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MÉCANISMESAvant qu'ils ne fassent tout récemment l'objet d'une recherche expérimentale neurophysiologique, les facteurs locaux, systémiques et surtout psychologiques semblaient les principaux responsables du bruxisme. I. Facteurs locaux et systémiquesRamfjord (1961) émit l'hypothèse que les facteurs locaux étaient les éléments prépondérants dans la genèse et la fonction du bruxisme. L'idée princeps de sa théorie occlusale est que le bruxisme avait pour but de supprimer les prématurités ou les interférences qui ne permettaient pas un passage harmonieux de la relation centrée à la position d'intercuspidation maximale. Il pouvait avoir aussi comme finalité de réduire des guidances canine ou incisive trop importantes dans les classes II d'angle par exemple. Pourtant, cette théorie s'est avérée sans fondements. En effet, Bailley et Rugh (1980) ainsi que Rush et Ohrbach (1988) ont montré que la réalisation d'une équilibration occlusale chez des bruxomanes selon les critères de Ramfjord et Ash (1971), ne réduit pas la para-fonction. De même, la pose d'une couronne en surocclusion chez des bruxomanes provoque, dans un premier temps, une réduction de l'activité EMG des masséters suivie d'une reprise normale du bruxisme. Ainsi, le schéma occlusal a peu d'effets sur le bruxisme (Solberg et coll., 1975; Rugh et coll., 1984). Enfin, il a été montré que les malocclusions telles que les classes II et III molaires, n'entraînent pas d'augmentation de l'intensité du bruxisme. Pour ces raisons, il est à présent admis (par ex., Seligman et coll., 1988) que le bruxisme du sommeil n'est pas dû à des facteurs occlusaux et un traitement occlusal préventif du bruxisme ne semble donc pas scientifiquement justifié (Vanderas et Manetas, 1995). Des problèmes viscéraux, parasitaires ou des désordres endocriniens ont été évoqués comme facteurs systémiques susceptibles d'être à l'origine du bruxisme (Suzuki, 1979; Klineberg, 1994). Cependant, aucune étude n'a pu démontrer une causalité ou une corrélation évidente. Récemment, Hartmann (1994) et Lavigne et coll. (1997a) ont montré respectivement que l'alcool et le tabac sont des facteurs de risque conduisant à une augmentation du bruxisme. Quoi qu'il en soit, même si ces facteurs systémiques ont une corrélation avec le bruxisme, ils n'en constituent pas une cause directe, mais bien une cause favorisante par la dystonie neuro-végétative qu'ils entretiennent. II. Aspects psychologiquesLes facteurs psychologiques tels que le stress ont fait l'objet d'une attention particulière. Pour les psychanalystes freudiens, la cavité orale possède une intense signification émotionnelle (Sinick, 1964). Le bruxisme serait alors l'expression de l'anxiété, des difficultés rencontrées dans la vie ou encore des frustrations ressenties: "on grince des dents quand on ne peut pas mordre ce qu'on a envie de mordre" comme l'a écrit M. Bonaparte (1952). Il serait même pour Slavicek (1996) un mécanisme indispensable à la libération du stress que le système masticateur met en action dans les situations d'angoisse psychique. En effet, l'importance du grincement augmente en fonction du stress ressenti durant la journée et une corrélation positive entre le bruxisme et l'anxiété, l'hostilité ou encore l'hyperactivité a été mise en évidence chez les étudiants, notamment à l'approche des examens (Vernallis, 1955). La même corrélation est également observée dans une population plus large (Thaller et coll., 1967), et même chez les enfants (Lindquist, 1972). Enfin, le taux d'adrénaline dont la concentration augmente dans les urines avec le niveau d'anxiété est corrélé avec l'activité nocturne des muscles massetérins (Clark et coll., 1980). Le bruxisme peut aussi être rattaché à différents types de personnalité. Ainsi, pour Thaller et coll. (1967), les bruxomanes sont plus introvertis, présentant un comportement diminué face à la frustration alors que les sujets témoins dirigent