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Par Pierre Etévenon
directeur de recherche au Laboratoire de cartographie EEG
Unité Inserm 320, à Caen.
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Une nouvelle méthode d'imagerie cérébrale,
appelée "cartographie EEG dynamique", permet
d'obtenir des cartes de l'activité électrique du
cerveau rêvant. Ces enregistrements révèlent
à la fois l'activation différentielle des aires
cérébrales et leur variabilité au cours du
temps. Quelles relations y a-t-il entre les contenus de rêves
et les cartes EEG qui leur sont associées ?
Page de présentation
de l'auteur
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Voir le cerveau penser est un mythe ou un fantasme [mais]
voir le cerveau fonctionner est possible, a écrit le psychiatre
Edouard Zarifian. De la même manière " voir le cerveau
rêver " est un rêve inaccessible à l'observation
scientifique et médicale, mais on peut effectivement le voir
fonctionner pendant le sommeil paradoxal.
On assimile généralement rêve et sommeil paradoxal
car le souvenir des rêves est optimal lorsque le réveil
s'effectue pendant la phase de sommeil paradoxal, ou juste après.
Dans 80 % des cas, la description des rêves est très précise.
Mais cette assimilation est abusive : il a été montré
que nous pouvons rêver à tout moment de la nuit, au cours
de chaque stade de sommeil; le souvenir en est plus ou moins précis.
L'activité cérébrale pendant le sommeil paradoxal
peut être mesurée par l'électroencéphalographie
cérébrale (EEG). Les neurones émettent des signaux
de nature électrophysiologique et biochimique. On peut alors
les mesurer électriquement par l'EEG. Découverte en 1924
par le neuropsychiatre allemand Hans Berger, cette technique consiste
à relever des différences de potentiel entre plusieurs
points du cerveau. Si l'on compare les ondes EEG aux rythmes des vagues
de la mer sur une plage, l'EEG de l'éveil actif - lorsque le
sujet a les yeux ouverts - est de petite amplitude et de fréquence
rapide; il ressemble à des vagues de petite hauteur qui déferlent
rapidement sur la grève. Inversement, les ondes lentes du sommeil
profond correspondent à des déferlantes gigantesques,
en nombre plus restreint sur la plage.
En pratique, l'EEG est enregistrée simultanément en différents
points du cuir chevelu chez les dormeurs coiffés d'un casque
d'électrodes. Celui-ci possède généralement
un nombre standardisé de 19 électrodes, mais il est possible
d'utiliser jusqu'à 124 électrodes, ce qui permet une meilleure
définition spatiale .
Avec 19 électrodes seulement et une distance de quatre centimètres
entre chacune d'elles, le but n'est pas de localiser avec précision
les sources de courant dans le cerveau. Il s'agit plutôt de mesurer
les variations des paramètres électriques. C'est pourquoi
19 électrodes placés à des intervalles de quatre
centimètres suffisent. A partir des mesures obtenues, on déduit
l'activité électrique du cerveau avant d'établir
ensuite des images de synthèse en fausses couleurs, appelées
" cartes EEG " du cerveau ou " cartes fonctionnelles
".
Un signal électrique est défini par une amplitude et
une fréquence données. Les amplitudes des signaux EEG
fluctuent entre 5 et 250 microvolts et les fréquences entre 0,
5 et 40 hertz. On calcule en général amplitudes et fréquences
moyennes sur une durée qui peut varier de 125 millisecondes à
20 secondes. Chez l'homme, plus l'éveil est intense, plus les
amplitudes sont faibles et les fréquences rapides. Ceci peut
paraître contradictoire, car on pourrait s'attendre à ce
que l'éveil entraîne de fortes amplitudes électriques.
Mais l'amplitude du signal EEG mesure la synchronisation d'un ensemble
de neurones. En l'absence d'activité, aucun neurone particulier
n'est activé, ils sont tous synchronisés, et l'amplitude
EEG est alors élevée. Inversement, si un neurone précis
entre en activité, il se désynchronise des autres, et
l'amplitude électrique décroît. L' " activation
EEG cérébrale locale " est représentée
en rouge sur les cartes EEG. A l'inverse, les zones inactivées
ou au repos sont représentées en bleu.
