement onirique. L'inhibition totale du tonus musculaire, qui survient au cours du SP, est due à un mécanisme inhibiteur commandé par la partie médiane du locus coeruleus alpha dans le tegmentum pontique dorso-latéral. Des influences des cendantes inhibitrices, agissant par le relais de la formation réticulée bulbaire (noyau magnocellulaire) descendent dans la moelle épinière. Elles sont responsables de l'inhi bition pré- et post-synaptique des motoneurones et entraînent une atonie généralisée (voir revue in Chase & Morales, 1985). C'est en supprimant l'inhibition du tonus musculaire, qui entre en jeu au cours du SP qu'il est devenu possible de répertorier l'éthologie du répertoire des comportements oniriques (Henley & Morrison, 1969; Jouvet & Delorme, 1965; Sastre & Jouvet, 1979) En effet, le locus coeruleus qui est responsable de l'inhibition du tonus musculairc a une localisation proche, mais différente, du génerateur des PGO. Il est ainsi possible de le détruire, par coagulation ou par la seule lésion des corps cellulaires grâce à l'injection in situ d'acide iboténique, chez le chat, sans altérer l'activité du géncrateur PGO. Ainsi, la destruction bilatérale du locus coeruleus alpha ou des voies qui en sont issues au niveau du pont est suivie par l'apparition de comportements moteurs stéréotypés au cours du SP. Alors qu'il n'y a aucune modification du comportement au cours de l'éveil, ou du sommeil à ondes lentes, le début du SP s'accompagne d'une augmentation du tonus musculaire: le chat endormi relève alors la tête. Il va suivre ensuite quelque object inconnu dans sa cage et pourra même l'attaquer. D'autres fois, il peut présenter des comportements de rage ou de fuite. Nous avons également observé des comportements de toilette ou d'absorption de liquide sur le plancher de la cage, mais nous n'avons pas encore observé de comportement sexuel chez les chats mâles ou femelles qui ont été opérés.

La durée de chaque épisode de comportement onirique est variable. Parfois, un chat peut s'éveiller à la suite d'un bond violent, mais nous avons observé des com portements de poursuite de proie imaginaire pendant plus de 3 min. Pendant ces épisodes, le chat, dont les pupilles sont en myosis et les membranes nictitantes relâchées, ne réagit pas aux stimuli visuels ou auditifs qui lui sont présentés; même affamé, il ignore, dans sa déambulation onirique, la viande que l'on met dans sa cage, pour la dévorer immédiatement lors de son réveil.

L'analyse éthologique de ces comportement n'a pas permis de retrouver d`enchaîne ment stéréotypé typique et invariant. Chaque animal possède son propre répertoire. Un chat présentera chaque jour 60% de comportement d'agression, alors que chez l'autre, ce comportement sera presque absent, tandis que le comportement de toilette (sans but décernable) l'emportera. La faim ou la soif n'augmente pas les quantités respectives de comportement d'attaque ou de boisson.

Il est fort probable que l'activité PGO soit à la base de ces comportements puisqu'elle est toujours présente, dans ses processus primaire et secondaire, mais sa complexité a défié tout essai de corrélation avec les différents répertoires. Le chloramphénicol, à faible dose, diminue considérablement les stéréotypes des comportements oniriques (Aguilar-Roblero, Aranowsky, Drucker-Colin, Morrison, & Bayon, 1984). Le chat reste immobile, figé dans un SP vide de rêves, tandis que l'activité PGO est constituée presque exclusivement par les processus primaires (PGO isolé) et que l'activité multiunitaire du tronc cérébral, résultant de l'excitation des récepteurs post-synaptiques, diminue considérablement.

