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Par Françoise Parot,
maître de conférences à l'université Paris-V.
Philosophie, neurophysiologie, psychanalyse, ethnologie...
Le rêve a suscité l'intérêt des courants de
pensée les plus divers. Voici quelques ouvrages de référence
pour se repérer dans l'éventail des interprétations.
Françoise Parot est l'auteur de L'Homme
qui rêve aux Presses Universitaires de France.
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HOMERE, FREUD, LE GOFF, ELIADE, JOUVET..
" Quand on rêve on ne tombe pas hors du monde. "
La neurophysiologie moderne semble confirmer cette formule freudienne.
L'hypothèse de J. Allan Hobson, dite " activation-synthèse
", présente le rêve comme un état particulier
au cours duquel des neurones sont " allumés " comme s'ils
recevaient réellement des informations sensorielles alors que le
" cerveau-esprit " (le cortex) doit, à partir de ces
fausses informations, structurer un scénario qui se tienne tant
bien que mal. Le cerveau-esprit ferait en quelque sorte son travail, avec
le peu dont il dispose, pour donner du sens à ce qui n'en a pas
: des salves électriques, des " allumages " plus ou moins
anarchiques de neurones.
Cette hypothèse peut paraître étrange: elle fait
du cerveau un double de l'organisme qui obéit à sa propre
nature, donner du sens. Malgré cette conception philosophiquement
problématique, l'hypothèse de Hobson a un très grand
mérite : elle permet de mieux comprendre pourquoi Pénélope,
dans les rêves rapportés par Homère, ne se voit pas
sortir de son corps ou courir nue sur la place publique. Pénélope
rêve " comme " une Grecque du XIIIe siècle, avec
ce que son cortex " a sous la main " quand des salves électriques
lui parviennent pendant le sommeil. Or, qu'y a-t-il dans sa boîte
à outils pour fabriquer ses rêves ? Des informations stockées
dans des neurones, agencées en réseaux qui correspondent
aux structures du monde dans lequel elle vit. Ces informations comprennent
ce que Freud présente dans son Interprétation des rêves,
à savoir le matériel somatique (les informations venant
du corps) et des souvenirs divers: restes diurnes (ce que Pénélope
a vécu dans la journée), souvenirs d'enfance, mythes, contes,
légendes, croyances religieuses, modes de rapports sociaux, etc.,
bref tout ce qui fait lí " acculturation " d'un individu
à une société donnée.
C'est ce qu'enseignent les approches anthropologiques des rêves
: un roi grec rêve des oracles qui parlent du pouvoir qu'il assume.
Un Indien d'Amérique rêve que son âme part rejoindre
le royaume des ancêtres et des morts, le monde du totem. Parce que
les romantiques sont baignés dans les croyances piétistes
et l'ésotérisme qui a persisté en Allemagne, ils
rêvent de l'âme du monde, et leur cortex leur permet la nuit
de renouer avec l'harmonie qui les obsède.
L'étude des rêves doit donc tenir compte du caractère
des cultures dans lesquelles on rêve. Mais cette approche mène
inévitablement à s'interroger sur l'ensemble de nos convictions
contemporaines sur les songes. Dans chaque culture, en effet, on rêve
du monde qu'on a dans la tête; et quand on rêve on ne tombe
pas hors du monde. Pour comprendre le sens profond de cette formule, il
convient chaque fois de situer les rêves dans le cadre culturel
global dans lequel ils surviennent. C'est à ce voyage que convie
la bibliographie qui suit.
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E. R. Dodds Les Grecs et l'irrationnel
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Ce livre a fait l'objet de nombreuses critiques, notamment de la
part de certains anthropologues. Il a pourtant un immense mérite
: il invite à un regard passionnant sur le monde grec; on
a beaucoup reproché à Dodds d'importer dans ce monde
des outils d'analyse adaptés en fait aux Occidentaux du XXe
siècle. On trouve en effet ici et là des interprétations
psychanalytiques assez anachroniques; cet inconvénient surmonté,
le livre de Dodds permet de comprendre que la pensée grecque
ne peut être réduite aux écrits philosophiques.