Grâce à l'électroencéphalographie, de nombreux
résultats sur le fonctionnement cérébral au cours
du sommeil ont été obtenus. Par exemple, nous avons trouvé
que le stade I (endormissement et sommeil léger) et le sommeil
paradoxal présentent des amplitudes moyennes intermédiaires
entre celles de l'éveil actif et de l'éveil calme. Cela
confirme le fait que ces deux stades du sommeil sont relativement actifs,
et peuvent être considérés comme des " éveils
internes ".
L'électroencéphalographie cérébrale dynamique
permet également d'obtenir des cartes d'amplitudes instantanées,
variables dans le temps. On peut en effet étudier l'évolution
de l'activité électrique sur des périodes très
brèves, avec une très bonne résolution temporelle
(toutes les cinq millisecondes par exemple avec les techniques les plus
récentes). Cette méthode permet de mieux comprendre le
fonctionnement des rêves.
Nous avons montré que les zones cérébrales activées
pendant un rêve sont les mêmes que celles qui sont sollicitées
pendant l'éveil, ce qui confirme les travaux du neurophysiologiste
américain J. Allan Hobson. Sion rêve d'une sensation motrice
(porter une valise par exemple), l'aire sensori-motrice associée
à la main est activée (la main gauche se projette dans
la région centrale droite et la main droite dans la région
centrale gauche). Un rêve auditif activera les zones auditives
(la zone temporale, située près de la tempe, et associée
à l'audition et au langage), et un rêve visuel les zones
occipitales et pariétales (situées vers l'arrière
du cerveau).
Nos mesures EEG ont aussi permis d'étayer une hypothèse
de Michel Jouvet. Il a observe, à partir de son journal de rêves
personnel, que lorsqu'il voyait en songe un personnage dans un rêve,
il entendait mal ce que celui-ci disait. Inversement, s'il comprenait
ce qu'un autre personnage lui racontait, il lui était difficile
de se souvenir de son visage. Il y aurait alors une sorte de prépondérance
de la vision ou de l'audition dans le rêve, une des deux modalités
sensorielles dominant l'autre. En d'autres termes, il se pourrait que
l'imagerie visuelle masque l'audition, ou l'inverse. Or nous avons observé
que dans certains rêves, ces deux régions cérébrales
pouvaient être activées simultanément, mais aussi
alternativement pendant de brefs laps de temps. Cette alternance pourrait
traduire un fonctionnement en parallèle des différentes
régions cérébrales, l'activité de l'une
inhibant l'activité de l'autre. Toutefois cette hypothèse
ne peut pas être vérifiée plus profondément,
car si le tracé EEG dynamique est obtenu à chaque instant,
on connaît le récit global du rêve au réveil.
Il est donc impossible de mettre en correspondance l'activation électrique
et le vécu subjectif du rêve, sauf à réveiller
le sujet, ce qui mettrait fin au rêve.
Mais les cartes EEG (objectives) recueillies pendant le sommeil paradoxal
ne permettent pas toujours de remonter aux cartes (subjectives) du rêve
qui lui est la plupart du temps associé. Si on observe une activation
de la zone sensori-motrice, le sujet peut aussi bien avoir rêvé
qu'il a porté une valise, écrit une lettre, ouvert une
porte... On est donc encore loin de pouvoir décrypter un rêve
d'après un simple relevé électroencéphalographique!
Pour obtenir plus d'informations, il ne suffit pas de mesurer le signal
électrique. A partir de celui-ci, il faut souvent effectuer des
analyses mathématiques, telles que l'analyse de Fourier, consistant
à décomposer un signal en une somme de fonctions sinusoïdales.
Cette méthode permet par exemple de faire des statistiques à
partir d'un ensemble de cartes EEG provenant de différentes personnes
et de comparer les enregistrements. Mais les analyses mathématiques
offrent surtout de calculer des amplitudes et des fréquences
instantanées dans des bandes de fréquences choisies.
Grâce à ce procédé, nous avons pu aborder
le problème du trajet des ondes électriques dans le cerveau.
Il a été possible de considérer l'EEG comme un
signal transmis depuis une aire génératrice du cerveau
jusqu'à des aires adjacentes. On envisage alors l'activité
électrique du cerveau comme un univers de communication de type
radioélectrique avec des réseaux de stations émettrices
et de sites récepteurs variant constamment dans le temps et l'espace
neural. L'éveil dans le cerveau se propage donc d'une aire cérébrale
à une autre.
