La privation du sommeil
Jean-Louis Valatx
Médecine et Hygiène (1988)

TABLE DES MATIERES

Sommaire
Introduction
Rappel de la physiologie du sommeil
Privation de sommeil
Méthodes de privation
Effets de la privation de sommeil
Résistance à la privation de sommeil
A quels signes peut-on reconnaître une personne privée de sommeil ?
Zones à risques de privation de sommeil

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Zones à risques de privation de sommeil

Il est possible de définir quatre grands groupes de risques de privation de sommeil.

1. Zones à risques dépendantes de la justice:

  • au cours de la garde à vue; les interrogatoires prolongés sont à l'origine de privation de sommeil. Les aveux obtenus dans ces conditions sont sujets à caution du fait de l'augrnentation de la suggestibilité des individus;
  • dans les prisons; les conditions de détention (isolement ou surpeuplement) sont susceptibles de provoquer d'importantes privations de sommeil avec leur retentissement sur le comportement. La prescription, parfois généralisée de tranquillisants augmentant la suggestibilité est un moyen utilisé pour pallier aux mauvaises conditions de détention.

2. Dans les hôpitaux:

  • les Services de soins intensifs et de réanimation réalisent des privations de sommeil instrumentales quasi experimentales. La surveillance et les soins horaires ou plus fréquents même la nuit, l'absence de repères temporels (lumière permanente ou semi-obscurité) sont des facteurs de privation de sommeil à l'origine de syndrômes psychiatriques qui apparaissent de 3 à 5 jours après l'admission dans le service. La prévention est souvent possible: établir une alternance jour/nuit très marquée avec montre ou horloge facilement visible. L'automatisation de la surveillance (pouls, tension artérielle, température) devrait permettre à un certain nombre de malades conscients de dormir suffisamment;
  • les autres services médicaux ou chirurgicaux peuvent également être responsables de privations partielles de sommeil du fait de la température ambiante souvent élevée, du bruit nocturne dont le personnel soignant ne se rend pas toujours compte. De plus, l'absence fréquente de relations humaines, de dialogue aggrave l'anxiété des personnes hospitalisées, source fréquente d'insomnie. Là encore, la prévention est aisément réalisable.

3. Organisation des horaires de travail Le sommeil est favorisé par des horaires réguliers. Tout changement d'horaires entraîne des perturbations du sommeil. Le travail de nuit, le travail posté, les horaires irréguliers (chauffeurs routiers, vols transméridiens fréquents, etc.) provoquent des troubles semblables à ceux décrits lors des privations de sommeil experimentales. La répétition fréquente de ces troubles peut entraîner chez certaines personnes un syndrome narcoleptique caractérisé par la survenue de sommeil paradoxal au cours de l'éveil. La narcolepsie est à l'origine de nombreux accidents de travail et de la route. Dans un grand nombre de cas (90%), les narcoleptiques sont porteurs d'un groupe tissulaire particulier (DR2). L'inadaptabilite aux changements de rythme devrait être dépistée pour que ces personnes ne soient pas soumises à ces changements.

4. Dans les familles:

  • les enfants sont les premières victimes des mauvaises conditions de logement (bruit, surpeuplement, télévision). Ces privations partielles permanentes sont à l'origine de troubles de l'attention, d'instabilité motrice et d'irritabilité souvent sources ignorées d'échec scolaire;
  • les adolescents éprouvent fréquemment des troubles du rythme du sommeil entraînant des privations périodiques de sommeil qu'il faut rechercher chez ces jeunes qui, devenant ainsi irritables, instables, sont qualifiés de "caractériels". Le seul traitement efficace est la resynchronisation des rythmes de sommeil;
  • chez l'adulte, les petits ou les gros dormeurs ont tendance à imposer à leur entourage leurs horaires de sommeil, attitude qui est la source de nombreux conflits. La prévention passe par la prise de conscience que nous sommes tous differents: le sommeil est une caractéristique individuelle au même titre que la couleur des cheveux. Ne pas imposer son propre rythme de sommeil à son entourage familial ou professionnel fait partie du respect élémentaire des droits de chacun. En effet, une des fonctions supposées du sommeil et du rêve en particulier serait la préservation de la personnalité de l'individu. Au cours du rêve, s'exprimeraient les composantes héréditaires de la personnalité auxquelles s'intégreraient les acquis journaliers afin de réaliser une adaptation harmonieuse à l'environnement Le "droit au rêve" est un facteur primordial pour résister au conditionnement psychologique.

En conclusion, la privation de sommeil volontaire ou involontaire est un phenomène fréquent et de plus en plus fréquent actuellement. Utilisée volontairement, elle est une atteinte à la personne physique et psychique d'autant plus pernicieuse et perverse qu'elle ne laisse pas de séquelles physiques. Cependant chez des sujets fragiles, des syndromes psychotiques ont été observés après une privation prolongée de sommeil.

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