Dodds accorde une large part aux rêves. Les poèmes
homériques, écrits au VIIIe et VIIe siècles,
constituent le point de départ de l'analyse: on y trouve
de nombreux récits de rêves dans lesquels un personnage
nommé Oneiros, dieu ou héros mythique, entre dans
la chambre du dormeur et délivre un message. Plus l'homme
est important, plus le message aura valeur d'oracle. Dans
d'autres récits, le rêve est une vision qui nécessite
une interprétation. Comme la plupart des autres peuples,
les Grecs font une distinction entre ceux qui sont vrais et passent
par la " porte de corne " et ceux qui trompent et passent
par la " porte d'ivoire ".
Le rêve grec présente un caractère particulier:
il est " vu " par un donneur passif, alors que nous, Occidentaux
contemporains, " faisons " un rêve. Le rêve
homérique est envoyé au dormeur par un autre monde,
tout aussi objectif que celui de la veille, celui des dieux et des
héros; il est reçu comme un " présent
" et est en cela recherché. Dodds montre ensuite la
manière dont l'attitude des Grecs face au rêve se modifie
sous l'influence principalement des Scythes venus d'Asie centrale.
Leur conviction s'amplifie peu à peu - en raison de la culture
chamanique que les Scythes apportent en Thrace - que l'âme
est séparable du corps au moment de la mort et pendant le
sommeil: ses voyages d'alors correspondent au vécu onirique.
Les poèmes attribués au mythique Orphée propagent
cette conviction au VIe siècle et la mêlent à
celle, religieuse, de la Grèce classique. Le rêve devient
un voyage de l'âme vers le royaume des morts. Ces croyances
sont au moins aussi influentes dans la Grèce antique que
l'attitude rationnelle à l'égard du rêve, celle
d'Aristote par exemple qui fait du rêve prophétique
une simple coïncidence (symbolon) et se révèle
en cela presque trop " moderne " pour une civilisation
qui entretient avec le monde un rapport surnaturel.
Ce livre peut donner envie de lire : Homère :
L'Iliade et l'Odyssée, dans une de leurs nombreuses
éditions; Aristote: Parva Naturalia - Petits traités
d'histoire naturelle, Belles Lettres, Paris, 1965; La Vérité
des songes, De la divination dans le sommeil, traduit du grec
et présenté par Jackie Pigeaud, Rivages poche, Paris,
1995; et bien sûr les livres de J. -P. Vernant.
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E.R. Dodds
Les Grecs et l'irrationnel
Champs, Flammarion, Paris, 1977. (1ère éd. 1959) |
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Homère
L'Iliade et l'Odyssée
Bouquins, Robert Laffont, Paris, 1995. |
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Aristote
La Vérité des songes, De la divination dans le sommeil
traduit du grec et présenté par Jackie Pigeaud, Rivages
Poche, Paris, 1995. |
Jacques Le Goff
L'imaginaire médiéval
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Ce grand livre, qui fait suite aux essais publiés en 1977
dans Pour un autre Moyen Age, éclaire davantage encore
sur líintérêt de l'auteur pour l'imaginaire
qu'il prend, fort heureusement, la peine de définir. Ce livre
passionnant fait apparaître la solidarité profonde
qui unit l'ensemble des productions imaginaires d'une époque
donnée.
Après avoir analysé le coeur même de l'imaginaire
médiéval, le merveilleux, carrefour de la religion,
de la création littéraire et de la pensée,
Le Goff étudie les images du temps et de l'espace, puis,
essentielles, celles du corps, tellement méprisé par
l'Eglise, tellement investi par l'imaginaire. Le livre fait ensuite
une large place à l'attitude médiévale à
l'égard du rêve.
Cette attitude est double; elle allie, comme c'est souvent le cas,
la fascination à la méfiance : à côté
d'une profusion de récits de rêves dont le contenu
est très lié aux préoccupations religieuses,
une volonté de l'Eglise de dénoncer l'origine diabolique
des rêves et de se détourner de toute étude
de leur contenu. On retrouve dans le christianisme une distinction
antique entre les rêves vrais, envoyés par Dieu et
reçus par les martyrs et les saints, et les rêves trompeurs,
envoyés par le diable. Comme la distinction entre eux n'est
pas toujours aisée, l'Eglise préfère en détourner
le chrétien, et puisque personne ne peut entrer en contact
avec le monde invisible, il faut qu'elle intercède.
Le Goff montre combien la société médiévale
est une " société aux rêves bloqués
"; l'interdiction qui frappe l'imaginaire provoque le recours
aux sorciers, à un surnaturel clandestin, puis dans le Moyen
Age plus tardif, une " épidémie de rêves
".
