Recherches sur les structures nerveuses et les mécanismes responsables des différentes phases du sommeil physiologique
Michel Jouvet
Archives Ital.iennes de Biologie 100 pp : 125-206 (1962)
TABLE DES MATIERES
Introduction
Introduction
Méthodes
Méthodes
Résultats
I. - Corrélations électroenc. du sommeil
1. Chats intacts chroniques
2. Ablation totale du cervelet
3. Décortication subtotale
4. Décortication totale
5. Lésions partielles du tronc cérébral
6. Section totale haute du tronc cérébral
7. Section totale basse du tronc cérébral: animaux pontiques
8. Section du tronc cérébral en arrière de la protubérance
9. Coagulation limitée de la partie basse du tronc cérébral
II - Etude des seuils d'éveil au cours des 2 phases du sommeil physiologique
1. Stimulations de la formation réticulaire mésencéphalique
2. Stimulations sensorielles
III. - Déclenchement des différentes phases du sommeil par stimulation des centres nerveux
1. Sommeil lent
2. Phase rhombencéphalique du sommeil (PRS)
IV. - Les réponses cérébrales auditives au cours des deux phases du sommeil
1. Animal intact
2. Animal décortiqué
3. Animal mésencéphalique
V. - Action des drogues et de l'hypothermie sur les différentes phases dit sommeil
1. Animal intact: drogues entrainant une disparition totale de la PRS et de l'activation corticale au cours de l'éveil
2. Animal intact. drogues entraînant une dissociation entre l'activation corticale de l'éveil et celle de la PRS
3. Animal décortiqué
4. Animal mésencéphalique
5. Action de l'hypothermie sur les PRS
Discussion
I. - Le sommeil lent
1. Structures responsables des fuseaux et des ondes lentes thalamiques et réticulaires
3. Mécanismes d'apparition de la synchronisation EEG
4. Le sommeil comportemental de l'animal décortiqué
II. - Le sommeil rapide (PRS)
1. La PRS est un sommeil plus profond que le sommeil lent
2. Le "centre" de la PRS
3. Voies nerveuses responsables de l'activité électrique corticale et limbique
4. Rapports entre le noyau RPC et le SRAA
5. Structures responsables des phénomènes périphériques de la PRS
6. Réponses évoquées au cours de la PRS
7. Mécanismes de la PRS
8. Interactions
9. Néo- et archéo-sommeils
10. Signication psycho-physiologique de la PRS
Conclusions
Conclusions
Figures

Introduction

Le problème du sommeil est complexe; c'est pourquoi il n'est pas étonnant de relever l'existence de nombreuses théories opposées. Nous ne pouvons ici rappeler l'ensemble des hypothèses sur le sommeil qui sont exposées dans de nombreux travaux (112,115 , 119, 140). Cependant il est possible de classer les principales hypothèses en deux théories principales.

Selon la première, le sommeil apparaît comme un phénomène passif (115), comme le relâchement de l'excitation du centre de veille (114, 115). A la suite des observations des cliniciens (47, 48, 59, 135, 179), la situation d'un tel centre d'éveil a été précisée de facon de plus en plus exacte par les physiologistes (22, 23, 24, 46, 154, 155 156) jusqu'à la mise en évidence du système réticulé activateur ascendant (SRAA) (130, 141). Les partisans de l'hypothèse du sommeil passif écartent cependant la nécessité d'un appareil central agissant par inhibition active sur le SRAA pour invoquer dans le déterminisme du sommeil des processus réversibles: fatigue synaptique, réduction des excitations sensorielles, déafférentation, ou désactivation en avalanche (26, 27).

Selon une deuxième théorie, le sommeil serait dû au contraire à l'intervention de mécanismes actifs.