leur hostilité envers les autres ou envers des objets (extravertis). Des résultats similaires ont également été obtenus par Kail (1985). De plus, les bruxomanes ont une tendance plus importante à la dépression et à l'instabilité émotionnelle que des sujets asymptomatiques (Molin et Levi, 1966; Olkinuora, 1972 a et b). Il est intéressant de noter enfin, que malgré ces "défauts", les bruxomanes écoliers sont pour la plupart méticuleux et motivés (Suzuki, 1979) et que la plupart des bruxomanes sont plutôt des individus performants (données personnelles non publiées). lation n'étant pas la causalité, il reste à comprendre par quels mécanismes biologiques fondamentaux le stress et certains types de personnalité conduisent au bruxisme du sommeil. La théorie "Thégosis" représente un point de vue intéressant fondé sur des arguments phylogénétiques.. III. Théorie " Thégosis "Ce terme inventé par Every (1975, voir aussi Klineberg, 1994) vise à décrire le phénomène de grincement des dents involontaire et l'usure dentaire. L'idée princeps est que, dans le monde animal, le grincement des dents est une habitude instinctive qui permet aux animaux, notamment aux carnivores, de garder les dents pointues et perçantes, d'améliorer les contacts dentaires et de maintenir le tonus et la force de la mâchoire, ce qui est nécessaire à la prise alimentaire et à la défense. Cette activité des muscles masticateurs, indispensable à la survie des animaux, peut s'exercer aussi bien pendant l'éveil que durant le sommeil. Elle peut s'accentuer en présence de tension interne (colère, agression, par ex.) ou externe (devant un danger ou une menace), situation facilement assimilable au stress chez l'homme. Selon cette théorie, le bruxisme apparemment sans but fonctionnel chez l'homme serait une habitude héritée, non effacée au cours de la civilisation et qui aurait, à l'origine, une signification plutôt biologique que pathologique. Cette théorie pourrait expliquer le fait qu'une activité masticatrice soit mise en évidence pendant le sommeil dans une grande partie de la population. Elle permettrait également de faire le lien entre le bruxisme et le stress ainsi qu'avec d'autres facteurs psychogènes. En effet, les études neuroanatomiques récentes sur le système limbique et la substance grise périaqueducale (PAG), structure qui entoure l'aqueduc de Sylvius, sont en faveur de l'existence de connexions anatomiques et fonctionnelles entre ces systèmes, contrôlant les aspects comportementaux et émotionnels, et le circuit neuronal responsable de la mastication (voir pour revue Depaulis et Bandler, 1991). IV. Mécanismes neurophysiologiques putatifs1) Circuit système limbique/ substance grise péri-aqueducale Il est bien établi que le système limbique joue un rôle important dans le contrôle de l'émotion, du comportement. La PAG est un carrefour de communication entre le système limbique et tous les systèmes exécutifs nécessaires à la réalisation d'une réaction émotionnelle et comportementale, tels les systèmes moteurs, respiratoires et cardio-vasculaires. La PAG reçoit également des projections sensorielles et sensitives (visuelles, auditives, nociceptives, etc) (voir pour revue Depaulis et Bandler, 1991). Les circuits entre le système limbique et la PAG jouent donc un rôle primordial dans la réaction de défense "fuite ou agression" [lorsqu'un animal est devant un danger soudain et imprévu, il doit pouvoir instantanément juger de l'ampleur du danger et de sa propre capacité à réagir : fuir ou lutter (Zhang et coll., 1990; Bandler et coll., 1991)]. Il semble donc que le stress, qu'il soit issu de la personnalité instinctive ou des problèmes rencontrés dans la vie, pourrait activer le circuit système limbique/PAG. Ce dernier qui possède de nombreuses connexions directes ou indirectes avec le circuit neuronal responsable de la mastication rythmique, entraînerait des réactions motrices spécifiques de fuite ou d'agression ou encore des grincements de mâchoires (Fig. 3). Si la théorie Thégosis, appuyée par les mécanismes impliqués dans la réaction "fuite ou agression" peut expliquer le bruxisme comme une réponse involontaire et inconsciente vis à vis du stress chronique dans une population importante, elle n'explique pas le fait que le bruxisme puisse se développer de façon répétée et excessive durant le sommeil. C'est la raison pour laquelle des aspects pathologiques doivent être considérés. 