En résumé, il est possible d'objectiver, au cours du SP chez le chat, des programmes de comportement spontané, indépendant de l'environnement. L'organisation de ces programmes est caractéristique de chaque animal. Ces programmes disparaissent par administration d'inhibiteurs de la synthèse protéique qui peuvent inhiber la synthèse de récepteurs post-synaptiques. Il n'est pas possible d'effectuer des expériences con cernant la génétique du comportement chez le chat, c'est pourquoi il faudra attendre la réalisation de comportements oniriques chez des souris appartenant à différentes souches génétiquement pures. On pourra peut-être alors deviner, en constatant les différences éventuelles de ces comportements dans chaque souche, leur répartition chez les hybrides et les croisements en retour, sur quels chromosomes se situent le ou les gênes qui sélectionnent les cibles de l'activité PGO.

Le contrôle des afférences ou cours du SP: Ce phénomène est bien connu et ne s'observe qu'au cours de l'attention (ou de la distraction au cours de l'éveil) et au cours du SP. Il disparaît au cours du sommeil lent. Une diminution des réponses évoquées thalamiques ou corticales a, en effet, été constatée au niveau des systèmes somesthésiques, auditifs et visuels (voir revue dans Pompeiano, 1970). ll est probable que ce contrôle centrifuge soit responsable de l'augmentation importante du seuil d'éveil observé au cours du SP. Le mécanisme intime de ce contrôle est encore inconnu. II ne peut donc pas être supprimé. Il est donc impossible de vérifier l'hypothèse du rapport signal-bruit que nous avons exposé plus haut. Par exemple, la suppression du contrôle centrifuge modifie-t-elle le processus secondaire de l'activité PGO et sa traduction au niveau des comportements oniriques ?

Le sommeil comme gardien et condition de l'apparition du sommeil paradoxal: S'endormir signifie pour un animal que certaines conditions éco-éthologiques ont été réalisées: absence de danger externe (prédateurs) ou internes (douleur), c'est-à dire absence de mise en jeu des systèmes d'éveil. Il existe ainsi une relation significative entre la quantité de SP (et donc du sommeil) et des facteurs de sécurité (Allison & Cicchetti, 1976). Le sommeil est donc le gardien du SP, un processus potentiellement dangereux pour la survie de l'individu du fait de l'augmentation du seuil d'éveil et de l'atonie des principaux muscles.

L'apparition circadienne du sommeil à ondes lentes signifie également que les con ditions d'environnement sont voisines de la neutralité thermique (27°C). Le méta bolisme basal est alors diminué et les processus mis en jeu au cours du sommeil lent vont progressivement diminuer la température cérébrale, la consommation de glucose et d'oxygène, tandis que des réserves énergétiques s'accumulent sous forme de glycogène au niveau des cellules gliales (voir revue dans Giuditta, 1984). En même temps, l'activité des systèmes d'éveil (histaminergiques, catécholaminergiques, sérotonergiques, etc.) va diminuer, préparant l'ensemble des conditions suffi santes à l'apparition du SP. Certaines de ces conditions semblent mettre en jeu des processus énergétiques.

Le SP s'accompagne, en effet, d'une consommation de glucose au moins égale à celle de l'éveil, comme l'ont révélé les études avec le déoxyglucose ou la caméra à positrons (Franck, Salmon, Poirier, Sadzot, & Franco, 1987; Ramm & Frost, 1983). Il est probable, bien que cela n'est pas encore été vérifié, qu'il existe égale ment une augmentation de la consommation d'oxygène. Le SP est en effet sélectivement supprimé par l'hypoxie (qui peut augmenter le sommeil lent et/ou l'éveil; Baker & McGinty, 1979). Ainsi, l'utilisation du glucose et donc du pyruvate s'effectue par la voie aérobie du cycle de Krebs. Or cette voie est nécessaire à la synthèse de l'acétylCoA indispensable à la synthèse de l'acétylcholine (voir Gibson & Shimada, 1980). Selon cette hypothèse, ce serait la pyruvate deshydrogénase (PDH) qui régulerait la synthèse de l'acétylcholine. Cette enzyme peut être périodiquement activée ou inactivée par le niveau du potentiel Redox et/ou par l'intermédiaire de différents peptides (prolactine, insuline, etc.; voir revue dans Wieland, 1983). La PDH pourrait alors jouer un rôle important, sans doute non exclusif, dans le déterminisme de la périodicité du SP. Il est intéressant de constater que les neurones cholinergiques du pont et du bulbe (dont certains sont responsables du SP) sont particulièrement riches en PDH (Milner, Aoki, Sheer, Blass, & Pickel, 1987).