La localisation des structures hypnogènes reste cependant imprécise, et une brève revue permet d'incriminer successivement tout l'encéphale. Ainsi pour Pavlov (149), le cortex exercerait une influence inhibitrice sur les centres sous-corticaux lors de certaines formes de conditionnement, en particulier lors des différentes modalités d'inhibition interne qui conduisent au sommeil. Les expériences de Goltz (62), de Kleitman et Camille (116 ), de Ten Kate (177,178), qui constatent la persistance du sommeil chez l'animal décortiqué, orientent vers la localisation sous-corticale d'un centre du sommeil. C'est ainsi que Hess (73, 74, 75) révèle la possibilité d'induire le sommeil par stimulation de la massa intermedia du thalamus, et que Nauta (143) et Jorda (87) insistent sur l'importance de l'hypothalamus antérieur. Par contre Rioch (162) et Bard et Macht ( 11) décrivent encore l'existence d'alternances comportementales veille sommeil chez des animaux décérébrés. De tels faits sont en faveur d'un système hypnique situé à la partie basse du tronc cérébral. Il semble néanmoins, d'après les travaux de Gamper (58), que la limite caudale d'un tel système ne puisse dépasser le noyau rouge. Il n'est pas sans intérêt de rappeler cependant que Forel (53) localisait un centre du sommeil au niveau de la protubérance pour expliquer la fermeture de l'orticulaire des paupières au cours du sommeil. Les travaux récents de Batini, Moruzzi, Palestini, Rossi et Zanchetti (12; voir aussi 13, 14), de Magni, Moruzzi, Rossi et Zanchetti (128), de Cordeau et Mancia (41) et de Magnes, Moruzzi et Pompeiano (127, 140) sont en faveur de l'existence de structures synchronisatrices et peut-être hypnogéniques situées au niveau du bulbe (voir 140). Tous les expérimentateurs s'accordent enfin pour admettre la disparition des variations de vigilance au niveau d'une moëlle épinière isolée (70, 131, 175).

Sur le plan EEG, l'apparition d'une activité synchronisée corticale, parfois associée à un sommeil comportemental, à la suite de stimulations à basse fréquence du système diffus thalamique (6 , 7, 44, 49, 76, 81, 85, 136), du système limbique (33, 109, 118, 168), de la formation réticulée (FR) mésencéphalique (35, 52, 123, 142), pontique (32, 52) de structures bulbaires (127) et des récepteurs périphériques (9, 61, 88, 91, 146) plaide également en faveur de l'existence de structures synchronisatrices qui seraient antagonistes du système d'éveil. Mais si les techniques EEG ont enrichi considérablement la méthode d'étude du sommeil en révélant l'existence de telles structures synchronisatrices, elles ont également mis en lumière récemment la pluralité des aspects corticographiques du sommeil. Les premières études en effet (40, 45 , 157, 159) ont révélé que le sommeil physiologique chez le chat s'accompagnait d'une activité synchronisée ou lente, corticale et sous-corticale (76,108). Cependant des observations d'abord isolées (42, 45, 160), et de plus en plus nombreuses (17, 69, 77, 82,104, 111, 172) ont révélé l'existence d'une activité corticale rapide et de bas voltage, dont la récurrence périodique et l'association avec des mouvements des yeux fut assimilée par Dement (42) à une phase de sommeil activée (activated sleep), intermédiaire entre l'état de sommeil profond et la veille. L'existence de cette activité rapide corticale permet de supposer que les structures synchronisatrices ne sont pas les seules à entrer en jeu au cours du sommeil. Mais surtout la constatation d'une telle activité rapide, qui ne peut être distinguée à l'analyse visuelle d'un corticogramme de veille, soulève d'emblée l'important problème des méthodes utilisées dans l'analyse des structures nerveuses et des mécanismes responsables du sommeil.

Seule l'expérimentation chronique animale, associant destruction, stimulation nerveuse et l'étude de l'activité électrique cérébrale, permet de résoudre le problème des structures nerveuses responsables des différents stades du sommeil physiologique. Cependant l'activité électrique corticale étudiée isolément ne permet pas de connaître avec certitude l'état de vigilance d'un animal. Il existe en effet de notables exceptions à la règle générale selon laquelle on peut assimiler un tracé lent au sommeil, un tracé cortical rapide à l'éveil.