2) Hypothèse dopaminergique L'Association Américaine des Désordres du Sommeil définit le bruxisme comme un trouble du mouvement stéréotypé et périodique pendant le sommeil (Thorpy, 1990). Or, le rôle du système dopaminergique central est bien établi dans le contrôle des comportements stéréotypés, tout comme il l'est dans les autres types de troubles moteurs durant le sommeil. C'est la raison pour laquelle les mécanismes dopaminergiques dans la pathogenèse du bruxisme sont actuellement envisagés. fig. 3. Schéma récapitulatif résumant notre hypothèse et l'état actuel des connaissances sur les réseaux neuronaux impliqués dans la genèse du bruxisme de sommeil (voir aussi le texte). Abréviations: DA, neurones dopaminergiques; PAG, substance grise périaqueducale ; SN, substance noire ; V, noyau moteur du trijumeau, système exécutif de la mastication ; ---> interactions anatomiques et fonctionnelles projection prouvée anatomiquement ; ---- projection inhibitrice ---- projection hypothétique. fig. 3. Schematic diagram representing our knowledge and hypothesis concerning the neurophysiological mechanisrns involved in the generation of sleep bruxism (see also the text). Abbreviations: DA, dopaminergic neurons, PAG, periacqueductal grey SN, substantia nigra ; V, trigeminal motor nucleus, executive system of mastication ; ---> anatomical and functional interactions ; - anatomically established projection ; --- inhibitory input ; ---- hypothetical projection.
Il est connu que les psychostimulants dopaminergiques comme l'amphétamine provoquent ou accentuent le bruxisme (Hartmann, 1994; Lavigne et coll., 1995). De plus, l'administration directe des agonistes des récepteurs D1 dans les ganglions de la base, structures primordiales dans le contrôle moteur, augmente les mouvements oromandibulaires du chat et du rat alors que celle des agonistes des récepteurs D2 les diminue (Johansson et coll., 1987; Koshikawa et coll., 1990; Spooren et coll., 1991). Ces résultats sont en faveur d'un rôle modulateur de la dopamine dans le bruxisme, dépendant des différents types de récepteurs et des circuits dopaminergiques mis en jeu. L'activation des récepteurs D1-like (D1 et D5) favoriserait le bruxisme alors que celle des récepteurs D2-like (D2-D4) aurait un rôle opposé. Il faut aussi souligner que la L-DOPA (précurseur immédiat de la dopamine) induit une augmentation du bruxisme à forte dose et, en revanche, une diminution à faible dose, surtout chez les patients présentant également le syndrome de mouvements périodiques des jambes (Lavigne et coll., 1995, 1997b). Ce phénomène est compatible avec certains autres agonistes dopaminergiques qui possèdent une action bidirectionnelle. L'explication de ces différences est apportée par la mise en jeu des récepteurs pré- ou post-synaptiques qui vont avoir des réponses différentes et parfois opposées selon la dose d'agonistes utilisée. Récemment, par une technique d'imagerie SPECT (Single-photo-emission computed tomography), Lobbezoo et coll. (1996) ont montré que la densité des récepteurs D2 au niveau des ganglions de la base chez les bruxomanes présente une asymétrie droite/gauche particulièrement importante, ce qui semble suggérer qu'un déséquilibre hémisphérique de l'activité dopaminergique pourrait jouer un rôle dans le déclenchement du bruxisme. Cependant, une projection directe du striatum sur le noyau moteur du trijumeau ou noyau masticateur, système exécutif de la mastication, n'a jamais été démontrée chez les animaux (Fort et coll., 1990). Par conséquent, un