L'actuelle multiplication des voies d'enregistrement (32, 64 électrodes
et plus) permet de reconstituer par calcul les zones cérébrales
profondes responsables de l'activité électrique mesurée
à la surface du cerveau. Ces " sphères d'activation
fonctionnelle " peuvent aussi être reconstituées à
partir de la méthode des " potentiels évoqués
", qui mesure la réponse EEG moyenne d'une population de
neurones après stimulation.
L'avenir des méthodes est dans leur complémentarité
et dans leur fusion. La cartographie EEG est complémentaire par
rapport aux autres domaines de l'imagerie cérébrale: morphologique
et métabolique. L'imagerie morphologique comprend le scanner
X et l'imagerie par résonance magnétique nucléaire
dite IRM. Par ces méthodes, on localise avec précision
les zones cérébrales (à un millimètre près
pour le scanner X et moins d'un millimètre pour l'IRM). Mais
elles ne permettent pas d'explorer le fonctionnement cérébral:
elles fournissent des images des structures cérébrales
identiques pour un cerveau vivant ou mort récemment.
L'imagerie fonctionnelle métabolique recouvre deux méthodes:
la tomographie par émission de positons (TEP) et plus récemment
l'IRM fonctionnelle (IRMf). La TEP fournit des images du fonctionnement
cérébral avec une précision de 4 millimètres.
L'IRMf est une nouvelle technique basée sur l'IRM, où
la tête du sujet est placée dans l'entrefer d'un énorme
électroaimant qui génère un champ électromagnétique
intense et pulsé à haute fréquence. On localise
ainsi dans le cerveau des atomes tels que l'hydrogène. Grâce
- entre autres - à une quantification très rapide des
images captées, l'IRMf permet d'obtenir une résolution
spatiale inférieure au millimètre et une résolution
temporelle inférieure à la seconde. L'IRMf peut produire,
pendant des activations cérébrales fonctionnelles provoquées,
des images de petites régions cérébrales qui diffèrent
entre elles par le débit du flux sanguin. Mais un tel équipement
de recherche ne se prête pas facilement aux études de sommeil
du fait de l'inconfort du sujet et du bruit généré
par les très rapides impulsions du champ électromagnétique.
Une nouvelle méthode d'imagerie électrophysiologique,
la magnétoencéphalographie (MEG) utilise 7, 14, 64, 128
et récemment jusqu'à 143 capteurs métalliques supraconducteurs
(un appareil de ce type sera bientôt installé à
l'hôpital de La Pitié-Salpêtrière, à
Paris). Ces capteurs sont ensuite refroidis dans l'hélium à
très basse température. La MEG permet d'enregistrer et
de cartographier les très faibles ondes électromagnétiques
émises à distance par le cerveau et recueillies par les
capteurs situés à proximité et au-dessus du scalp.
Cette technique présente une résolution spatiale inférieure
à celle de la TEP. Elle explore et visualise en deux ou trois
dimensions, sur deux centimètres de profondeur, le fonctionnement
des aires occipitales visuelles ou des aires temporales auditives lorsque
celles-ci sont activées par des tâches perceptuelles et
cognitives précises. L'activité d'aires corticales de
quelques millimètres carrés qui représentent le
fonctionnement de " petites " populations de neurones (105),
peut ainsi être cartographiée au Cours du temps.
Utilisées simultanément, l'électroencéphalographie
(sur 64 voies) et la magnétoencéphalographie produisent
des cartographies successives à partir desquelles le chercheur
visualise la dynamique temporelle électrophysiologique du cerveau
en fonctionnement sur des temps très courts.
Les enregistrements MEG où IRMf, bien qu'également non
traumatiques et inoffensifs, imposent aux sujets de rester immobiles
en ayant la tête étroitement recouverte par l'appareillage
constitué des multiples capteurs. La cartographie EEG, plus légère
a mettre en oeuvre, requiert moins de prouesses techniques et se révèle
bien moins onéreuse que les autres méthodes d'imagerie
cérébrale.
L'éveil local et fugace cartographié en EEG et MEG s'accompagne
d'une augmentation du débit sanguin cérébral régional
tout aussi variable, mesuré par la TEP et l'IRMf. Ces méthodes
conjointes fournissent d'importantes informations sur le fonctionnement
cérébral, qui peuvent être corrélées
anatomiquement aux structures cérébrales obtenues par
IRM. Cette fusion prochaine des différentes techniques d'imagerie
cérébrale est comme Le Jeu des perles de verre, de
l'écrivain Hermann Hesse. Des images bi et tridimensionnelles,
des films comme Cartographie EEG de l'éveil, du sommeil et
du rêve, que j'ai réalisé, et bientôt
des animations en trois dimensions dévoilent de plus en plus
rapidement le magnifique fonctionnement cérébral.
