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Par Jean-Louis Valatx,
directeur de recherche à l'Inserm
Université Claude-Bernard, à Lyon
A partir de quel âge le sommeil à mouvements oculaires
rapides apparaît-il chez l'être humain ? Pourquoi le sommeil
paradoxal est-il si prépondérant au début de la vie
? Le ftus, le prématuré ou le nouveau-né ont-ils
une vie mentale onirique ? |
LA VIE ONIRIQUE DU FTUS
A la naissance, la quantité de sommeil dépend du degré
de maturité du cerveau. Plus celui-ci est immature, plus le sommeil
est important. Chez les espèces nidicoles (rat, chat), dont les
nouveau-nés restent dans le nid, le sommeil agité, qui
équivaut au sommeil paradoxal chez l'adulte, à une durée
totale de 16 et 12 heures respectivement.
Chez le nouveau-né humain, également nidicole, la durée
du sommeil est de 16 heures (à deux heures près) et se
déroule par périodes de 3 à 4 heures sans rythme
circadien. Il s'endort le plus souvent en sommeil agité avec
de nombreux mouvements de la face, reproduisant les mimiques faciales
dites sociales (sourire, étonnement, moue, dégoût,
douleur). Une personne non informée peut croire que le bébé
est éveillé. Ces mimiques, communes à toutes les
ethnies humaines, sont innées. Leur expression semble dépendre
de l'intégrité du système limbique. En effet, chez
les rares enfants nés sans cerveau antérieur, le sommeil
paradoxal existe mais sans aucune mimique faciale.
Les cycles sont plus courts que chez l'adulte (50-60 minutes). Le sommeil
agité représente 50 à 60 % du temps de sommeil,
soit environ 8 heures par jour. A la fin du premier mois, un rythme
circadien d'environ 25 heures se met en place, mais il faut attendre
le quatrième mois pour qu'il soit synchronisé à
24 heures par l'alternance jour-nuit. La diminution de la durée
du sommeil est très progressive, la durée adulte et stable
est atteinte après 20 ans. A l'adolescence, il existe un besoin
accru de sommeil associé à un coucher tardif. Chez les
espèces nidifuges comme le cobaye, le nouveau-né est sevré
à dix jours et capable de survivre seul sans sa mère,
le sommeil total représente 45 % du temps. Le sommeil paradoxal
occupe seulement 19% du sommeil et atteint la valeur adulte (5 %) très
rapidement.
Si l'ontogenèse est semblable chez tous les mammifères, le jeune
cobaye a dû passer in utero par l'étape raton, puis chaton. Les
enregistrements polygraphiques réalisés chez le ftus de
cobaye et sa mère soutiennent cette hypothèse. Dès le quarantième
jour de gestation, le sommeil agité est nettement reconnaissable. Vers
le quarante-cinquième jour, le sommeil avec secousses est bien différencié
et occupe 90% du temps total. La durée du sommeil calme augmente progressivement
et celle du sommeil paradoxal diminue peu de temps avant la mise bas qui survient
vers le soixante-cinquième jour. L'enregistrement simultané du
sommeil de la mère et du ftus indique qu'il n'y a pas d'influence
réciproque. Cela confirme l'inexistence de substances hypnogènes
ou éveillantes qui traversent le placenta.
Dans l'espèce humaine, l'évolution est sensiblement la même.
Le ftus est un gros dormeur. Vers la vingtième semaine de gestation,
apparaissent les mouvements oculaires rapides et les mouvements des doigts et
des paupières, mais il est difficile d'affirmer que c'est déjà
du sommeil paradoxal. Peu avant 6 mois, le sommeil agité est la seule
forme de sommeil décelable. Le sommeil calme est d'apparition plus tardive,
vers la trentième semaine. Ces estimations sont confirmées par
les enregistrements polygraphiques effectués chez les prématurés,
même les plus jeunes (28 semaines). Un fait étonnant: pendant l'accouchement,
le bébé dort! C'est un signe que tout va bien. Il ne se réveille
que lors des fortes contractions utérines et pendant l'expulsion.
A partir de ces observations, peut-on dire que le ftus, le prématuré
ou le nouveau-né à terme rêvent avec une imagerie. onirique
? Les mimiques faciales sont en faveur d'une réponse positive. Cependant,
étant donné que le cortex visuel n'est pas indispensable à
l'expression des mimiques, il subsistera un doute tant que le bébé
ne parle pas. Pour que l'enfant puisse raconter ses rêves, il faudra attendre
4 à 5 ans, l'âge où il acquiert la notion du temps (hier,
aujourd'hui, demain), complémentaire de celles de dessus-dessous et devant-derrière.
En effet, pour faire la distinction entre rêve et éveil, il est
nécessaire de se rendre compte que le rêve s'est passé avant
l'éveil, pendant le sommeil.
Pourquoi le sommeil paradoxal est-il si prépondérant
au début de la vie ? Il doit sous-tendre une fonction vitale.
C'est l'espoir et la motivation des chercheurs! Nombreuses sont les
hypothèses et peu nombreux les faits expérimentaux pour
les étayer, car nous n'avons pas encore les moyens techniques
de supprimer totalement pendant plusieurs jours le sommeil paradoxal
dès qu'il apparaît. Une explication simple à l'aspect
quantitatif du sommeil paradoxal repose sur la constatation que la maturation
(myélinisation) du cerveau débute au niveau du tronc cérébral
où se situe le réseau des neurones qui le déclenche.
Evolution de la durée du sommeil paradoxal |
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Le schéma ci-dessus établit une comparaison de
la durée du sommeil paradoxal chez le rat, le chat et le
cobaye. (D'après Jouvet-Mounier et al., 1970) |
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Le second schéma montre l'évolution
des états de vigilance du cobaye pendant le deuxième
moitié de la gestation. La colonne de droite indique
les pourcentages des états de vigilance le premier jour
après la naissance (N1). (D'après Astic, 1972)
J.-L.V.
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Songes intra-utérins |
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Le sommeil paradoxal est reconnaissable in utero dès la deuxième
moitié de la gestation et occupe la plus grande partie du temps
du ftus. Grâce aux progrès de l'échographie,
il est possible d'observer les mouvements des yeux et des doigts, mais
l'imagerie onirique n'est pas enregistrable.
J.-L. V.
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