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Par Françoise Parot,
maître de conférences à l'université Paris-V.
Philosophie, neurophysiologie, psychanalyse, ethnologie...
Le rêve a suscité l'intérêt des courants de
pensée les plus divers. Voici quelques ouvrages de référence
pour se repérer dans l'éventail des interprétations.
Françoise Parot est l'auteur de L'Homme
qui rêve aux Presses Universitaires de France.
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HOMERE, FREUD, LE GOFF, ELIADE, JOUVET..
" Quand on rêve on ne tombe pas hors du monde. "
La neurophysiologie moderne semble confirmer cette formule freudienne.
L'hypothèse de J. Allan Hobson, dite " activation-synthèse
", présente le rêve comme un état particulier
au cours duquel des neurones sont " allumés " comme s'ils
recevaient réellement des informations sensorielles alors que le
" cerveau-esprit " (le cortex) doit, à partir de ces
fausses informations, structurer un scénario qui se tienne tant
bien que mal. Le cerveau-esprit ferait en quelque sorte son travail, avec
le peu dont il dispose, pour donner du sens à ce qui n'en a pas
: des salves électriques, des " allumages " plus ou moins
anarchiques de neurones.
Cette hypothèse peut paraître étrange: elle fait
du cerveau un double de l'organisme qui obéit à sa propre
nature, donner du sens. Malgré cette conception philosophiquement
problématique, l'hypothèse de Hobson a un très grand
mérite : elle permet de mieux comprendre pourquoi Pénélope,
dans les rêves rapportés par Homère, ne se voit pas
sortir de son corps ou courir nue sur la place publique. Pénélope
rêve " comme " une Grecque du XIIIe siècle, avec
ce que son cortex " a sous la main " quand des salves électriques
lui parviennent pendant le sommeil. Or, qu'y a-t-il dans sa boîte
à outils pour fabriquer ses rêves ? Des informations stockées
dans des neurones, agencées en réseaux qui correspondent
aux structures du monde dans lequel elle vit. Ces informations comprennent
ce que Freud présente dans son Interprétation des rêves,
à savoir le matériel somatique (les informations venant
du corps) et des souvenirs divers: restes diurnes (ce que Pénélope
a vécu dans la journée), souvenirs d'enfance, mythes, contes,
légendes, croyances religieuses, modes de rapports sociaux, etc.,
bref tout ce qui fait lí " acculturation " d'un individu
à une société donnée.
C'est ce qu'enseignent les approches anthropologiques des rêves
: un roi grec rêve des oracles qui parlent du pouvoir qu'il assume.
Un Indien d'Amérique rêve que son âme part rejoindre
le royaume des ancêtres et des morts, le monde du totem. Parce que
les romantiques sont baignés dans les croyances piétistes
et l'ésotérisme qui a persisté en Allemagne, ils
rêvent de l'âme du monde, et leur cortex leur permet la nuit
de renouer avec l'harmonie qui les obsède.
L'étude des rêves doit donc tenir compte du caractère
des cultures dans lesquelles on rêve. Mais cette approche mène
inévitablement à s'interroger sur l'ensemble de nos convictions
contemporaines sur les songes. Dans chaque culture, en effet, on rêve
du monde qu'on a dans la tête; et quand on rêve on ne tombe
pas hors du monde. Pour comprendre le sens profond de cette formule, il
convient chaque fois de situer les rêves dans le cadre culturel
global dans lequel ils surviennent. C'est à ce voyage que convie
la bibliographie qui suit.
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