I) Un corticogramme synchronisé ou lent n'est pas forcément un signe de sommeil physiologique. Il en est ainsi en effet de la narcose au nembutal ou du coma par destruction de la FR (120) dont l'irréversibilité permet d'éliminer à priori un phénomène de sommeil physiologique. D'autre part on sait que l'injection d'atropine (181) entraîne un tracé cortical lent alors qu'il peut persister un comportement d'éveil.

II) Un corticogramme rapide et de bas voltage n'est pas un indice sûr d'éveil: la narcose à l'éther (4, 25), par exemple, peut s'accompagner d'une activation corticale et il existe des phases de sommeil avec activité corticale rapide chez le chat.

Ces exceptions notables rendent donc obligatoire la connaissance aussi exacte que possible de l'état de vigilance de l'animal par l'enregistrement ou l'observation des variations somatiques ou végétatives du sommeil physiologique, en particulier la posture de l'animal, l'activité tonique musculaire, l'aspect des pupilles, des membranes nictitantes, les rythmes cardiaque et respiratoire. Une telle étude ne peut être réalisée que dans des conditions chroniques. En expérimentation aigue, en effet, l'emploi d'anesthésiques, de curarisants, ou la préparation encéphale isolé (24) rendent souvent impossible ou illusoire l'étude des variations posturales et végétatives.

Les résultats que nous rapportons dans cette étude proviennent d'une série de recherches entreprises depuis trois ans sur 65 chats chroniques. Ils ont fait l'objet de notes préliminaires (95, 96, 97, 98, 99, 100, 101, 102, 103, 104, 106), et ont été résumés dans des revues synthétiques (89, 91, 92, 105).

Nos résultats sont en faveur de la dualité des structures responsables des différentes phases du sommeil: ils révèlent d'une part le rôle nécessaire du néocortex dans l'apparition des phénomènes de synchronisation et des ondes lentes, et d'autre part l'existence d'un système hypnique actif situé au niveau de la FR pontique, en relation avec le système limbique, qui est responsable des périodes d'activité corticale rapide de sommeil.

Nous exposons dans le premier chapitre les corrélations EEG des différentes phases du sommeil physiologique chez des chats chroniques intacts, décérébellés, décortiqués, porteurs de section ou de coagulation du tronc cérébral. Le deuxième chapître est consacré à l'étude des seuils d'éveil, le troisième à la possibilité d'induire les différentes phases du sommeil par stimulation. Le quatrième chapitre est dédié aux réponses évoquées au cours du sommeil, et enfin le cinquième à l'effet de diverses drogues.

Par souci de brièveté nous emploierons dans cet article les termes suivants: "sommeil lent" pour l'état de sommeil caractérisé par des fuseaux et des ondes lentes corticales et sous-corticales; "sommeil rapide" ou "phase rhombencéphalique du sommeil" (PRS) pour les périodes de sommeil caractérisées par une activité corticale rapide et les phénomènes somato-végétatifs hautement caractéristiques qui l'accompagnent [1].

Le terme "activation corticale" est employé pour désigner l'activité rapide et de bas voltage corticale survenant au cours de l'éveil ou du sommeil, sans préjuger en aucune façon des mécanismes neuroniques qui en sont à la base.

[1] Le terme de "sommeil rapide" ne peut pas être conservé puisqu'il ne désigne qu'un aspect cortical de cette phase de sommeil, qui fait évidemment défaut chez l'animal décortiqué ou mésencéphalique. Le terme de P.R.S remplace celui de "phase paradoxale" du sommeil (P.P) (104), qui risquait d'introduire une confusion avec la "phase paradoxale" employée par Pavlov (148) pour décrire certains états d'inhibition interne.

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REFERENCES