Ce livre peut donner envie de lire : Jean-Claude Schmitt:
Les Revenants; les vivants et les morts dans la société
médiévale, Gallimard, Paris,1994; Martine Dulaey:
Le Rêve dans la vie et la pensée de saint Augustin,
Etudes augustiniennes, Paris, 1973.
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Jacques Le Goff
L'imaginaire médiéval
Gallimard, Paris, 1985. |
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Jean Claude Schmitt
Les Revenants, les vivants et les morts dans la société
médiévale
Gallimard, Paris, 1994. |
Lucien Lévy-Bruhl
La Mentalité primitive
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Ce classique de la littérature ethnologique est l'oeuvre
d'un philosophe qui s'intéresse à la science des moeurs
comme étude des comportements qui varient avec les époques
et les lieux. Lucien Lévy-Bruhl est convaincu de l'existence
díune différence irréductible entre l'esprit
de l'homme civilisé et celui de l'homme qu'il qualifie comme
ses contemporains de " primitif ". La " mentalité
" primitive se caractérise essentiellement par la croyance
en un monde non sensible, animé par les esprits des morts,
des animaux et des végétaux. Pour un primitif, ce
monde est réel, inextricablement mêlé au monde
sensible.
La Mentalité primitive, composé de quatorze
chapitres, comporte deux parties: la première, théorique,
tente de caractériser, la mentalité primitive par
une conception mystique de la causalité. La seconde illustre
cette définition par l'absence de la pensée que nous
qualifions de logique et le recours à la magie. C'est dans
ce cadre que Levy-Bruhl consacre un chapitre aux rêves : dans
les sociétés archaïques, le rêve constitue
un voyage de l'âme pendant le sommeil; son absence provoque
une immobilité qui préfigure celle de la mort. Au
cours de ses voyages nocturnes, l'âme s'en va visiter le monde
invisible peuplé des ancêtres, des animaux, des forces
naturelles. Lucien Lévy-Bruhl rapporte de nombreux récits
(sans avoir toujours un regard suffisamment critique sur ses sources)
qui étayent la croyance selon laquelle ce qui est vécu
en rêve est véritable et aussi important que ce qui
est vécu en veille.
L'étude du rêve primitif montre le rôle social
de celui-ci : non seulement il met l'individu en relation avec le
monde non visible mais il assigne à chacun sa place; l'âme
du donneur est un fragment de l'âme tutélaire du groupe,
constitué de tout ce qui confère au groupe son identité.
L'ouvrage de Lucien Lévy-Bruhl a fait l'objet de critiques
(les premières venant de l'auteur lui-même) contre
sa conviction que la mentalité primitive ignorerait les principes
logiques. Mais ce livre est toujours un ouvrage de référence
et rapporte les récits de rêves sur lesquels se
sont fondées de nombreuses études ethnologiques.
Ce livre peut donner envie de lire: J. G. Frazer: Le
Rameau d'or, Robert Laffont, collection Bouquins, Paris, 1981
(1ère édition: 1890), un grand classique de la littérature
ethnologique; Mircea Eliade: Mythes, rêves et mystères,
Gallimard, Paris, 1957. Il faudrait lire aussi les textes recueillis
par Roger Caillois dans Le Rêve et les sociétés
humaines, Gallimard, Paris, 1967... dont on attend la réimpression.
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Lucien Lévy-Bruhl
La Mentalité primitive
PUF, Paris, 1922. |
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Mircea Eliade
Mythes, rêves et mystères
Folio/essais, Gallimard, Paris, 1957. |
Gotthilf Heinrich Schubert
La Symbolique du rêve
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Schubert expose ici le point de vue des romantiques sur le rêve.
Eduqué dans la foi piétiste, il a été
l'élève des fondateurs de la Naturphilosophie allemande
dont il a brillamment poursuivi l'oeuvre. Lorsque, plus tard, il
fut influencé par le philosophe mystique Franz Baader, il
infléchit sa pensée dans une direction plus métaphysique.
Comme tous les romantiques, Schubert est moniste : il considère
l'univers comme un gigantesque organisme dont l'étude résiste
au mécanisme de l'époque des Lumières. Loin
de la raison et de ses calculs, il revendique l'intuition du monde,
la nécessité de dépasser les limites inhérentes
à la connaissance rationnelle par un retour à l'intériorité,
retour à ce morceau de l'âme du monde contenue en soi,
pour comprendre le langage universel du grand Livre de la Création.
