Cerveau endormi, cerveau rêveur
Par Jean Louis Valatx
Tiré de Mille cerveaux - Mille mondes Exposition au Museum d'Histoire Naturelle de Paris. Publié chez Nathan ISBN : 2.09.260386-3

La recherche fondamentale sur le sommeil s'est développée à la suite de la découverte par Michel Jouvet, en 1959, du sommeil paradoxal (SP), au cours duquel survient le rêve qui présente le paradoxe d'associer un cerveau apparemment très actif à un corps profondément endormi (paralysie musculaire). L‘étudedes mécanismes de régulation a mis en évidence que chaque état de vigilance est produit et contrôlé par un réseau de neurones dont la localisation cérébrale est bien précise. Les réseaux du sommeil et du rêve sont sous le contrôle inhibiteur du réseau très complexe de l'éveil. La grande variabilité dans la durée des sommeils observée entre les individus provient de nombreux facteurs socio-écologiques et génétiques.

L'étude génétique chez la souris et l'homme suggère que la tendance à être petit ou grand dormeur, à être du soir ou du matin est héritée de ses parents selon les lois de Mendel.

En plus des effets directs de l'environnement (température, lumière, bruit) sur le sommeil, l'accent est mis actuellement sur le retentissement du vécu de l'éveil sur le sommeil. Nous préparons notre sommeil pendant l'éveil. Ainsi, la somnolence diurne par inaction (personnes âgées) ou le stress de certaines contraintes sociales inévitables perturbent l'endormissement et la qualité du sommeil de la nuit suivante. L'insomnie, plainte fréquente (30 % de la population), est attribuée non à une perturbation des réseaux du sommeil, mais à une stimulation excessive du réseau de l'éveil : l'insomnie est un trouble de l'éveil. Les facteurs externes ou internes (faim, soif, émotions, douleurs, etc.) qui empêchent de dormir sont à rechercher plutôt que de se précipiter sur la boite de somnifères.

L'évolution ontogénétique révèle que le SP, premier sommeil à se développer, occupe 90 % du temps au cours de la seconde moitié de la gestation, puis diminue au profit du sommeil calme et de l'éveil. À la naissance, le petit d'homme dort seize heures, dont huit heures en rêves.

La phylogenèse met en évidence que le sommeil, forme très évoluée du repos, apparaît tardivement au cours de l'évolution. Chez les Poissons et les Amphibiens, dont le télédiencéphale (cerveau antérieur) est peu développé, il n'existe que le réseau de l'éveil et une ébauche du système de l'endormissement, de telle sorte que le repos est de type passif, dû à l'arrêt de l'éveil.

Les Reptiles présentent sans ambiguïté un sommeil calme comportemental. L'absence d'ondes lentes est corrélée avec l'absence du néo-cortex. La non-observation du SP est, peut-être, en relation avec le développement réduit du métencéphale (pont et cervelet), où sont localisés les réseaux des neurones responsables de ce sommeil.

Le SP est présent chez tous les Oiseaux et les Mammifères observés (euthériens, marsupiaux, monotrèmes), avec une seule exception : le dauphin. Plus le Mammifère est ancien, " primitif", comme le tatou (édenté) ou l'ornithorynque (monotrème), plus la quantité de sommeil paradoxal est importante. La présence du SP est concomitante du développement du métencéphale. La brièveté de ce sommeil chez les Oiseaux (15 secondes) semble représenter une adaptation au sommeil debout et, peut-être, pendant le vol chez les migrateurs.

Les animaux rêvent-ils ? La réponse est positive pour ceux qui ont du SP. Ne pouvant raconter leur rêve, il est possible d'observer leur comportement onirique. En effet, la paralysie musculaire du SP est due à l'inhibition active des motoneurones spinaux. La levée de ce frein permet l'expression motrice du rêve.

L'endothermie,apparue en même temps que les ondes lentes et le SP,ne semble pas être à l'origine du développement du sommeil. L'acquisition d'un niveau métabolique élevé (tachymétabolisme) autorise des performances nouvelles, indispensables à la survie. En contrepartie, des périodes de repos, avec baisse importante de la vigilance impliquant des lieux protégés, sont nécessaires pour rétablir les réserves énergétiques cérébrales à un niveau optimal (rôle du sommeil lent) et pour assimiler rapidement les expériences nouvelles (rôle du SP) en vue d'une adaptation optimale à un environnement changeant.

  • Chaton endormi (cliché C. Colin/MNIHN)
  • Chouette hulotte endormie (cliché J.-F. Noblet/Bios)