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La privation de sommeil est un des moyens classiquement utilisé pour infeoder un individu. Elle est souvent associée à des privations sensorielles (lumière, son, toucher, goûts) et à des médications psychotropes. La connaissance scientifique des effets de cette privation est récente et une mise au point apparaît d'autant plus utile qu'au-delà de situations répressives, elle est sous estimée dans des pratiques plus communes: garde à vue, prisons, services de réanimation, organisation du travail (travail de nuit, travail posté), rythmes familiaux. SummarySleep deprivation is one of the classical means of subjugating an individual. It is often associated with sensory deprivation (light, sound, touch, taste) and psychotropic drugs. The scientific appraisal of the effects of these forms of deprivation is quite recent and the clarification appears important not only in special repressive situations, but in the more familiar practices where these effects are underestimated. These include: intermittent police custody, Imprisonment, Resuscitation Units, Work settings (e.g. Night dub, Shift duties) and routine family life. IntroductionLa privation du sommeil est un des moyens utilisés pour torturer les prisonniers. Elle fut utilisée par les Romains et l'lnquisition tout aussi efficacement qu'à l'époque contemporaine (4). Elle est toujours d'actualité dans de très nombreux pays, non seulement dans les pays dits "dictatoriaux" mais aussi dans les pays dits "démocratiques" (par exemple au cours de la simple garde à vue). La privation de sommeil est souvent associée à des privations sensorielles (lumière, son) et temporelles, ou à des médicaments psychotropes (amphétamines-like, tranquillisants) qui en potentialisent les effets. La connaissance scientifique des effets physiologiques de la privation de sommeil est relativement récente. La première étude date de 1896 mais la plupart ont moins de 30 ans et sont contemporaines des progrès réalisés en neurophysiologie. Un rappel de la physiologie du sommeil aidera à comprendre les effets de la privation totale ou partielle du sommeil. Nous verrons à quels signes il est possible de soupçonner qu'une personne est privée de sommeil. Un dernier chapitre envisagera les "zones à risques" où la privation de sommeil est effective sans que leurs auteurs en aient pleinement conscience. Rappel de la physiologie du sommeilL'alternance repos-activité est une caractéristique du monde vivant. Cependant, le sommeil, forme la plus évoluée du repos, n'émerge qu'avec les homéothermes (oiseaux et mammifères). A quelques rares exceptions près, le sommeil se déroule toujours selon le même schéma quel que soit le mammifère observé. L'envie de dormir se manifeste par différents signes: bâillement, frottement des paupières, baisse de l'attention, flou de la pensée. L'individu prend alors une posture de sommeil qui varie selon la temperature ambiante (en boule au froid, allongée au chaud). L'endormissement el le sommeil calme se caractérisent par la fermeture des paupières, une respiration régulière et ample et par l'absence de mouvements corporels. L'électro-encéphalogramme (EEG) montre un ralentissement progressif de l'activité cérébrale. Au cours du sommeil calme profond, les ondes lentes (0,5 à 5 Hz) prédominent. D'où le nom de "sommeil à ondes lentes" ou "sommeil lent" donné à cette phase du sommeil. La fréquence cardiaque, la température centrale et le tonus musculaire diminuent progressivement. C'est au cours du sommeil profond que l'hormone de croissance et la prolactine ont leurs pics de sécrétion journalière. Cette première partie du sommeil dure environ 80 à 90 minutes. Le sommeil paradoxal succède au sommeil lent. Cet état est très particulier; il associe :