Dans La Symbolique du rêve, Schubert révèle
l'unité profonde du langage de la poésie et du rêve
qui a sa source dans les côtés nocturnes de notre être,
côtés que Carus, maître philosophe de la Nature,
va bientôt nommer " inconscient ", sans y mettre
le contenu freudien. Le langage onirique est l'activité naturelle
de l'âme qui s'exprime en harmonie avec l'inconscient cosmique
dont elle relève. La langue du rêve est poétique,
elle prophétise et révèle le destin poétiquement;
toute tentative pour l'interpréter rationnellement,
dans le langage de la prose, ne serait que vanité. Le monde
invisible n'est plus transcendant au monde sensible, il lui est
immanent, chacun porte en lui une part du sacré.
Dans la seconde partie de l'ouvrage, l'auteur tente de mettre en
accord ces conceptions mystiques avec la physiologie romantique
qui oppose le système cérébral et le système
ganglionnaire responsable des états de clairvoyance, de semi-conscience,
de rêve. Il évoque, dans le poète caché
qui sommeille en nous, le démon plein de passions et de vices
inavouables qui peuplera l'inconscient freudien. Cette condition
de mortel ne peut être surmontée que dans l'amour divin,
exhortation qui clôt le livre.
Ce livre peut donner envie de lire: Les nombreux ouvrages
que G. Gusdorf a consacrés au romantisme chez Payot; et bien
sûr l'ouvrage d' Albert Béguin L'Ame romantique
et le rêve, Corti, Paris, 1939.
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Gotthlif Heinrich Schubert
La Symbolique des rêves
Albin Michel, Paris, 1982. (1ère édition: 1814) |
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Albert Béguin
L'Ame romantique et le rêve
Le Livre de poche, Biblio essais, José Corti, Paris, 1939. |
Stephen LaBerge
Le Rêve lucide; le pouvoir de l'éveil et de la conscience
dans vos rêves
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Ce livre célèbre est tout autant inspiré par
le courant New Age californien que par la neurophysiologie
du sommeil paradoxal. Héritier d'Hervey de Saint-Denys, Stephen
LaBerge a entrepris de réhabiliter le rêve lucide auprès
des scientifiques: ceux-ci doutent encore de la possibilité
d'être à la fois lucide et endormi.
Il s'agit en fait de rêves spécifiques, auxquels certains
dormeurs sont plus aptes que d'autres, durant lesquels on a conscience
d'être en train de rêver; avec quelque entraînement,
on peut diriger le scénario de son rêve. Toute la polémique
porte bien sûr sur l'état réel dans lequel se
trouve alors le dormeur : est-il en sommeil paradoxal ou en semi-éveil
? LaBerge fait preuve de beaucoup d'enthousiasme, d'une grande force
de conviction et profite fort bien de l'attirance du publie pour
ces états paranormaux; l'étude du rêve lucide
a d'ailleurs été, avant LaBerge, du ressort presque
exclusif des parapsychologues.
L'intérêt pour la méditation transcendantale
et le yoga, le discours initiatique de Stephen LaBerge, contribuent
au scepticisme persistant des scientifiques. Le succès auprès
du grand publie demeure pourtant intact, tant l'auteur écrit
de façon plaisante et parfaitement accessible.
Ce livre peut donner envie de lire : Patricia Garfield
: La Créativité onirique, la Table ronde,
Paris, 1983, qui a eu beaucoup de succès aux Etats-Unis.
Hervey de Saint-Denys : Les Rêves et les moyens
de les diriger, Editions d'Aujourd'hui, Le Plan de la Tour,
Var, 1977; Editions Oniros (édition intégrale), Ile
Saint-Denis, 1995.
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Stephen LaBerge
Le Rêve lucide; le pouvoir de l'éveil et de la conscience
dans vos rêves
Oniros, Ile SaintDenis, 1991. (1ère éd.: 1985) |
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Hervey de Saint Denys
Les Rêves et les moyens de les diriger
Oniros, Ile Saint-Denis, 1995. |
Sigmund Freud L'interprétation des rêves
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Alors que dans le romantisme, le rêve est une expérience
psychique privilégiée, il est pour Freud un moyen
d'investigation psychologique. Tel est l'apport fondamental inauguré
par ce livre achevé et paru en novembre 1899 (bien que l'éditeur
est daté la parution de 1900), traduit pour la première
fois en français par Ignace Meyerson en 1926).