Mais n'oublions pas que des précautions doivent être prises
dans l'analyse des cartes EEG. L'erreur serait d'assimiler les cartes
obtenues à des " cartes de rêves ". La carte
n'est pas le territoire. Sachant qu'elles dépendent de la méthode
d'imagerie cérébrale employée, ces cartes fonctionnelles
doivent être interprétées avec prudence, tout en
tenant compte des avantages et des limitations de chaque méthode.
De toutes ces mesures grandissantes, parfois envahissantes et de plus
en plus sophistiquées, n'oublions pas comme le pressentait le
sophiste grec Protagoras que " l'Homme reste la mesure
de toutes choses. " Son avenir dépend de nous
tous comme de chacun d'entre nous.
Pour en savoir plus
- Du rêve à l'éveil. Bases physiologiques du sommeil,
de P. Etévenon. Collection Sciences d'aujourd'hui, Albin Michel,
330 p., Paris, 1987.
- Topographic Brain Mapping of EEG and Evoked Potentials, de K. Maurer
Ed. Springer Verlag, Berlin, 1989.
- Analysis of the Electrical Activity of the Brain, de F. Angeleri,
S. R. Butler,, S. Giaquinto et J. Majkowski Eds. Wiley, Londres (parution
1997).
De l'analyse à la cartographie EEG |
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Alors que l'EEG classique enregistre l'activité électrique
spontanée du cerveau avec deux électrodes placées
sur le scalp, la cartographie EEG dynamique en utilise plus
d'une centaine. Une analyse spectrale de Fourier des signaux
électriques recueillis permet de visualiser les variations
temporelles de l'activation des aires cérébrales.
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Les états électriques du cerveau |
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Par convention, le scalp est vu de dessus: le
nez représenté en haut, l'oreille droite à
droite et l'oreille gauche à gauche. Les cartes EEG comportent
dix couleurs arbitraires qui traduisent les amplitudes des signaux
électriques: du rouge pour les faibles valeurs au bleu
pour les plus fortes, en passant respectivement par le vert
et le jaune pour les valeurs intermédiaires. Chez des
sujets adultes et sains, l'EEG varie en amplitude moyenne entre
5 et 250 microvolts, pour des fréquences comprises entre
0, 5 et 40 hertz. Les valeurs d'amplitude faible, en rouge,
correspondent à une " activation EEG cérébrale
locale ". Inversement, les valeurs d'amplitudes élevées,
en bleu, traduisent une inactivation. On observe une forte activation,
particulièrement lors de l'état d'éveil
calme et du stade I d'endormissement et pendant les phases de
sommeil paradoxal. En éveil actif (le sujet fixe un point),
les aires temporales gauches correspondant à l'audition
(situées près des tempes) et centrales (projections
sensorimotrices des mains) sont activées. En éveil
calme yeux fermés, les aires visuelles (en bleu) sont
au repos tandis que le reste du cerveau est activé, ce
qui traduit le vagabondage des pensées. Les cartes EEG
des stades I (endormissement) et de sommeil paradoxal ressemblent
à celles de l'éveil actif. Ces états d'éveil
interne varient d'un instant à l'autre (par exemple selon
le contenu du rêve). Les faibles activations en bleu apparaissent
surtout durant les stades II et III-IV de sommeil. Le bleu domine
alors dans les régions antérieures et postérieures,
ce qui correspond à l'inhibition fonctionnelle de ces
aires. Lorsque nous avons réalisé un film de la
cartographie EEG dynamique au cours d'un cycle de 90 minutes
de sommeil, nous avons noté qu'en sommeil profond, les
maxima d'intensité des ondes lentes oscillaient toutes
les 10 secondes, entre les pôles antérieurs et
postérieurs. Ce phénomène non encore élucidé
traduit des transferts biochimiques entre les différentes
zones cérébrales.
