Ce grand livre, qui fait suite aux essais publiés en 1977
dans Pour un autre Moyen Age, éclaire davantage encore
sur líintérêt de l'auteur pour l'imaginaire
qu'il prend, fort heureusement, la peine de définir. Ce livre
passionnant fait apparaître la solidarité profonde
qui unit l'ensemble des productions imaginaires d'une époque
donnée.
Après avoir analysé le coeur même de l'imaginaire
médiéval, le merveilleux, carrefour de la religion,
de la création littéraire et de la pensée,
Le Goff étudie les images du temps et de l'espace, puis,
essentielles, celles du corps, tellement méprisé par
l'Eglise, tellement investi par l'imaginaire. Le livre fait ensuite
une large place à l'attitude médiévale à
l'égard du rêve.
Cette attitude est double; elle allie, comme c'est souvent le cas,
la fascination à la méfiance : à côté
d'une profusion de récits de rêves dont le contenu
est très lié aux préoccupations religieuses,
une volonté de l'Eglise de dénoncer l'origine diabolique
des rêves et de se détourner de toute étude
de leur contenu. On retrouve dans le christianisme une distinction
antique entre les rêves vrais, envoyés par Dieu et
reçus par les martyrs et les saints, et les rêves trompeurs,
envoyés par le diable. Comme la distinction entre eux n'est
pas toujours aisée, l'Eglise préfère en détourner
le chrétien, et puisque personne ne peut entrer en contact
avec le monde invisible, il faut qu'elle intercède.
Le Goff montre combien la société médiévale
est une " société aux rêves bloqués
"; l'interdiction qui frappe l'imaginaire provoque le recours
aux sorciers, à un surnaturel clandestin, puis dans le Moyen
Age plus tardif, une " épidémie de rêves
".
Ce livre peut donner envie de lire : Jean-Claude Schmitt:
Les Revenants; les vivants et les morts dans la société
médiévale, Gallimard, Paris,1994; Martine Dulaey:
Le Rêve dans la vie et la pensée de saint Augustin,
Etudes augustiniennes, Paris, 1973.
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