
La vulgarisation de la théorie de la relativité incite
à la métaphore. Tout amateur de physique a ainsi entendu
parier d'une mouette suivant un rayon lumineux, et l'a attribuée
sans autre forme de procès au grand Albert Einstein. Pourtant.
on a beau feuilleter en tous sens ses oeuvres complètes,
aucune mouette n'y bat des ailes. Il faut se rendre à l'évidence:
cet animal estimable, et tout aussi relativiste qu'un autre, a été
inventé par un vulgarisateur zélé. De fait,
Einstein ne devait guère aimer les animaux et son univers
métaphorique était assez impitoyable. On y rencontre
beaucoup de trains, des pierres qui tombent, la foudre, des règles
et des horloges, un homme dans une boîte, une table de marbre
et des bâtonnets, ingrédients a priori peu faits
pour exciter l'imagination. Pour couronner le tout, le seul animal
(fugitif) qui ait eu ses faveurs - dans Les théories de
la relativité restreinte et générale - est
un corbeau " supposons un corbeau qui, relativement
à un observateur sur le talus, vole à travers l'air
en ligne droite et d'une manière uniforme. Pour un observateur
dans le wagon en marche, le mouvement du corbeau sera à la
vérité d'une vitesse et d'une direction mais également
rectiligne et uniforme. " S'il n'y a rien là de
très enthousiasmant au plan littéraire, il ne faudrait
pas en conclure qu'Einstein était un piètre rêveur.
Son monde imaginaire, dont il sortait rarement, était même
d'une extraordinaire richesse. En témoignent l'audace de
ses théories et cette lettre adressée en 1942 à
l'un de ses amis: " [ ... ] Dans mes travaux, je suis plus acharné
que jamais, et j'ai réellement l'espoir d'avoir résolu
mon vieux problème de l'unité du champ physique. Cependant,
c'est comme avec un aéronef : cela permet de voler dans les
nuages, sans bien savoir comment on atterrira dans la réalité.
"
N.W.
Les Théories de la relativité restreinte et générale,
de Albert Einstein, Dunod, 1990.
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