Évolution électroencéphalographique des différents états de sommeil chez le chaton
J.L. Valatx, D. Jouvet et M. Jouvet
Electroencephalography and Clinical Neurophysiology 17 pp : 218-233 (1964)
TABLE DES MATIERES

Sommaire

Résultats
A. Chaton intact

1. De la naissance au 6e jour

2. De 8 à 15 jours

3. De la troisième à la sixième semaine

Chaton décérebré

A. "Sommeil avec secousses"

B. Le sommeil calme

Résumé

Résumé

Summary

FIGURES

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Discussion

Nature des deux phases de sommeil observées chez le chaton

A. "Sommeil avec secousses"

On sait que chez le chat adulte la phase de "sommeil activé" (Dement 1958) ou "phase paradoxale" du sommeil ou "phase rhombencéphalique du sommeil" (P.R.S.) (Jouvet et al. 1959), se traduit par une activité corticale rapide et de bas voltage, associée à un rythme thêta hippocampique et à une activité de pointes monophasiques, groupées en pseudo "fuseaux" au niveau du pont, alors qu'apparaissent des mouvements rapides des yeux, des vibrisses et une disparition totale de l'activité musculaire de la nuque. Cette phase comporte un seuil d'éveil plus élevé que la phase d'ondes lentes corticales. Les structures nerveuses responsables du déclenchement de cette phase ont été délimitées par des expériences de section et de coagulation du tronc cérébral. Elles sont situées au niveau de la formation réticulée pontique (Jouvet 1962a). Les critères suivants permettent d'assimiler la phase du "sommeil avec secousses" du chaton à la P.R.S. de l'adulte.

1. Critères anatomiques. La présence de phases de "sommeil avec secousses" chez des chatons décérébrés dont l'allure polygraphique est identique en tous points à celles observées chez le chaton normal, démontre le rôle suffisant de la partie caudale du tronc cérébral dans leur apparition. Cependant, nous n'avons pas encore pu démontrer le rôle nécessaire joué par la formation réticulée pontique chez le chaton car il n'a pas été possible d'effectuer des coagulations suffisamment précises compatibles avec une survie prolongée.

2. Critères comportementaux. La similitude des signes somatiques et végétatifs du "sommeil avec secousses" du chaton avec ceux de la P.R.S. chez l'adulte est frappante.

Les mouvements rapides des yeux ont été observés dès le premier jour post natal à travers les paupières closes. Ils sont à ce stade presque toujours contemporains des mouvements des vibrisses et des secousses de la tête et il est alors difficile de les enregistrer, soit à cause des artéfacts dûs aux mouvements de la tête 7 soit parce que la potentiel cornéorétinien a une amplitude trop faible. Dès le 8e jour par contre (Fig. 7), avant même que les yeux soient ouverts, leur aspect oculographique ressemble à celui de l'adulte. Ce problème des mouvements oculaires est particulièrement intéressant car de nombreux arguments permettent de penser que la P. R.S. est l'analogue chez l'homme du sommeil onirique (Dement et Kleitman 1957; Jouvet 1962b) et il a été montré que les mouvements rapides des yeux chez l'homme peuvent avoir un rapport étroit avec l'imagerie visuelle des rêves (Roffwarg et al. 1962). Il semble difficile cependant d'admettre qu'avant l'ouverture des yeux, les chatons puissent présenter une perceptivité visuelle. Il faut donc admettre que de tels mouvements oculaires au cours du sommeil précèdent l'entrée en fonction du système visuel. A ce sujet, on peut signaler également que les mouvements des yeux du chat adulte persistent au cours de la P.R.S. même après destruction de la rétine (Mouret et al. 1963) et peuvent encore se voir chez des animaux mésencéphaliques chroniques (Jouvet 1962a).

Les mouvements des vibrisses et les petits mouvements des doigts, des oreilles, de la queue, sont similaires à ceux observés chez l'adulte. Cependant, il est rare d'observer des secousses globales du corps chez l'adulte normal. Par contre, des secousses de tout le corps, parfois violentes, s'observent au cours des P.R.S. chez des chats adultes décortiqués ou pontiques chroniques (Jouvet 1962a). Le mécanisme de tels soubresauts musculaires reste encore inconnu: il faudrait admettre que chez le chaton comme chez l'adulte décérébré, des influences motrices descendantes extrapyramidales puissent forcer temporairement l'inhibition qu'exerce la formation réticulée inhibitrice au niveau spinal.

Tonus musculaire: sa disparition constitue chez le chat adulte l'index comportemental absolu de la P.R.S. (Jouvet et al. 1959). Chez le chaton de moins d'un mois, cet index est moins fidèle, car si la disparition de toute activité musculaire est constante au cours de chaque P.R.S. (mis à part les bouffées d'activité phasique apparaissant lors des secousses globales), par contre, il n'est pas rare de l'observer au cours de l'autre phase du sommeil (voir plus bas).