L'homme, reveillé au cours de cet état, peut raconter un souvenir de rêve très précis. La durée moyenne du sommeil paradoxal est de 20 minutes environ. La succession temporelle de sommeil lent et de sommeil paradoxal constitue un cycle de sommeil qui se reproduit à intervalles réguliers (90 à 100 minutes). Au cours d'une nuit, 4 à 6 cycles de sommeil se succèdent, selon la durée totale du sommeil. La durée du sommeil de nuit, variable selon les personnes, est en moyenne de 7 h 30 + 2 heures. L'étude clinique et expérimentale a montré, à côte de l'influence de l'environnement, celle de l'hérédité sur le sommeil (1). Il existe en effet des familles de petits ou gros dormeurs. L'"hybridation naturelle" (un parent petit dormeur, l'autre gros dormeur) produit des descendants petits, moyens ou gros dormeurs. Cette notion est importante pour interpréter la résistance à la privation de sommeil. La conception actuelle du sommeil suggère que les mécanismes de déclenchement et de production du sommeil lent sont différents de ceux du sommeil paradoxal (1,2). Pour chaque etat de sommeil, il existerait un ensemble de neurones responsables de la synthèse de substances hypnogènes. Ces dernières seraient synthétisées progressivement au cours de l'éveil et déclencheraient l'envie de dormir à partir d'un certain seuil. Ces substances, vraisemblablement de nature peptidique, n'ont pas encore été isolées. Elles agiraient sur d'autres ensembles neuronaux responsables des différents signes du sommeil. D'autres mécanismes assez bien connus (horloge biologique) contrôlent la survenue dans le temps des états de sommeil (1,2). La privation du sommeilLa privation de sommeil est l'empêchement de la survenue normale du sommeil. Il est aisé de comprendre que la prolongation de l'éveil entraîne une accumulation anormale de substances hypnogènes. Ces dernières sont, peut-être, métabolisées en dérives qui seraient toxiques et entraîneraient les différents troubles qui seront décrits ci-dessous. Cette hypothèse rend compte des troubles progressivement croissants avec la durée de la privation. La privation de sommeil est à distinguer de l'absence de sommeil due à la non-synthèse de ces substances hypnogènes et caractérisée par le fait que les personnes n'éprouvent pas le besoin de dormir malgré des éveils très prolongés. L'absence de sommeil ou agrypnie se rencontre dans certaines maladies neurologiques (chorée de Morvan) L'ignorance des voies de synthèse de ces substances empêche l'étude expérimentale des effets de l'absence de sommeil. Méthodes de privationSchématiquement, elles sont au nombre de deux: méthode instrumentale et méthode pharmacologique. La méthode instrumentale consiste à empêcher le sommeil par des stimulations variées (exercice physique, secousses, chocs, etc.) dont la liste s'allonge avec l'imagination de l'expérimentateur ou du tortionnaire. La méthode pharmacologique consiste à administrer des substances qui stimulent l'éveil ou qui bloquent l'expression des signes du sommeil. Les deux méthodes ont en commun le phenomène de rebond. A l'arrêt des stimulations ou à la fin de l'action des drogues, si le sujet est laissé libre de dormir, on constate que la durée de sommeil est augmentée. Cette augmentation, proportionnelle à la durée de la privation, représente environ 50 à 60% de la dette de sommeil. Effets de la privation de sommeilLes effets sont variables selon les individus. L'étude génétique et les notions de "petits" ou "gros" dormeurs sont trop récentes pour qu'elles aient été prises en compte dans l'étude des effets de la privation. Les effets se manifestent des 24 heures de privation. A. Privation totale du sommeilLa durée des expériences contrôlées varie de 1 a 11 jours (264 h). Les effets sont multiples et leur intensité est fonction de la durée de privation et de l'état de stress du sujet. 1. Les troubles de l'humeur sont les premiers à se manifester. On observe:
2. Instabilité psychomotrice. La personne ne peut rester immobile. Elle éprouve le besoin de se déplacer, de changer de place, de position (debout, assis). De ce fait, elle a des difficultés à fixer son attention. 3. Les troubles de la sphère visuelle sont multiples et variés
4. Troubles somesthésiques. Dysesthésies: la personne perçoit des fourmillements des extrémités (mains, pieds). Au niveau de la face, elle a l'impression d'avoir un chapeau très serré. Des trémulations des paupières et au niveau des membres sont observables. Les tests mettent en évidence une augmentation de la sensibilité à la douleur. 5. Les troubles auditifs sont très inconstants. Le sujet entend des bruits paraissant lointains (sifflements, cloches). 6. Désorganisation de la pensée. Les troubles se caractérisent par:
