L'activité électrique et métabolique intense observée
au cours du sommeil paradoxal a été un argument majeur en
faveur du sommeil comme phénomène actif résultant
de la mise en jeu de structures nerveuses spécifiques. Au fur et
à mesure de la progression des connaissances, on est passé
de la notion de centre du sommeil à celle de système ou
de réseau pour définir un circuit complexe prenant en charge
cette fonction. Chaque maillon du réseau communique avec les autres
par la libération de substances chimiques, les neuromédiateurs,
qui se fixent sur des récepteurs situés sur la membrane
de la cellule recevant le message. La spécificité ne vient
pas de la présence de tel ou tel neuromédiateur, mais de
la configuration du réseau, dans lequel se trouvent de nombreux
médiateurs qui peuvent être communs à plusieurs réseaux.
Un ensemble de paramètres biologiques caractérise le sommeil
paradoxal au cours duquel le rêve va survenir. Certains, dits toniques,
persistent pendant toute la durée du rêve comme la paralysie
musculaire et l'activité corticale rapide. D'autres, dits phasiques,
surviennent de façon discontinue et aléatoire comme les
nombreux mouvements oculaires et les discrets mouvements de la face et
des extrémités des membres. Très schématiquement,
le sommeil paradoxal peut être envisagé comme résultant
de l'interaction de deux réseaux: le réseau exécutif,
responsable des aspects phénoménologiques, et le réseau
de contrôle dit permissif. Si le système exécutif
est bien connu, le système permissif l'est moins car il se révèle
de plus en plus complexe. Il semble être à l'origine des
variations des durées de sommeil induites par l'environnement ou
par l'adaptation à des situations nouvelles et à certains
aspects génétiques.
Pour chacun des paramètres du sommeil paradoxal, des neurones
ont été identifiés, dits SP-ON, tous situés
dans le tronc cérébral inférieur (pont et bulbe).
L'atonie musculaire est la conséquence de l'inhibition des motoneurones
spinaux par la glycine, neurotransmetteur inhibiteur libéré
sous l'influence de deux groupes de neurones du cerveau postérieur,
la région du Locus coeruleus a et péri-a et le groupe
réticulé bulbaire magnocellulaire (MC). Ces neurones du
Locus coeruleus (LC) possèdent des récepteurs cholinergiques.
L'injection locale de carbachol, analogue cholinergique, déclenche
l'atonie posturale et le sommeil paradoxal avec une latence très
courte. Les neurones du noyau MC bulbaire, non cholinergiques et non cholinoceptifs,
reçoivent des afférences glutamate (Glu) venant du groupe
du LC. L'injection locale de Glu déclenche ainsi l'atonie posturale.
La lésion de ces neurones supprime la paralysie musculaire du sommeil
paradoxal.
L'activation corticale du sommeil paradoxal, très voisine de celle
de l'éveil, dépend principalement de deux structures contenant
des neurones, soit cholinergiques, actifs pendant l'éveil et le
sommeil paradoxal, soit non cholinergiques, uniquement actifs au cours
de la phase de sommeil paradoxal. Ces neurones se projettent de manière
diffuse sur le thalamus et l'hypothalamus postérieur, relais vers
le cortex. Les neurones aminergiques, silencieux pendant le sommeil paradoxal,
ne participent pas à cette activation.
Les mouvements des yeux et de la face produits par les noyaux oculo-moteurs
et le nerf facial sont souvent synchrones d'une activité particulière,
appelée activité PGO (ponto-géniculo-occipitale),
car elle a été détectée au niveau de trois
régions, le pont ou protubérance annulaire, le thalamus
(noyau géniculé latéral) et le lobe occipital. Cependant,
aucune connexion anatomique n'a été mise en évidence
entre les neurones PGO et les noyaux des nerfs crâniens. Ces structures
reçoivent des afférences du noyau réticulé
pontique caudal qui serait ainsi le générateur des activités
phasiques du sommeil paradoxal. Les pointes PGO prennent leur origine
au niveau du tegmentum pontique : noyau latéro-dorsal du tegmentum,
partie rostrale du LC-a et région péribrachiale.
