Etude des mécanismes du sommeil physiologique
M. Jouvet, J. Dechaume et F. Michel
Lyon Médical N 38 -18 Septembre 1960
TABLE DES MATIERES

Introduction

I - Rappel Methodologique

II - Aspects EEG du sommeil physiologique chez le chat

III - Topographie des systemes responsables des deux stades du sommeil

IV - Les expériences de stimulation

V - L'ensemble de ces résultats

VI - Aspects EEG du sommeil physiologique chez l'homme

Conclusion

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Introduction

Les progrès de la neurophysiologie ont vu la confrontation de deux hypothèses principales concernant le sommeil:

  • a) ou bien le sommeil est dû au relâchement passif d'un système de vigilance;
  • b) ou bien il est dû à l'intervention active d'un système hypnique.

Il semble que ce soit à Gayet, médecin de l'Hôtel-Dieu de Lyon, en 1875, que l'on doit la première description d'un cas d'encéphalite lésant le troisième ventricule, accompagnée d'une somnolence invincible et de paralysies oculaires. Cette constatation laissait entrevoir l'existence de structures nerveuses responsables de l'état de veille.

Au cours de la grande épidémie d'encéphalite de 1918, Von Economo situa également, à la partie postérieure du troisième ventricule, et au niveau de la partie haute du tronc cérébral, les lésions responsables de l'encéphalite léthargique. C'est donc au niveau de l'hypothalamus que les physiologistes établirent des lésions expérimentales en traînant de la somnolence (Ranson et son école, 1934). Raphaël Dubois (1894) semble avoir été un précurseur en localisant, chez la marmotte, au niveau du plancher de l'aqueduc, le siège des processus du réveil. Il devenait alors évident que certaines parties du tronc cérébral étaient responsables de l'état de vigilance et c'est le mérite de Moruzzi et Magoun et de leur école, reprenant les expériences classiques de Bremer (1936) d'avoir montré que la formation réticulée du tronc cérébral constituait un système activateur ascendant responsable de l'état de veille.

Cependant, les partisans de l'existence d'un système de veille se montrent extrêmement discrets lorsqu'il s'agit d'expliquer son ´relâchementª passif. Ils invoquent alors une fatigue neuronique ou une déafférentation: un mécanisme hypothétique empêchant l'arrivée des signaux du monde extérieur au sein de la formation réticulaire. Cette ´déafférentationª avait déjà été proposée par Lépine (1895) qui émit l'idée que le sommeil naturel pouvait être causé par le retrait des prolongements de certaines cellules nerveuses. Cependant, aucune expérience n'a permis de prouver, électrophysiologiquement, l'existence d'une déafférentation réticulaire au cours du sommeil physiologique.

C'est donc à quelque mécanisme inhibiteur qu'il appartient de freiner, de façon active, le système réticulaire activateur au cours du sommeil. Mais la délimitation de systèmes ou de centres hypnogènes actifs est plus difficile à réaliser que celle d'un système d'éveil, car nous comprenons encore mal les mécanismes d'inhibition nerveuse.

Pavlov fut le premier à insister sur l'importance primordiale du cortex comme facteur d'inhibition des centres nerveux sous-jacents Il montra qu'au cours de certains conditionnements complexes qui mettaient sûrement les cellules corticales en jeu, le sommeil apparaissait de facon active sinon explosive. Plus tard, Hess, en stimulant le thalamus, put induire le sommeil chez le chat, et apporta ainsi des arguments en faveur de l'existence de mécanismes inhibiteurs.

L'électroencéphalogramme (E. E. G.) est venu enrichir, considérablement les techniques d'étude du sommeil:

Dès les premières études, il est apparu que les aspects E.E.G. du sommeil étaient très complexes. La majorité des auteurs s'accorde cependant pour décrire quatre stades principaux chez l'homme: Blake, Gérard et Kleitman (1939), Davis (1938), Loomis (1938), Dement et Kleitman (1957). Des travaux récents ont attiré l'attention: Aserinsky et Kleitman (1955), Dement et Kleitman (1957), sur un stade particulier du sommeil accompagné de mouvements rapides des yeux et en relation probable avec le rêve.

Chez le chat: après les études classiques de Rheinberger et Jasper (1937) et de Hess (1953) qui ont révélé que le sommeil physiologique s'accompagnait de fuseaux et d'ondes lentes corticales et sous-corticales, l'existence de périodes d'activité corticale rapide pendant le sommeil fut ensuite reconnue (Rimbaud, Passouant et Cadilhac, 1955), tandis que Dement (1958) montrait que cette activité rapide s'accompagnait de mouvements des yeux et pouvait ainsi traduire une activité onirique; pour cet auteur, le stade rapide du sommeil chez le chat représenterait une phase de sommeil activée (activated sleep), intermédiaire entre le sommeil profond, caractérisé par les ondes lentes, et l'état de veille.

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