En conclusion, le sommeil à ondes lentes prépare les conditions suffisantes à l'apparition du SP selon plusieurs modalités. Son apparition témoigne à la fois de l'absence d'excitation des systèmes d'éveil et d'une température ambiante proche de la neutralité permettant la réduction du métabolisme, de l'activité sympathique et de la température cérébrale ainsi que la constitution de réserves énergétiques. Ces processus apparaissent nécessaires à la mise en jeu des neurones cholinergiques ponto-bulbaires responsables du SP. Leur activation nécessite l'utilisation du pyruvate par la voie oxydative. Ainsi le SP serait dépendant d'un neurotransmetteur, l'acétylcholine, dont la synthèse apparaît la plus étroitement contrôlée par des facteurs énergétiques.

Modalités diachroniques du sommeil paradoxal

Les mécanismes du sommeil paradoxal sont-ils adaptés à la conservation de l'individuation du système nerveux central ?

Phylogenèse (voir revue dans Meddis, 1983): Il n'existe aucune preuve de l'existence de SP chez des vertébrés ectothermes (poissons, amphibiens ou reptiles) alors qu'il est facile de repérer l'alternance activité-repos chez les poissons et les amphibiens et des variations de l'activité électrique cérébrale au cours du sommeil comportemental des reptiles.

Ainsi, le SP ne semble pas exister chez les vertébrés ectothermes, chez lesquels il persiste une neurogenèse continuelle.

Le SP existe chez les oiseaux, sous forme de périodes très brèves (5 à 15 s), et il ne constitue que 3-5 % de la durée totale du sommeil. II n'existe pas encore d'étude du sommeil au cours des périodes saisonnières pendant lesquelles une neurogenèse peut exister chez le canari ou le pinson. L'extrême brièveté des épisodes de SP chez les oiseaux n'a pas encore reçu d'explication. Selon notre hypothèse, les oiseaux représenteraient une classe intermédiaire entre les ectothermes et les mammiferes, chez laquelle il pourrait coexister une programmation par neurogenèse et par le SP.

Le SP n'existerait pas chez les monotrèmes (ornithorynque et echidné), alors que le sommeil lent s'accompagne d'une relative hypothermie. II serait du plus haut intérêt de rechercher s'il existe une neurogenèse continuelle chez ces espèces.

Par contre, le SP existe chez tous les mammifères. Sa période ultradienne est étroitement corrélée avec le métabolisme et le poids du cerveau. La seule exception notable concerne les cétacés (dauphins) chez qui le SP n'a pas encore été mis en évidence (Mukhametov, 1984).

En résumé, bien que de nombreuses autres hypothèses soient possibles (voir discussion dans Meddis, 1983),l'évolution du SP au cours de la phylogenèse n'infirme pas l'hypothèse que cet état puisse représenter l'acquisition d'un nouveau mécanisme d'individuation lorsque disparaît la possibilité d'une neurogenèse continuelle.

Ontogenèse: Des enregistrement polygraphiques "in utero" chez des foetus de cobaye, ou en cours des 2 premières semaines après la naissance chez le raton ou le chaton, ont permis de découvrir un état appelé sommeil agité ou sommeil sismique. Cet état s'accompagne de secousses quasi permanentes des muscles du corps et n'entraîne pas de variations caractéristiques de l'activité corticale par rapport à l'éveil. Il est presque perpétuel lors des premiers jours n'a pas alors de périodicité évidente (Jouvet-Mounier, Astic, & Lacoste, 1970;Valatx, Jouvet-Mounier, & Jouvet, 1964). Ce n'est que vers la fin de la deuxième semaine que les signes polygraphiques typiques du SP apparaissent (activation corticale et atonie). La nature du sommeil sismique au cours des 10 premiers jours postnatals est encore discutée. S'agit-il déjà d'une forme primitive de SP ? Ou s'agit-il de la fin d'un état embryonnaire ?