Sur la base de son expérience clinique avec les névrosés,
Freud analyse ses propres rêves et va fonder sur cette étude
sa conception de l'inconscient. Pour Freud, l'inconscient est constitué
des contenus de la sexualité infantile refoulés sous
la pression de la censure sociale; ces contenus refoulés,
investis d'énergie pulsionnelle, tentent d'émerger
mais, en raison des exigences de la conscience, ils ne peuvent le
faire que sous forme déguisée, après avoir
" formé des compromis ".
Le rêve résulte de l'un de ces compromis, quotidien
et normal le seul que l'homme sain puisse former. Il est une voie
royale d'accès à l'inconscient puisqu'en démontant
les déformations que le psychisme imprime sur les contenus
inconscients, le psychanalyste peut espérer approcher ces
contenus et connaître l'inconscient. Ces déformations
constituent le " travail de rêve ", qui permet de
passer du contenu latent au contenu manifeste, grâce à
des mécanismes tels le déplacement et la condensation.
L'étude minutieuse de ces procédures de travail du
rêve constitue la partie la plus conséquente de L'Interprétation
des rêves, dans laquelle Freud élabore une véritable
logique de l'imaginaire, qu'il étend d'ailleurs à
d'autres formes symboliques que le rêve.
Après un exposé très complet et précieux
de l'ensemble de la littérature sur le rêve, le père
de la psychanalyse en vient à la description des matériaux
de ces déguisements : les souvenirs récents (restes
diurnes) ; le matériel somatique, parmi lesquels le désir
de dormir; les souvenirs du passé d'enfant et un ensemble
de symboles plus ou moins universels (qui représentent surtout
des contenus sexuels) sur lequel la vulgate freudienne, contrairement
à Freud, a mis l'accent.
Le rêve est donc ici un message envoyé au dormeur
par une force intérieure à celui-ci. Comme chez les
romantiques, le rêve est l'occasion de renouer avec la totalité
de l'être, mais cet être est uniquement l'auteur de
lui-même et tout se joue au-dedans de lui.
Cet ouvrage est un véritable monument dans l'histoire des
conceptions du rêve, très agréable à
lire parce qu'il comporte de nombreux récits de songes à
côté de considérations assez ardues. Mais mieux
vaut lire l'oeuvre elle-même que ses commentateurs qui, bien
souvent, n'y ont trouvé que ce qu'ils y ont mis.
Ce livre peut donner envie de lire : tous les autres livres
de Freud, et de très nombreux ouvrages comme celui
par exemple de Géza Roheim, anthropologue freudien,
Les Portes du rêve, Payot, Lausanne, 1973.
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Sigmund Freud
Sur le rêve
Folio/essais, Gallimard, Paris, 1988. |
J. Allan Hobson
Le Cerveau rêvant
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La thèse de J. Allan Hobson sur le rêve présentée
dans cet ouvrage est sans doute la plus stimulante de ces dernières
années. Neurophysiologiste et professeur de psychiatrie à
Harvard , Hobson s'emploie à montrer que la théorie
freudienne ne peut être maintenue devant les progrès
de la neurophysiologie et propose un point de vue réellement
novateur mais non réductionniste de l'activité onirique.
Il propose une hypothèse qui rend compte des états
de l'organisme pendant le sommeil paradoxal et du résultat
de cette activité : les scénarios de rêves recueillis.
La première partie de cet ouvrage est consacrée aux
différents étapes de la science des rêves, y
compris les conceptions de Freud et Jung, avec une nette préférence
pour ce dernier. La deuxième partie présente un exposé
très complet et très clair de l'ensemble des connaissances
neurophysiologiques sur les états de conscience et le sommeil
paradoxal.
Hobson expose ensuite son hypothèse selon laquelle le cerveau,
à intervalle régulier, est activé par un générateur
interne, qui " mime " l'activation neuronale se produisant
pendant la veille. Devant cette activation, le cortex effectue,
parce que c'est son travail, une synthèse des informations
" allumées " avec les moyens du bord, c'est-à-dire
avec l'information stockée dans le cerveau: les restes de
la journée, les souvenirs divers des événements
de sa vie et de l'ensemble des choses qu'il a apprises: "
Le cerveau-esprit fait de son mieux pour donner un sens aux signaux
díorigine interne... [il] doit peut-être aller chercher
au plus profond de ses mythes pour trouver une structure narrative
susceptible de rassembler toutes les données. "
On aura compris que le livre de Hobson soulève des questions
philosophiques, et que c'est l'un de ses mérites.
