Évolution électroencéphalographique des différents états de sommeil chez le chaton
J.L. Valatx, D. Jouvet et M. Jouvet
Electroencephalography and Clinical Neurophysiology 17 pp : 218-233 (1964)
TABLE DES MATIERES

Sommaire

Résultats
A. Chaton intact

1. De la naissance au 6e jour

2. De 8 à 15 jours

3. De la troisième à la sixième semaine

Chaton décérebré

A. "Sommeil avec secousses"

B. Le sommeil calme

Résumé

Résumé

Summary

FIGURES

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Discussion

Nature des deux phases de sommeil observées chez le chaton

B. Le sommeil calme

1. Son aspect comportemental permet aisément de l'assimiler à la phase de sommeil lent de l'adulte: absence de mouvements spontanés, respiration calme et régulière. Certaines caractéristiques sont cependant intéressantes à discuter.

Activité électrique des muscles de la nuque: chez l'adulte, on le sait, il persiste toujours une activité EMG de la nuque au cours du sommeil lent. Par contre, chez le chaton, jusqu'à la 6e semaine, cette activité est tantôt conservée, tantôt abolie pendant cette phase de sommeil. Il nous a semblé cependant que les phases de sommeil calme sans activité EMG étaient en rapport avec la posture de sommeil de l'animal. Au cours des premières semaines en effet, le chaton dort dans n'importe quelle position, en décubitus ventral, latéral ou dorsal. Dans les conditions normales, il se trouve auprès de sa mère ou entouré de ses congénères qui le réchauffent. Nos conditions d'enregistrement dans une ambiance chaude à 30°C permettent également toutes ces positions. C'est dans la posture en décubitus dorsal que s'observe le plus souvent l'abolition de l'EMG des muscles de la nuque qui se trouve ainsi relâchée au maximum. Progressivement, le chaton va adopter la position de décubitus ventral, la tête entre les pattes de devant, ou bien si la température ambiante est basse, la position "en boule" caractéristique du chat adulte. Dans cette posture, il persiste presque toujours une activité EMG de la nuque pendant le sommeil calme. Il semble ainsi que cette posture de sommeil lent soit acquise au cours de développement ontogénétique et qu'elle puisse avoir quelques rapports avec les mécanismes de lutte contre le froid.

2. Activité EEG: Alors que pendant les 3 premières semaines l'activité EEG de sommeil calme est presque identique à celle de l'éveil (fuseaux de 12 à 14 c/sec), vers la 4e semaine les fuseaux disparaissent et sont remplacés par des ondes lentes de 1 à 4 c/sec de haut voltage, souvent plus lentes et plus amples que chez l'adulte (Fig. 5). Ces fuseaux ne réapparaissent ensuite à l'endormissement que vers la 6e semaine et présentent alors l'aspect classique à 11-18 c/sec décrit chez le chat adulte (Rheinberger et Jasper 1937; Hess et al. 1953). S'il est diflicile d'expliquer la diminution ou la disparition transitoire des fuseaux de sommeil entre la 3e et la 6e semaine, I'évolution de l'EEG au cours de sommeil calme permet cependant de différencier chronologiquement l'activité de fuseaux observée à la naissance de l'activité lente qui semble coincider avec l'achèvement de la maturation corticale. C'est en effet vers la 4e semaine que les potentiels évoqués visuels ou somesthésiques corticaux acquièrent un aspect définitif identique à ceux de l'adulte (Marty 1962) et c'est à cet âge quele chaton acquiert un réflexe d'orientation visuelle. Les ondes lentes apparaissent ainsi comme l'expression d'une activité corticale hautement différenciée, et pour certains (Marty 1962) la prolifération des dendrites basilaires des cellules pyramidales à la finde la 3e semaine, jouerait un rôle important dans l'achèvement de cette différenciation. Ainsi les données acquises au cours de l'ontogenèse rejoignent les résultats d'expériences faites chez le chat adulte, qui démontrent l'origine spécifiquement corticale des ondes lentes. Il avait déjà été noté en effet ( Jouvet et Michel 1958; Sergio et Longo 1960) que les ondes lentes disparaissent définitivement après ablation totale du néocortex, tandis que l'ablation totale du thalamus (Naquet et al. 1964) laisse persister des ondes lentes corticales tout en supprimant totalement les fuseaux au cours du sommeil lent.

Interrelations entre les deux états de sommeil

Deux données principales apparaissent en considérant l'évolution post-natale des deux états de sommeil (Fig. 8 et 9).

A. A la naissance, le "sommeil avec secousses" ou P.R.S. peut interrompre périodiquement l'état de veille sans phase de sommeil calme intermédiaire. Ce fait révèle d'une part que les structures nerveuses pontiques déclenchant les phénomènes comportementaux toniques et phasiques de la P.R.S. (atonie musculaire, secousses, mouvements des yeux, etc.) entrent en jeu plus précocement au cours du développement que les structures responsables du comportement de "sommeil calme"; ontogénétiquement la P.R.S. apparaît ainsi comme un archéo-sommeil (Jouvet 1962a). Il ne semble cependant pas en être ainsi au point de vue phylogénétique, car cet état de sommeil n'existe que de façon rudimentaire chez certains oiseaux (pigeon, poule), et est absent chez certains reptiles (tortue) (Klein et al. 1964). D'autre part, on doit admettre que la P.R.S. est un état de sommeil qualitativement différent du sommeil calme puisqu'il peut apparaître en l'absence de celui-ci; un tel phénomène peut s'observer également chez des chats adultes pontiques chroniques (Jouvet 1962a). Le sommeil calme va prendre par contre une importance relative de plus en plus grande au cours du développement post-natal. S'il ne constitue en effet que 5% environ de la durée du sommeil comportemental à la naissance, il occupe 60 à 70% de celui-ci à partir du 2e mois. Il devient alors une condition nécessaire à l'apparition des P.R.S. puisqu'il existe toujours une phase de sommeil lent entre l'éveil et la P.R.S.

B. Il est également intéressant de remarquer que la durée moyenne des P.R.S. (4 à 5 min) à la fin de la première semaine est à peu près identique à celle de l'adulte (6 min). C'est donc par une périodicité plus élevée et non par une durée plus grande, que s'exprime l'importance relative de la P.R.S. chez le chaton. Il est difficile cependant de reconnaître quels sont les facteurs spécifiques qui ralentissent la périodicité des P.R.S. au cours du développement: états de veille et de sommeil calme plus longs, prises de nourriture plus espacées, etc.

Ainsi les données de l'ontogenèse semblent bien révéler qu'à côté du sommeil classique (le sommeil lent), on doit considérer l'évolution d'un état particulier et spécifique du fonctionnement nerveux qui s'exprime par le sommeil paradoxal. S'il est encore d'usage de faire rentrer cet état parmi les "phases" du sommeil malgré sa précession ontogénétique et ses caractères EEG et comportementaux particuliers, rien ne permet, en fait, de savoir si cet état, qui semble être l'expression de l'activité onirique chez l'homme, n'est pas l'expression d'une fonction différente de celle du sommeil lent.

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