Il semble que la deuxième interprétation soit la plus plausible et que le sommeil sismique accompagne la fin de la neurogenèse. L'apparition de l'activité PGO ne survient, en effet, au niveau thalamo-cortical qu'au cours de la troisième semaine chez le chaton (Adrien & Roffwarg, 1974). D'autre part, il est peu probable que les secousses musculaires du sommeil sismique puissent traduire l'activité du générateur ponto-bulbaire du SP. En effet, chez le raton, les secousses des pattes postérieures ne sont pas supprimées par une section totale de la moelle (Adrien, 1976, communication personnelle). En outre, il est quasiment impossible de supprimer le sommeil sismique chez le raton ou le chaton pendant la première semaine post natale par des chocs électriques, alors que cette méthode peut supprimer le SP après la deuxième semaine. Enfin, et surtout, les lésions du raphé, ou l'injection de P.chlorophénylalanine, ne suppriment pas le sommeil sismique au cours des 2 premières semaines, alors que ces interventions suppriment le SP (comme chez l'adulte) après la troisième semaine (Adrien, 1976). Il apparaît ainsi probable que le sommeil sismique traduise l'existence de mouvements spontanés, d'origine neurogénique (Hamburger, 1970). Ces mouvements, qui sont constatés chez les embryons de toute espèce, seraient contemporains de l'achèvement de la neurogenèse (voir discussion dans Corner, 1977). Lorsque celle-ci est achevée, au cours de la deuxième semaine, les structures aminergiques et cholinergiques du tronc cérébral et leurs projections thalamo-corticales s'organisent et le SP peut apparaître et constituer une proportion importante du sommeil (40%).

En résumé, chez le mammifère, l'ontogenèse pré- et post-natale semble s'accompagner de la transition, aux limites incertaines, entre la fin de la programmation génétique par neurogenèse du système nerveux central et l'apparition, d'abord progressive puis rapide, d'un nouveau mode de programmation effectuée par le SP.

La privation de sommeil et ses paradoxes: L'une des premières méthodes utilisées pour essayer de connaître la ou les fonctions du SP fût d'essayer de le supprimer par des méthodes instrumentales (Dement, 1960). Ces expériences ont mis en évidence le rebond de SP qui fait suite à sa privation sélective. Elles n'ont cependant pas permis de déceler des altérations spécifiques du comportement qui puissent être certainement attribuées à l'absence de SP.

Le rebond de sommeil paradoxal. Il est bien connu que la privation instrumentale du SP (par la méthode de la piscine, chez le rat ou chez le chat, ou en réveillant un sujet humain dès qu'il présente les premiers signes du SP) est suivie par les phénomènes suivants: D'une part, le besoin de SP, qui se traduit par l'apparition d'épisodes de SP de plus en plus fréquente (presque chaque minute après une privation de SP de 24 hr chez le chat). D'autre part, le rebond, c'est-à-dire une augmentation relative de la quantité de SP après l'arrêt de la privation. La durée du rebond est proportionnelle à la durée de la suppression et tend à rembourser en partie (50-80%) la dette de SP qui a été contactée pendant la suppression.

Le phénomène du rebond fut d'abord expliqué par l'hypothèse de l'accumulation de facteur(s) onirogène(s) au cours de la privation. Ceux-ci seraient alors responsables de la pression accrue du SP avant d'être ensuite utilisés au cours du rebond (Dement, 1972; Jouvet, 1983). Cette hypothèse a conduit à rechercher dans le cerveau, ou le liquide céphalo-rachidien, des peptides onirogènes. Malgré la multiplicité de facteurs augmentant le sommeil, aucun facteur spécifique, responsable du SP, n'a encore été isolé (voir revue dans Borbely & Tobler, 1989).