Isolées ou groupées selon une distribution aléatoire,
ces activités ressemblent à un code et pourraient être
porteuses d'informations pour les neurones qui les reçoivent. Les
neurones PGOON sont cholinergiques, et reçoivent des afférences
excitatrices non encore identifiées et des afférences inhibitrices
aminergiques principalement sérotoninergiques.
Autre caractéristique "tonique" du sommeil paradoxal
de l'homme, l'érection pénienne ne semblait présente
que chez les primates. Mais tout récemment, ce phénomène
a été mis en évidence chez le rat, grâce à
l'enregistrement simultané de la pression sanguine du corps caverneux
et des muscles de la base du pénis. Elle survient sous forme de
brèves élévations (quelques secondes) de la pression
artérielle dans 30 % des épisodes de sommeil paradoxal.
Chez le rat, elle peut être classée comme une activité
phasique. Mais, contrairement aux autres activités de ce type,
le déclenchement de l'érection ne semble pas venir du tronc
cérébral mais de l'hypothalamus antérieur.
Le réseau exécutif peut être assimilé à
un pacemaker, c'est-à-dire fonctionnant en permanence s'il est
isolé et non bloqué par des afférences inhibitrices.
Cela peut s'observer chez le ftus au cours de l'ontogenèse.
La maturation du cerveau (myélinisation) débute en effet
au niveau du tronc cérébral où se situent les structures
exécutives du sommeil paradoxal, les seules à être
actives à cette période de la vie. Puis, la maturation progressant
vers le cerveau antérieur, les réseaux du sommeil lent et
de l'éveil se développent, deviennent fonctionnels et contrôlent
la survenue du sommeil paradoxal.
Chez l'adulte, un état équivalent à celui du ftus
peut être obtenu pendant quelques heures à la suite de l'injection
de muscimol, agoniste Gaba (transmetteur inhibiteur), dans l'hypothalamus
postérieur ou dans la substance grise périaqueducale du
mésencéphale.
Le réseau permissif est constitué en partie par les neurones
dits SP-OFF, aminergiques (noradrénaline, sérotonine et
histamine). En s'arrêtant de fonctionner au début du sommeil
paradoxal, ils lèvent l'inhibition exercée sur les neurones
du système exécutif. Ces neurones font partie du système
de l'éveil. Ce système permissif est lui-même sous
le contrôle de plusieurs groupes de neurones situés à
différents niveaux (hypothalamus, tronc cérébral).
Ainsi, les mécanismes du déclenchement du sommeil paradoxal
semblent simples. La levée des différentes inhibitions qui
s'exercent sur les réseaux exécutifs permet à ces
derniers de s'exprimer. Les systèmes permissifs contrôlent
de façon très stricte le déclenchement du sommeil
paradoxal et empêchent sa survenue en dehors du sommeil. Toute cette
machinerie dont on a pas fini de comprendre le fonctionnement définit
le cadre, le poste de télévision (sommeil paradoxal) dans
lequel se déroule le film onirique. Cette imagerie est générée
par le cerveau antérieur (système limbique, cortex), stimulé
par l'activité PGO.
Pour en savoir plus
- Recherches
sur les structures nerveuses et les mécanismes responsables des
différentes phases du sommeil physiologique, de M. Jouvet.
Arch. Ital, Biol., n°100, pp. 125-206.
- The Role of Monoamine and Acetylcholine containing Neurons in the
Regulation of the Sleep-waking Cycle, de M. Jouvet. Physiol.
Rev., n°64, pp.166-307.
- The Sleep-waking Cycle, de G. Moruzzi. Physiol. Rev.
n°64, pp. 1-165.
- Executive Mechanisms of Paradoxical Sleep, de K. Sakai. Arch.
Ital, Biol. n°126, pp.239-257.
- Le Comportement onirique du chat, de J.-P. Sastre et M.
Jouvet. Physiol. Behav. n°22, pp. 979-989.
- Régulation du cycle veille-sommeil, de J.-L. Valatx
in Le Sommeil humain, de 0. Benoît et J. Foret, Masson, 1995.
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