contrôle dopaminergique éventuel sur la mastication, devrait faire intervenir les projections descendantes dopaminergiques (issues de la substance noire, de l'aire tegmentale ventrale de Tsaï et de l'hypothalamus) sur le noyau masticateur, mises en évidence par Copray et coll. (1990). Tous les facteurs susceptibles d'intervenir dans le bruxisme, qu'ils soient psychologiques ou neurologiques, vont impliquer de façon directe ou indirecte (via le générateur de rythme masticateur), le système exécutif (Fig. 3). Dans ce sens, il est dommage que la résolution spatiale de la technique SPECT ne permette pas encore, à l'heure actuelle, la visualisation chez les bruxomanes de la densité des récepteurs dopaminergiques au niveau du noyau du trijumeau. 3) Système neuro-masticateur et bruxisme Récemment, en étudiant les mécanismes responsables de l'atonie musculaire oro-faciale pendant le sommeil paradoxal, les afférences potentiellement excitatrices et inhibitrices au noyau du trijumeau ont été mises en évidence par des études neuroanatomiques chez les animaux (Fort et coll., 1990). Le rôle de ces afférences dans le contrôle de l'activité masticatrice a été aussi étudié par l'approche électrophysiologique. Les motoneurones du noyau trigeminal sont innervés massivement par les fibres/terminaisons glycinergiques et gabaergiques (systèmes inhibiteurs) chez le chat et le rat (Saha et coll., 1991; Fort et coll., 1993; Takahashi et coll., 1995; Rampon et coll., 1996a; Yang et coll., 1997, voir Fig. 3). Une étude de transport rétrograde chez le rat a montré, de plus, que cette innervation glycinergique provient principalement du noyau réticulaire parvocellulaire (Rampon et coll., 1996b), structure faisant partie du circuit neuronal responsable de la genèse de la mastication rythmique (Nakamura et Katakura, 1995). Enfin, la strychnine, un antagoniste de la glycine, abolit totalement les potentiels inhibiteurs postsynaptiques enregistrés dans les motoneurones durant le sommeil paradoxal, ce qui démontre le rôle inhibiteur de la glycine sur ces neurones, induisant l'atonie des muscles masticateurs pendant ce stade du sommeil (Chirwa et coll., 1991). Le bruxisme apparaît essentiellement durant le sommeil lent léger et dans une moindre mesure durant le sommeil paradoxal. Pour que la mastication n'ait pas lieu durant ces stades, les afférences au noyau moteur du trijumeau (glycinergiques ou/et gabaergiques) doivent exercer, soit une inhibition tonique et totale sur ces motoneurones (atonie musculaire), soit partielle, permettant un certain tonus musculaire mais ne laissant pas passer les potentiels d'action. Il n'est donc pas impossible qu'un dysfonctionnement de ces afférences inhibitrices, en permettant la survenue sur les motoneurones, de décharges en bouffées générées par le circuit de la mastication rythmique (Nakamura et Katakura, 1995), puisse jouer un rôle important dans la genèse du bruxisme (Fig. 3). L'étude électrophysiologique fine des comportements des motoneurones et de leurs afférences inhibitrices notamment pendant le sommeil lent léger permettra d'évaluer cette hypothèse. Enfin, il reste également à déterminer comment et dans quelles mesures les facteurs psychogènes (le stress, par ex.) ou neurologiques (l'influence dopaminergique, par ex.) peuvent intervenir sur les afférences inhibitrices du noyau masticateur. A l'avenir, le développement et l'utilisation de différentes approches d'imagerie cérébrale à grande résolution spatiale, telles que la SPECT, la PET (tomographie à émission de positrons) ou l'IRM (imagerie de la résonance magnétique) vont sans doute permettre de visualiser les structures et les circuits neuronaux mis en jeu durant le bruxisme. Leur utilisation, en combinaison avec les modèles animaux appropriés à l'étude de la mastication (Chapotat et coll., 1990; Byrd, 1997), favorisera certainement une meilleure compréhension des mécanismes du bruxisme. |
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