L'hypothèse suivant apparaît plus vraisemblable pour expliquer le rebond de SP: Celui-ci ne serait pas provoqué par la suppression du SP mais par le stress, ou le strain, de la privation qui déclencherait la libération de facteurs hypothalamiques et/ou hypophysaires. Cette hypothèse repose sur les résultats expérimentaux suivants:

  • (a) la privation instrumentale, ou pharmacologique, du SP n'est pas suivie de rebond chez certaines souches de souris (BALB/C) (Kitahama & Valatx, 1980);
  • (b) la privation de SP par des méthodes non agressives (en caressant le chat au début de chaque épisode) n'est pas suivie de rebond (Oniani, 1988);
  • (c) le stress d'une immobilisation de 1 hr est suivi, chez le rat, par une augmentation importante du SP (Rampin, Cespuglio, Chastrette, & Jouvet);
  • (d) l'élimination des systèmes effecteurs du stress supprime le rebond;
  • (e) la lésion du noyau arqué, associée à une hypophysectomie, supprime le rebond de SP chez le rat tandis que la lésion isolée du noyau arqué ou l'hypophysectomie ne le supprime pas (Zhang, Valatx, & Jouvet, 1987); et
  • (f) la privation du SP par chocs électriques chez le chat pontique (avec îlot hypothalamo-hypophysaire déconnecté du tronc cérébral) n'est jamais suivie de rebond (Jouvet, 1962).

Il est ainsi fort probable que seules les situations expérimentales capables d'entraîner une forme particulière de stress que l'on pourrait baptiser le strain soient responsables du rebond. Celui-ci serait induit soit par l'intermédiaire de facteurs hypothalamiques issus du noyau arqué (par exemple des peptides dépendant de la pro-opio mélano-cortine comme le Clip; Chastrette & Cespuglio, 1985), soit par l'intermédiaire direct, ou indirect, de facteurs hypophysaires encore inconnus. On peut ainsi supposer que le strain de la privation instrumentale de SP puisse induire d'importantes altérations au niveau de certains systèmes néo- ou paléocorticaux. Ceux-ci, à leur tour, peuvent contrôler les mécanismes hypothalamiques ou hypophysaires du stress. Il a été en effet démontré que des stress neuroniques (bruit blanc ou flashes de lumière) n'entraînaient pas de libération des facteurs hypothalamo-hypophysaires du stress si l'aire corticale intéressée est enlevée (Feldman & Conforti, 1985).

Il apparaît donc possible que le rebond de SP soit un mécanisme cérébrostasique destiné à rétablir les circuits corticaux altérés par des situations de contrainte imposées à l'organisme et donc non gratifiantes.

A cette situation de stress ou de contrainte, qui provoque une augmentation compensatrice du SP, il est devenu possible récemment de confronter les résultats inverses obtenus dans des conditions opposées.

Lorsqu'un rat peut choisir lui-même des stimulations centrales éveillantes (et gratifiantes), dans le cas d'auto-stimulation de l'hypothalamus latéral, des éveils continus de 10 hr (entraînés par des stimulations effectuées à la fréquence de plusieurs dizaines de fois par minute) ne sont pas suivis d'augmentation du SP (J.L. Valatx, 1990, communication personnelle). On peut donc supposer que, dans ce dernier cas, l'auto stimulation n'intéresse que des circuits génétiquement programmés de l'individuation. L'auto-stimulation pourrait alors remplacer la programmation itérative du SP.