P. E.
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Classement des états de veille et de sommeil |
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La figure représente les valeurs EEG de
l'aire occipitale, qui correspond à la vision. Le nombre
représenté est la valeur moyenne, pour un sujet
à différents instants du stade considéré,
de l'amplitude efficace du signal électrique. Une grande
activation produit de faibles amplitudes : en effet, l'EEG mesurant
la synchronisation d'un groupe de neurones, l'activation particulière
de l'un d'eux crée une désynchronisation qui diminue
l'amplitude du signal. Le sommeil paradoxal et le stade I d'endormissement
(sommeil dit REM, de Rapid Eyes Movements) ont des activations
intermédiaires, entre celles de l'éveil actif
yeux ouverts et de l'éveil calme yeux fermés.
La fréquence des ondes électriques croît
lorsque l'amplitude de l'activation décroît.
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Carte d'un rêve |
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Cette expérience a été menée au Laboratoire
de cartographie EEG de l'Inserm à Caen. Les épisodes
de sommeil paradoxal ont fait l'objet d'enregistrements pour des
périodes successives d'une seconde. Trente cartes, séparées
par des intervalles de 2, 4 secondes, ont été dressées.
Seules les aires actives, représentées en rouge, ont
été prises en considération. La première
carte est placée en bas de l'image à gauche, le nez
étant situé au centre et en avant du plan de la figure.
Ces cartes furent ensuite empilées comme des piles d'assiettes.
Le résultat donne une forme tridimensionnel. Depuis le début
du sommeil paradoxal, et pendant une durée de 72,5 secondes,
on fait apparaître les "trajectoires d'activation cérébrale".
Dans le cas du rêve représenté ici, elles offrent
une forme torique évoquant une "tasse de thé".
On peut par cette méthode visualiser les zones cérébrales
activées. Dans l'image ci-contre, les régions à
droite prenant la forme d'une "anse" (aire pariétale
droite) sont séparées de la colonne à gauche
(aires activées en temporal et central gauche). Sans pour
autant être en mesure de déterminer avec précision
à quoi le su et a rêvé, on peut déterminer
- zones activées. Ici la zone correspondant à la main
droite est activée, et après le réveil, la
personne a décrit un rêve où elle tenait une
valise à la main. L'interprétation de cette analyse
nouvelle de l'EEG du sommeil paradoxal a révélé
que deux aires cérébrales peuvent être activées
simultanément. Cela pourrait correspondre à des populations
de neurones qui travaillent, soit en série (une seule grande
aire activée à gauche) soit en parallèle (deux
aires différentes: une à gauche en temporo-central
et l'autre en pariétal droit). Grâce à des méthodes
de plus en plus sophistiquées, on obtient actuellement une
plus grande précision dans les relevés. Il est maintenant
possible d'analyser des cartes d'EEG toutes les 5 millisecondes.
P. E.
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Rêve tridimensionnel |
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Les régions activées de chaque carte
sont projetées sur un plan horizontal, puis empilées
de bas en haut sur un axe temporel. Sur la figure ci-contre,
la surface du cerveau a été projetée sur
un plan perpendiculaire à la feuille, le nez se situant
à gauche. La forme obtenue évoque une tasse, dont
l' " anse " correspond aux zones visuelles. la personne
rêvait à ce moment-là qu'elle marchait dans
une gare, une valise à la main.
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Principe de la cartographie EEG |
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Aux différents points de contact des capteurs,
on mesure des différences de potentiel par rapport à
une référence commune (première figure).
Les valeurs sont indiquées en microvolts sur la deuxième
figure. A partir de ces différences de potentiel, et en
extrapolant entre les points de mesure, on trace les lignes iso-amplitudes,
analogues aux lignes de niveau sur les cartes topographiques (troisième
figure). Enfin, on affecte un code arbitraire de couleurs aux
différentes valeurs (dernière figure).
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EEG d'un cauchemar |
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L'activité EEG est représentée pour un
rêve normal (en haut) et un cauchemar (en bas). Ces figures,
réalisées par le psychologue Antonio Zadra à
l'hôpital du Sacré-cceur de Montréal, représentent
l'activité moyenne pour six sujets, au cours des deux
dernières minutes précédant l'éveil.
Le cauchemar présente beaucoup plus d'activité
électrique, particulièrement dans les aires occipitales,
situées à l'arrière de la tête (le
jaune correspond ici à l'activité maximale). Ces
zones sont capitales pour le traitement de l'information visuelle,
ce qui reflète la richesse et la complexité des
cauchemars. D'autre part, les figures montrent une symétrie
dans l'activité cérébrale. D'après
ces résultats, les hémisphères gauche et
droit auraient globalement la même importance dans l'activité
onirique.
