
Je tournai ma chaise vers le feu et tombai dans un demi-sommeil.
De nouveau, les atomes s'agitèrent devant mes yeux [...]
De longues chaînes, souvent associées de façon
plus serrée, étaient toutes en mouvement, s'entrelaçant
et se tortillant comme des serpents. Mais attention, qu'était-ce
que cela ? Un des serpents avait saisi sa propre queue, et cette
forme tournoyait de façon moqueuse devant mes yeux. Je m'éveillai
en un éclair [...] August Kekulé von Stradonitz,
fondateur de la chimie du carbone, ou chimie organique, était
non seulement un grand rêveur, mais aussi un récidiviste.
Déjà, en 1858, la structure des molécules organiques
lui était venue en rêvassant. En 1865, c'est en somnolant
devant un feu qu'il " voit " celle, cyclique, du benzène.
On comprend mal que les universités allemandes n'aient pas
aussitôt institué des cours obligatoires de sieste
créative - avec travaux pratiques puisque apparemment la
découverte onirique réclame un certain entraînement.
Kekulé s'est cependant bien gardé de parler de son
rêve au moment de sa découverte. Il ne l'a fait que
trente-cinq ans plus tard, lors d'un banquet donné en son
honneur. Sage précaution. Sans cela, sa glorieuse carrière
aurait très certainement pris une toute autre direction...
"Apprenons à rêver concluait-il, mais
gardons-nous de rendre publics nos rêves avant qu'ils
n'aient été mis à l'épreuve par notre
esprit bien éveillé."
N.W.
D'Archimède à Einstein, les faces cachées
de l'invention scientifique, chap. Du rêve à la science,
de Pierre Thuillier, Fayard, 1988.
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