Ce livre peut donner envie de lire : Sigmund Freud
: L'interprétation des rêves, PUF, Paris, 1967;
ou un autre livre de J. Allan Hobson, avec une iconographie
très attrayante : Sleep, Scientific American Library, New
York,1995.
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J. Allan Hobson
Sleep
Scientific American Library, New York, 1995. |
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J. Allan Hobson
Le Cerveau rêvant
Gallimard, Paris, 1988. |
Carl Gustav Jung
L'Homme à la découverte de son âme
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Il s'agit de textes épars de Carl Gustav Jung, le grand
psychanalyste suisse, réunis par Roland Cohen en 1943. On
y trouve exposés les fondements de son oeuvre complexe, et
le plus souvent méconnue en France.
Jung a été, pendant quelques années, le dauphin
de Freud, mais il diverge de celui-ci sur l'importance accordée
par Freud à la sexualité dans la constution de l'inconscient.
Pour Jung, l'inconscient, en tant que composante du psychisme, est
aussi collectif; proche de l'inconscient cosmique des romantiques,
il est peuplé et structuré par des archétypes,
des structures mentales universelles qui s'expriment dans le vécu
sous forme d'images archétypales, que l'on découvre
dans les rêves, et qui tiennent en partie leur contenu de
l'univers culturel du rêveur et des mythes humains.
Après l'exposé des fondements de la conception yungienne
de l'inconscient, plus empreint de spiritualité que de refoulement,
et l'analyse de sa théorie des complexes, la troisième
partie de l'ouvrage est consacrée aux rêves et à
leur imbrication avec les mythes. Pour Jung, le rêve est à
lui-même sa propre interprétation ; comme les
romantiques, il recommande de les comprendre de l'intérieur
: le rêve exprime directement, dans un langage symbolique,
l'inconscient individuel et collectif.
Ce livre peut donner envie de lire : un autre ouvrage de
Jung, et pourquoi pas en guise d'introduction à cette
oeuvre difficile, Ma vie (souvenirs, rêves et pensées)
Gallimard, Paris, 1985, autobiographie réalisée
juste avant sa mort, en 1961.
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Carl Gustav Jung
L'Homme à la découverte de son âme
Albin Michel, Paris, 1987 (1ère édition 1943). |
William C. Dement
Dormir, rêver |
William Dement a
été l'un des artisans de la conception contemporaine du
sommeil paradoxal. Avant de constituer une clinique d'étude du
sommeil à Stanford, il a travaillé dans le laboratoire de
Chicago avec Nathaniel
Kleitman et Eugen
Aserinsky et isolé le sommeil à mouvements oculaires
rapides comme étant celui dans lequel surviennent les rêves.
Il a découvert que ce sommeil existe aussi chez le chat et ainsi
ouvert la voie aux expériences décisives sur l'animal.
Dormir, Rêver s'adresse d'abord aux étudiants et
aux non-spécialistes, ce qui en fait un ouvrage très accessible,
agréable à lire. Dement
prend le soin de répondre clairement aux questions que chacun se
pose: quels sont les effets de la privation de rêve (ou de sommeil
en général, domaine dans lequel Dement
a réalisé des travaux pionniers) ? Pourquoi ne se souvient-on
que de certains rêves? Y a-t-il des relations entre les rêves
d'une même nuit, des séries de rêves ?
Après avoir abordé les points principaux des connaissances
sur le rêve, Dement
analyse, dans la deuxième partie du livre, les différents
troubles du sommeil en général et leurs liens avec les maladies
mentales, en particulier chez les schizophrènes : il semble que
les psychotiques ne connaissent pas l'effet de rebond de sommeil paradoxal
après la privation de ce sommeil, comme c'est le cas chez les sujets
" normaux ". Dement relie ce phénomène à
une insuffisance de sérotonine qui serait aussi à l'origine
des hallucinations à l'état de veille.
Ce livre peut donner envie de lire : Jean-Michel Gaillard : Le
Sommeil; ses mécanismes et ses troubles, Doin, Paris, 1990,
Payot, Lausanne, 1990, qui constitue un livre de référence
sur ce sujet.