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Tomographie par émission de positons |
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Les molécules radioactives injectées
au patient se désintègrent en émettant un
positon (antiparticule de l'électron). Cette charge positive
produit lors de sa rencontre avec un électron des atomes
voisins deux photons gamma, émis dans deux directions opposées,
et simultanément captés par deux des détecteurs
disposés en couronne autour de la tête.
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Tranches de cerveau |
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Ces images représentent différentes
coupes horizontales du cerveau. Par convention, le cerveau est
représenté vu de dessous. Les hémisphères
droit et gauche apparaissent respectivement à gauche
et à droite de la figure. L'activation est visualisée
dans différents plans repérés en millimètres
par rapport à une coupe horizontale de référence.
Images extraites d'un article de Maquet et al. Functional
Neuroanatomy of Human Rapid-eye movement Sleep and Dreaming,
"Nature" n°383, 1996, pp. 163-166.
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L'activité des structures profondes |
Contrairement à l'EEG qui mesure les différences
de potentiel en surface, la tomographie à émission
de positons (TEP) révèle l'activité électrique
dans les couches cérébrales profondes. Elle consiste
à injecter dans le corps, par voie intraveineuse, des
composes marques par isotopes émetteurs de positons,
dont la distribution est ensuite mesurée dans le cerveau.
L'injection d'eau marquée à l'oxygène-15
permet l'estimation du débit sanguin cérébral
régional. Comme celui-ci augmente dans les aires cérébrales
actives, il est un marqueur indirect de l'activité neuronale.
En outre, l'oxygène-15 se désintégrant
rapidement, il est possible de répéter les injections
chez le même sujet dans différents stades de sommeil,
et de localiser les régions cérébrales
activées. Chacune des figures ci-dessous montre une coupe
dans le plan horizontal du cerveau, repérée en
millimètres par rapport à un plan horizontal de
référence. La coupe située 28 mm en dessous
du plan de référence (noté -28 mm) montre
la forte activité de la protubérance. L'activation
des amygdales apparaît dans les coupes à - 16 mm
et -12 mm. On observe l'activation du thalamus à 4 mm
au-dessus du plan de référence (notée 4
mm). Le sommeil paradoxal est généré par
certains noyaux de la protubérance, qui stimule ensuite
le thalamus. Les amygdales, ensemble de noyaux en forme d'amande
à la face interne des lobes temporaux, semblent jouer
un rôle tout aussi important durant le sommeil paradoxal.
En effet, les régions corticales, très activées
pendant le sommeil paradoxal (dont le cortex cingulaire antérieur
et une partie du cortex sensitif, respectivement situés
à 40 mm et 16 mm au-dessus du plan de référence)
reçoivent beaucoup de projections amygdaliennes, alors
que les régions du cortex qui en recueillent peu sont
moins actives que le reste du cerveau. Il semble donc s'établir,
durant le sommeil paradoxal, des relations particulières
entre les amygdales et le cortex. L'amygdale intervient dans
la perception et l'expression des émotions. Elle permet
également d'associer émotions et perceptions sensorielles,
participant ainsi à une certaine forme de mémoire.
D'autre part, le sommeil paradoxal a été impliqué
dans la consolidation de certains types de mémoire, en
tous cas chez l'animal de laboratoire. Les résultats
obtenus en TEP apportent chez l'homme un argument supplémentaire
en faveur de cette hypothèse et suggèrent le rôle
des interactions entre amygdales et cortex dans la consolidation
de certains aspects de la mémoire. Par ailleurs, tous
deux sont impliqués dans la perception des émotions.
Leur activation durant le sommeil paradoxal pourrait rendre
compte des aspects émotionnels des rêves. Les interactions
entre amygdales et cortex sensitifs pourraient expliquer les
aspects sensoriels multiples de l'activité onirique.
Enfin, la moindre activité du cortex préfrontal,
qui joue un rôle important dans la mémoire et l'organisation
de la pensée et du comportement, fournirait une explication
plausible à certains aspects bien connus du rêve:
la distorsion de la notion du temps, la perte du sens critique
(rendant crédible des situations absurdes) et la difficulté
de s'en souvenir au réveil.
Pierre Maquet,
chercheur FNRS à l'université de Liège
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