En résumé, selon leur signification pour l'organisme (punition, contrainte ou récompense), les stimulations épigénétiques, qui provoquent une suppression similaire du SP, entraînent des conséquences opposées. Ainsi, un stress d'immobilisation pendant 1 hr, ou une privation instrumentale de SP, est suivi d'une augmentation de SP (rebond). Au contraire, des auto-stimulations de l'hypothalamus latéral (entraînant un éveil continu de 10 hr) ne sont pas suivies d'augmentation du SP. L'interprétation suivante est proposée: Dans le premier cas, les stimulations entraînent des altérations des circuits corticaux, génétiquement programmés, responsables de la source génétique de l'individuation. Ces modifications peuvent déclencher, par des mécanismes hypothalamiques et/ou hypophysaires, une augmentation compensatrice du SP destinée à rétablir les circuits corticaux de la programmation génétique de l'individuation. Dans le deuxième cas, l'auto-stimulation mettrait en jeu les circuits génétiques de l'individuation. En assumant ainsi la fonction du SP, elle ne mettrait pas en jeu les mécanismes du rebond.

Le paradoxe de l'absence d'effet de la privation de sommeil paradoxal chez l 'homme. Il n'est évidemment pas éthiquement permis de supprimer pharmacologiquement le SP chez un jumeau pour essayer d'apprécier les altérations éventuelles de son individuation psychologique par rapport à son témoin monozygote non traité. C'est sans doute pourquoi le bilan des privations à long terme de SP chez l'homme ne permet pas encore de reconnaître un syndrome qui soit spécifique de cette suppression. Des centaines, sinon des milliers de patients, atteints de narcolepsie ou de dépression, ont été traités pendant plusieurs mois par des inhibiteurs des monoamines oxydases ou des antidépresseurs tricycliques. Ces drogues suppriment totalement ou presque totalement le SP (comme l'ont vérifié de nombreux enregistrements polygraphiques de sommeil; Fisher, 1978). Il n'a pas été constaté de troubles de la mémoire. Quand aux indiscutables changements de l'humeur ou de la personnalité que l'on observe chez les sujets dépressifs, il est difficile de les attribuer seulement à la privation de SP.

Apprentissage et sommeil paradoxal. La littérature, concernant le retentissement de la privation de SP sur l'apprentissage, contient un nombre similaire de résultats positifs et négatifs (voir revue dans Vogel, 1975). Si l'augmentation relative du SP, immédiatement après l'apprentissage chez certaines souches de souris, est un fait établi (Hennevin & Leconte, 1971; Lucero, 1970; Smith, Kitahama, Valatx, & Jouvet, 1974), les effets de sa suppression semblent également dépendre essentiellement de la souche considérée - et donc de sa programmation génétique. L'exemple suivant est particulièrement instructif (Kitahama, Valatx, & Jouvet, 1981). Les souches C57BR et C57BL/6 ont la même origine génétique (souche C57). Elles présentent la même organisation circadienne du sommeil lent et du SP et des quantités de sommeil identiques. Elles remboursent chacune 60% de leur dette de SP après suppression instrumentale ou pharmacologique. Cependant, ces deux souches ont des comportements différents. C57BR est plus active en espace libre et apprend plus vite que C57BL/6 dans un labyrinthe en Y. Ainsi, après trois sessions quotidiennes de 15 essais, le pourcentage de chocs évités est de 70% chez C57BR alors qu'il n'est que de 15% chez C57BL/6. La différence phénotypique est donc de 55% entre les deux souches. Si le SP est supprimé pendant 10 hr après chaque session (par méthodes instrumentales ou pharmacologiques), le pourcentage de rétention au 3ème jour, chez C57BR, est alors légèrement diminué (60%), alors qu'il est très augmenté chez C57BL/6 (45%). Il n'existe donc qu'une différence de 15%. D'autre part, alors qu'une privation de SP de 10 hr est sans effet sur l'activité spontanée de C57BR (de 86 à 82%), elle augmente l'activité spontanée de C57BL/6 de 65-89%. Ainsi, des variances phénotypiques de comportement spontané (activité en espace libre), ou d'apprentissage, peuvent être considérablement diminuées par la suppression du SP.

