Le sommeil
Jean Michel Gaillard

L'intérêt que l'on porte au sommeil ne date pas d'aujourd'hui. De nombreux auteurs du siècle passé se sont deja penchés sur ce sujet et ont fourni des contributions importantes, malgré les limites étroites des moyens d'investigation disponibles à l'époque. Pour ne citer que quelques-uns d'entre eux, MAURY a consacré un ouvrage au sommeil et au rêve, reste célèbre surtout par sa description exemplaire des hallucinations hypnagogiques, qu'il avait observées sur lui-même. LEROY a lui aussi donné une tres belle étude des hallucinations hypnagogiques. Le marquis d'HERVEY DE SAINT-DENYS s'est interessé aux rêves, dont l'analyse a été reprise par FREUD pour en dégager les principaux mécanismes psychologiques et les rapports avec l'inconscient. En 1880, GELINEAU , décrit un syndrome qu'il nomme narcolepsie, caracterisé par des attaques de sommeil diurne et des paralysies musculaires brusques et transitoires, liées aux émotions.

Cependant l'absence de méthode d'enregistrement et de mesure du sommeil, ainsi que l'ignorance des manifestations physiologiques concomitantes du rêve n'ont pas permis à ces études anciennes de dépasser le niveau d'une description phénomènologique de ce qui était accessible à l'observation directe. Ce n'est qu'après la description de l'activité électrique cérébrale par BERGER en 1929 , que l'ère moderne des recherches a pu commencer. En 1937, LOOMIS et ses collaborateurs sont les premiers à étudier l'electroencephalogramme de sujets endormis, décrivent les stades du sommeil orthodoxe et en donnent une classification restée longtemps en usage. Ce n'était la toutefois qu'un premier pas, car il manquait encore un stade important, le stade paradoxal, qui est longtemps passé inapercu car on le confondait avec de l'éveil ou du sommeil léger. Ce stade a été identifié par ASERINSKY et KLEITMAN en 1953, grâce à l'observation de mouvements oculaires rapides survenant par épisodes chez le dormeur. Reveillé à ce moment, celui-ci était très souvent capable de raconter un rêve, alors qu'il n'en avait pas de souvenir s'il était réveillé pendant les periodes sans mouvements oculaires. Le stade paradoxal complétait ainsi la sémiologie polygraphique du sommeil et permettait de le décrire dans sa structure complète.

Les premières études d'ASERINSKY ont été répétées dans les années suivantes par DEMENT et KLEITMAN chez l'homme, et par MICHEL JOUVET chez le chat. Ces auteurs ont pu confirmer la réalité du stade paradoxal et son association au rêve chez l'homme. C'est à partir de 1960, grâce aux techniques polygraphiques, désormais bien codifiées, que l'étude du sommeil tant sur le plan clinique que sur le plan expérimental a connu un développement très important. Au cours de cette période notamment ont été identifiées la majorité des conditions pathologiques liées au sommeil que nous connaissons aujourd'hui. Dès 1975, les laboratoires de sommeil ont proliféré, sur tout aux Etats-Unis et dans une mesure un peu moindre en Europe.

Simultanément, dans un tout autre domaine se développait l'informatique, dont l'intérêt a très vite été reconnu par les électroencéphalographistes. Dès 1969, elle était appliquée à la reconnaissance des stades du sommeil, permettant la mise au point des premiers systèmes de scorage automatique des enregistrements. Toutefois les possibilités de l'informatique ne se limitent pas à cette application. Les signaux physiologiques enregistrés pendant le sommeil, principalement l'électroencéphalogramme, sont très complexes et contiennent beaucoup plus d'information qu'il n'est possible d'en extraire par inspection visuelle des tracés. Seul l'ordinateur permet la mesure de toutes ces activités et leur représentation sous une forme utilisable. Dans ce dessein, une réduction massive des données est nécessaire, ce qui implique un choix approprié des méthodes de calcul, afin de ne pas perdre les informations pertinentes tout en écartant celles qui ne constituent qu'un bruit de fond par rapport au problème que l'on étudie. Il est aujourd'hui possible de réaliser une analyse numérique précise de l'EEG, tant au cours de l'éveil que dans le sommeil. Ces techniques sont encore un peu trop jeunes pour avoir contribué dans une large mesure à l'étude du sommeil normal ou pathologique, mais elles représentent une ouverture très importante vers l'avenir.

Actuellement les enregistrements de sommeil constituent un élément essentiel dans le diagnostic et le traitement des troubles du sommeil. Ils peuvent aussi rendre de grands services dans des domaines voisins, comme les états dépressifs. Cependant si la clinique du sommeil est bien établie, il n'en est pas tout à fait de même de sa physiologie, où des progrès restent encore à faire. En dépit des connaissances accumulées, il subsiste des lacunes en ce qui concerne certains aspects fonctionnels, biochimiques ou neurophysiologiques.

Parmi les troubles du sommeil, certains comme le syndrome d'apnées nocturnes menacent directement la santé physique; d'autres au contraire, comme l'insomnie chronique, ne sont pas dangereux à ce point de vue, mais représentent souvent la pointe d'un iceberg constitué par des perturbations psychologiques de tous ordres, principalement névrotiques. La physiopathologie de ces affections n'est pas complète ment éclaircie et même leur sémiologie n'est pas toujours facile à mettre en évidence, ce qui explique pourquoi elles ont parfois été sous-estimées. Le présent ouvrage ne saurait couvrir l'ensemble de l'étude du sommeil, ce qui constituerait, malgré le caractère spécialisé de ce domaine, une somme considérable. J'ai préféré rapporter ici un certain nombre de connaissances de base, ainsi que quelques-uns des concepts importants dans la recherche actuelle sur le sommeil. Mon souhait est que ce livre puisse être de quelque utilité pour le médecin praticien, mais également pour toute personne désirant une information générale dans ce domaine, et j'espère avoir pu communiquer un peu de l'intérêt que suscite l'étude de l'une des fonctions essentielles du système nerveux central.

Editions DOIN - ISBN 2-7040-0640-7