Animales rêveries
Mehdi Tafti , Science et Avenir Hors-Série Le Rêve Dec. 96
Sommaire de l'article
Animales rêveries
L'émergence du sommeil paradoxal
A quoi rêvent les bêtes ?
Arbre phylogénétique
Le sommeil primitif de l'échidné
Le cerveau dédoublé du dauphin
L'expérimentation onirologique
La rythmicité du sommeil paradoxal
Gros et petits "rêveurs"

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Science et Avenir
Hors-Série Le Rêve
Sommaire général
Le sommeil primitif de l'échidné

L'échidné est l'un des deux représentants des monotrèmes encore vivants, l'autre étant l'ornithorynque. Ce sont les mammifères les plus anciens qui ont divergé des autres il y a environ 150 millions d'années. De ce fait, ils sont considérés comme des fossiles vivants. La première particularité de l'échidné est qu'il est ovipare, la seconde qu'il est un homéotherme imparfait: sa température cérébrale ne dépasse pas les 33°C et il peut hiberner. L'intérêt électrophysiologique qui lui est porté réside dans le fait qu'en 1972, Truett Allison a démontré l'existence du sommeil lent (S.L.) mais pas celle du sommeil paradoxal (S.P.). Or, s'agissant d'un mammifère fossile, on pense que l'étude de son sommeil doit nous renseigner sur les origines mêmes des différents types de sommeil. En fait, dès la première étude, un doute s'est installé sur l'existence du S.P. chez l'échidné car il présente des périodes de veille calme, sans tonus musculaire, accompagnées de mouvements oculaires semblables à ceux du S.P. Toutefois, la quasi-totalité des indices physiologiques, caractéristiques du S.P. des mammifères, est absente pendant ces périodes: le seuil d'éveil par stimulation est largement inférieur à celui du S.L., l'activité thêta hippocampique est absente, et le rythme cardiaque ne présente pas les irrégularités typiques du S.P.

L'échidné est devenu le point de référence de la phylogenèse du S.P. et, au cours des récentes années, de beaucoup de théories sur la fonction du S.P. Son absence chez l'échidné ne peut pas être expliquée par ses particularités physiologiques comme sa température basse, car d'autres animaux avec des températures semblables ont du S.P., notamment le tatou qui est probablement l'animal en présentant le plus. L'échidné contredit aussi les corrélations qu'on trouve chez l'ensemble des mammifères pour expliquer la quantité de S.P., à savoir: plus un animal est petit et léger plus il a de S.P., or l'échidné est relativement petit; plus le refuge d'un animal est sûr plus il a du S.P., or l'échidné s'enfouit dans la terre et dort en totale sécurité; plus un animal est immature à la naissance plus il a du S.P., même à l'âge adulte, or le petit échidné est extrêmement immature à l'éclosion de l'œuf.

Le mystère du sommeil de l'échidné commence peut-être à trouver un début de réponse, grâce aux travaux récents du professeur Siegel, aux États-Unis. Nous savons que l'activité électrique de certains neurones change de rythmicité et d'intensité, selon qu'un animal se trouve éveillé, en S.L. ou en S.P. Or, certains neurones, enregistrés directement dans le cerveau des échidnés, ont une activité électrique qui ne ressemble ni à celle du S.L. ni à celle du S.P. Pendant le sommeil de l'échidné, l'activité de ces neurones diminue comme pendant le S.L., mais sa variabilité augmente comme durant le S.P. Ainsi, il semble que l'échidné ne soit pas seulement dépourvu de S.P. mais également de S.L., comme celui défini chez les mammifères. Autre interprétation, le sommeil de l'échidné serait la forme primitive à partir de laquelle les deux sommeils ont évolué chez les mammifères. Si cette hypothèse s'avère exacte, nous aurons enfin trouvé un critère pour traquer les origines du sommeil et ses fonctions. Toutefois, il manque une dernière donnée à cette énigme. Nous savons que la quantité de S.P. diminue dramatiquement au cours de l'ontogenèse, les animaux adultes ayant environ cinq fois moins de S.P. que leurs nouveau-nés. Si des jeunes échidnés présentent très peu de S.P., ceci pourrait expliquer sa disparition chez les adultes. Des études sont encore nécessaires avant de se prononcer sur l'absence de S.P. chez cette espèce.

M. T.

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