Ces résultats ne prouvent pas, bien sûr, que le SP soit responsable de la programmation génétique itérative, responsable de la variance phénotypique entre les deux souches C57 (dont chaque individu est la copie de l'autre), car la privation de SP peut agir par d'autres processus. Cependant, de tels résultats permettent de supposer qu'il est illusoire de tester les effets de la privation de SP sur une population génétiquement hétérogène puisque chaque individu pourra réagir de façon différente.

Comportements instinctifs et sommeil paradoxal: Dans un article précédent (Jouvet, 1978), nous avions émis l'hypothèse que le SP pouvait contribuer à programmer certains comportements instinctifs spécifiques de l'espèce. Les comportements oniriques du chat ressemblent, en effet, aux comportements stéréotypés d'aguets, d'attaque ou de fuite, de l'espèce féline. Le comportement onirique, sans objet, ressemble ainsi au jeu. Ce qui apparaît confirmer l'hypothèse de Piaget selon laquelle le rêve serait un jeu intérieur du cerveau (voir Tissot, 1984). Cependant, cette hypothèse ne nous semble plus plausible pour les raisons suivantes:

(1) Les comportements instinctifs du nouveau-né (tétée, approche de la mamelle), qui seraient les seuls comportements instinctifs de l'homme, doivent être programmés essentiellement par l'organisation structurelle dépendant de la neurogenèse du cerveau et ne nécessitent pas de programmation itérative puisque chez les nouveau-nés immatures, ils peuvent précéder l'apparition du véritable SP (voir plus haut).

(2) Il suffit d'observer des chatons en train de jouer pour constater que leurs jeux au cours de l'éveil peuvent fort bien servir progressivement à adapter et perfectionner les comportements de guet, d'approche, d'attaque et de fuite (pourquoi alors un jeu onirique s'il y a déjà un jeu éveillé?).

(3) La très grande variabilité de répertoire de comportement onirique d'un animal à l'autre, et sa constance chez le même animal, ne permettent pas de supposer que c'est le comportement typologique de l'espèce qui soit programmé mais bien au contraire sa variabilité phénotypique.

(4) Enfin, il nous a été impossible, par suppression instrumentale ou pharmacologique de SP, de supprimer, chez de jeunes rates vierges et impubère, le comportement maternel déclenché par la présentation de ratons nouveau-nés (Olivo, 1981, communication personnelle).

Conclusion

Evolution et sommeil paradoxal

Les mécanismes du sommeil paradoxal sont-ils adaptés à la conservation de l'individuation du système nerveux central ?

Un des concepts essentiels de l'évolution est la reconnaissance formelle de la variabilité intraspécifique (l'individu), en opposition avec le concept typologique de l'espèce. Cette variabilité s'explique fort bien par des mécanismes génétiques pour les caractères somatiques. Pourquoi ne pas la prendre alors en considération au niveau des processus psychologiques comme l'a bien remarqué Mayr (1958):

"Genetic variability is universal, a fact which is significant not only for the student of morphology but also for the student of behavior. It is not only wrong to speak of the monkey but even of the rhesus monkey.... The time has come to stress the existence of genetic differences in behavior.... Striking individual differences have been described for predator-prey relations, for the reactions of birds to mimicking or to warning colorations, for child care among primates, and for maternal behavior in rats. It is generally agreed by observers that much of this individual differences is not affected by experience but remains essentially constant throughout the entire lifetime of the individual. Such variability is of the greatest interest to the student of evolution, and it is to be hoped that it will receive more attention from the experimental psychologist than it has in the past..."

La théorie que nous avons résumée dans cet article est la réponse d'un neurophysiologiste au souhait exprimé par Mayr au moment ou fut découvert le sommeil paradoxal, cette énigme du fonctionnement du cerveau.

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