Variations végétatives: elles sont constantes et beaucoup plus nettes que chez l'adulte. La bradycardie est remarquable et s'observe aussi bien chez le chaton décérébré que normal (Fig. 9). Contrairement au chat adulte, on n'a pas observé de tachycardie au cours de cette phase. L'accélération et l'irrégularité respiratoires sont également beaucoup plus nettes que chez l'adulte.

Ces variations végétatives sont tellement évidentes que souvent on peut juger de l'état de sommeil du chaton uniquement sur leur caractère polygraphique.

A tous ces critères nous pouvons ajouter celui de la "profondeur" du sommeil, car bien que le "sommeil avec secousses" ait les apparences comportementales d'un sommeil léger, il est très difficile d'éveiller un chaton au cours de ce stade, alors que des stimulations plus faibles l'éveillent au cours du "sommeil calme". Là aussi, comme chez l'adulte, ce "sommeil avec secousses" apparaît bien paradoxal.

3. Critères EEG (Fig. 5, 6 et 9). Ils doivent être considérés selon l'age du chaton.

La première semaine en effet, I'activité corticale ne varie pas au cours des différents stades comportementaux de vigilance. La présence d'une activité rythmique ayant une allure de fuseaux irréguliers de 10 à 12 c/sec alternant avec une activité très microvoltée, est très caractéristique et a été retrouvée chez tous nos animaux, y compris les prématurés (Fig. 5). Bien que de tels éléments n'aient pas été décrits chez le chaton nouveau-né dans des conditions d'expérimentation aiguë (curarisation ou Nembutal) (Grossman 1955; Libet et al. 1941), d'autres auteurs par contre les ont retrouvés dans des conditions chroniques (Marley et Key 1963), associés à une activité de 1 à 3 c/sec de très bas voltage que nous n'avons pas observée. On sait qu'à la naissance, seules les synapses axono-dendritiques des régions superficielles du cortex sont bien développées, identiques en tous points à celles du chat adulte, tandis que les cellules nerveuses ne possèdent pas d'articulations synaptiques. Le mécanisme d'apparition de ces fuseaux pourrait être en relation avec l'activité de ces synapses (Purpura 1961).

L'absence de réactivité EEG au cours de la première semaine lors des différents stades de vigilance, soulève également de nombreux problèmes: il semble que l'on puisse l'expliquer par l'état d"'immaturation" du cortex. Celui-ci répond en effet d'une manière univoque par des ondes rythmiques régulières de 10 à 14 c/sec, similaires aux fuseaux, à toute stimulation du thalamus ou de la formation réticulée, aussi bien à des fréquences lentes qu'à des fréquences rapides qui provoquent une "activation" chez l'adulte (Purpura et al. 1960). Ainsi, au cours de la première semaine, I'activité corticale est incapable d'être modifiée par les influences ascendantes d'origine sous-corticale au cours de l'éveil et du "sommeil avec secousses", alors que les influences descendantes permettent déjà une distinction nette entre les deux états au point de vue comportemental.

Vers le 10e jour, apparaît une différenciation EEG seulement au cours du "sommeil avec secousses" (Fig. 5 et 6), caractérisée par une activité électrique rapide à 20 c/sec de grande amplitude, puis bientôt de bas voltage. C'est également à cet âge qu'a été notée (Cadilhac et al. 1961; Cadilhac et Passouant-Fontaine 1962) au cours de cette phase de sommeil, I'apparition, au niveau de l'hippocampe dorsal, d'une activité thêta régulière qui contraste avec l'activité irrégulière de l'éveil. Pour hypothétique que soit toute tentative de corrélation entre l'activité électrique corticale et le degré d'organisation neuronique et gliale du cortex, il est intéressant de noter que l'apparition d'une activité EEG rapide au cours du sommeil est contemporaine du développement des dendrites basilaires des cellules pyramidales et des cellules étoilées profondes, ainsi que des synapses axono-somatiques (Purpura 1961; Marty 1962). Il se pourrait ainsi que ces structures aient quelques rapports avec l'activité rapide corticale de la P.R.S. Par contre, I'activation corticale d'éveil n'est pas encore nette et durable au cours de la 2e semaine puisqu'on observe seulement de courtes phases (inférieures à 1 min) d'activité rapide de bas voltage lors des stimulations sensorielles les plus fortes, I'activité d'éveil EEG étant généralement constituée par un rythme thêta à 6-9 c/sec, associée à des fuseaux (Fig. 5 et 6).

Ces faits permettent ainsi de différencier chronologiquement les structures sous-corticales ou corticales responsables de l'activité rapide corticale de la P.R.S. de celles responsables de "I'activation" corticale d'éveil: système réticulé activateur ascendant (Moruzzi et Magoun 1949).

Une telle différenciation avait déjà été notée chez le chat adulte chez lequel des lésions du tronc permettent de supprimer électivement, bien que transitoirement, I'une ou l'autre de ces activités (Jouvet 1962a). Le rapport chronologique étroit qui existe entre l'apparition post natale d'une activité thêta au niveau de l'hippocampe et "I'activation" neocorticale au cours de la P.R.S. (Cadilhac et al. 1961) permet de supposer l'intervention du système limbique selon des modalités qu'il reste à préciser.

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Références

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