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William
C. Dement
Dormir, rêver
Le Seuil, Paris, 1996. |
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Jean-Michel Gaillard
Le
Sommeil; ses mécanismes et ses troubles,
Doin, Paris,1990. |
Michel Jouvet
Le Sommeil et le rêve
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Il s'agit d'un recueil des principaux articles de Michel Jouvet
sur le sommeil paradoxal. Spécialiste de la neurobiologie
des états de vigilance, Jouvet a largement contribué
à caractériser l'état paradoxal en étant
le premier à tenir compte d'une caractéristique essentielle
: l'atonie musculaire qui accompagne l'intense activité corticale.
Il a mis en évidence, chez le chat principalement, les structures
responsables de cet état.
A travers plusieurs de ces articles, Jouvet présente son
hypothèse quand à la fonction du sommeil paradoxal,
à partir des constatations suivantes : on trouve ce type
de sommeil chez les espèces homéothermes mais non
chez les poïkilothermes (sans régulation thermique);
ce sommeil n'est présent chez le nouveau-né qu'à
l'achèvement de la maturation nerveuse. Pour le chercheur
lyonnais, le sommeil paradoxal serait un substitut de la neurogenèse,
de la fabrication des cellules neuronales qui cesse chez les homéothermes
avec la maturation alors qu'elle dure toute la vie chez les poïkilothermes.
Ce sommeil aurait pour rôle de " réengrammer
" des informations génétiques contenues dans
les neurones, qui disparaissent et ne sont pas remplacées
quand il n'y a pas ou plus de neurogenèse. Le rêve
servirait donc à passer en revue cette information héréditaire
et à la réactiver. Cette hypothèse explique
pourquoi le chat qui a subi certaines lésions ne montre pendant
son sommeil paradoxal que les comportements typiques de son espèce
(léchage, fuite, attaque ... ) .
Ce livre peut donner envie de lire : les autres livres
de cette rubrique bibliographique. Ou bien encore le livre de Pierre
Cheymol: Les Empires du rêve, Corti, Paris, 1994,
dont l'ambition encyclopédique permet de bien situer l'entreprise
neuropsychologique.
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Michel Jouvet
Le Sommeil et le rêve
Odile Jacob, Paris, 1992. |
Claude Debru
Neurophilosophie du rêve
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C'est le livre d'un philosophe, historien des sciences, passionné
par le travail de laboratoire de neurobiologie de Michel Jouvet. Claude
Debru a passé plusieurs mois auprès du chercheur lyonnais
et, grâce à son regard de philosophe -souvent émerveillé
-, il a initié une réflexion nouvelle sur le cerveau,
la pensée et, singulièrement, le rêve.
Ce livre est donc une somme, qui représente ce que le philosophe
a dû apprendre pour s'intégrer à l'équipe
de Jouvet. On y trouve la description minutieuse de l'ensemble des
travaux qui ont précédé ceux de Jouvet, puis
l'apport du maître, ses hésitations, ses errements
peut-être et ses découvertes.
Les études menées sur les chats ont été,
on le sait, décisives pour Jouvet et lui ont permis d'élaborer
sa théorie tout autant que de caractériser magistralement
l'état paradoxal. Une longue partie leur est consacrée,
très détaillée. De même, un long développement
très documenté explique la neurochimie de la phase
paradoxale. Debru nous présente enfin l'état des connaissances
en matière d'ontogenèse du sommeil paradoxal, point
tout aussi décisif pour la thèse de Jouvet qui fait
du rêve un substitut de la neurogenèse.
Au total, un livre extrêmement précieux car
Claude Debru ne laisse rien dans l'ombre. Un livre aride peut-être
mais indispensable: il présente l'ensemble des connaissance
en neurobiologie mieux que ne le fait un spécialiste, avec
un bien plus grand souci de clarté.
Ce livre peut donner envie de lire : les articles de Michel
Jouvet et des livres de Georges Canguilhem sur la démarche
scientifique, comme Idéologie et rationalité dans
l'histoire des sciences de la vie, Vrin, Paris, 1977, ou
Etudes d'histoire et de philosophie des sciences, Vrin Paris,
1968.
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Michel Jouvet
Le Sommeil et le rêve
Odile Jacob, Paris, 1992. |
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Claude Debru
Neurophilosophie du rêve
Hermann, Paris, 1990. |
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