7. Syndrome végétatif (inconstant). Il est possible d'observer une tachycardie modérée et une hyperthermie (38°-38°5). De plus, l'augmentation de la sensation de faim entraîne une hyperphagie. Des céphalées, des gastralgies, une augmentation de la libido peuvent être observées. 8. La perception temporelle est modifiée. Tantôt le sujet croit que le temps passe vite, tantôt il le croit ralenti. Ce fait est objectivé par le test du "tapping"; on demande au sujet de battre la seconde: il tape plus vite ou plus lentement que le temps réel. B. Privation partielleLa privation partielle est réalisée avec les mêmes méthodes que la privation totale mais elle est limitée à 2, 3 ou 5 heures chaque jour. Les changements de rythmes de travail peuvent entraîner des privations de sommeil. Les mêmes troubles sont observés mais leur apparition est plus progressive et peut s'étaler sur plusieurs semaines. Résistance à la privation de sommeilLa résistance à la privation de sommeil n'a pas fait l'objet de publications. Une hypothèse devrait être testée: est-ce que les "petits" dormeurs sont plus résistants à la privation que les "gros" dormeurs ? Les associations de privations paraissent diminuer la résistance. La privation de lumière (obscurité complète, cagoule, etc.), la privation de sons extérieurs qui amplifie les sons internes (coeur, articulations, intestin) sont très mal supportées. Les conditions psychologiques influencent beaucoup la résistance. R. Siegel (8) a fait une revue de 30 cas de prise d'otages. Ces personnes soumises à l'isolement, à la privation de lumière et à la restriction de mouvement peuvent présenter des hallucinations visuelles survenant en quelques heures si toutes ces contraintes sont accompagnées de menaces de mort. L'association de privation de sommeil avec l'administration de psychotropes a été très peu étudiée. Les benzodiazépines posent des problèmes médico-légaux. En effet, associées à I'alcool, elles entraînent une très forte suggestibilité accompagnée d'amnésie lacunaire de quelques heures. La résistance est très augmentée si le sujet peut dormir quelques heures. A la fin de la privation, le phénomene de rebond est observé. La durée du sommeil est fortement augmentée. Les troubles disparaissent pour la plupart après un à deux jours de sommeil. A quels signes peut-on reconnaître une personne privée de sommeil ?Les signes qui ont été décrits au paragraphe précédent sont également observables dans d'autres syndromes pathologiques: ils ne sont donc pas spécifiques de la privation de sommeil. Cependant, certains sont évocateurs et doivent être recherchés. 1. Le faciès de la personne privée de sommeil a été décrit sous le nom de syndrome de Midzenty (évêque tchèque) caractérisé par des cernes importants au niveau des paupières, des yeux rouges et des trémulations des muscles de la face, principalement des paupières. 2. Le comportement doit attirer l'attention. Le sujet est prostré, indifférent, ou manifeste une instabilité psychomotrice et une certaine irritabilité aux questions posées. Le sujet parle a voix basse, nécessitant de faire répéter. La personne se frotte les mains, les bras, le front (témoin des dysesthésies). 3. Rechercher les autres signes :
La présence de plusieurs de ces signes permet d'évoquer la privation de sommeil sans qu'ils soient une preuve formelle. Zones à risques de privation de sommeilIl est possible de définir quatre grands groupes de risques de privation de sommeil. 1. Zones à risques dépendantes de la justice:
2. Dans les hôpitaux:
3. Organisation des horaires de travail Le sommeil est favorisé par des horaires réguliers. Tout changement d'horaires entraîne des perturbations du sommeil. Le travail de nuit, le travail posté, les horaires irréguliers (chauffeurs routiers, vols transméridiens fréquents, etc.) provoquent des troubles semblables à ceux décrits lors des privations de sommeil experimentales. La répétition fréquente de ces troubles peut entraîner chez certaines personnes un syndrome narcoleptique caractérisé par la survenue de sommeil paradoxal au cours de l'éveil. La narcolepsie est à l'origine de nombreux accidents de travail et de la route. Dans un grand nombre de cas (90%), les narcoleptiques sont porteurs d'un groupe tissulaire particulier (DR2). L'inadaptabilite aux changements de rythme devrait être dépistée pour que ces personnes ne soient pas soumises à ces changements. 4. Dans les familles:
En conclusion, la privation de sommeil volontaire ou involontaire est un phenomène fréquent et de plus en plus fréquent actuellement. Utilisée volontairement, elle est une atteinte à la personne physique et psychique d'autant plus pernicieuse et perverse qu'elle ne laisse pas de séquelles physiques. Cependant chez des sujets fragiles, des syndromes psychotiques ont été observés après une privation prolongée de sommeil. |