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Un troisième état de vigilance
Les enregistrements continus au cours du sommeil nocturne révélèrent
alors une notion nouvelle : l'apparition du rêve n'est pas aléatoire
mais périodique. Chez l'homme, il survient environ toutes les 90
minutes au cours du sommeil et dure chaque fois 15 à 20 minutes.
Cependant, pour l'école de Chicago, le rêve restait encore
un sommeil léger, périodique, intermédiaire entre
la veille et le sommeil profond. Il fut ainsi assimilé à
la période d'endormissement (stade 1) d'où le nom d "emergent
stage one " qui lui fut donné. En fait, c'est l'expérimentation
animale qui devait permettre de placer le rêve à sa véritable
place dans le cycle veille-sommeil.
Dès 1937, Klaue avait ouvert la voie en décrivant, chez
le chat porteur d'électrodes chroniquement implantées, le
"sommeil léger" avec ondes lentes et le sommeil profond (tiefen
Schlaf) avec activité corticale rapide. Ces travaux trop précoces
furent oubliés. En 1958, Dement décrivait chez le chat un
stade intermédiaire entre l'éveil et le sommeil qu'il nomma
"sommeil activé", caractérisé, comme le rêve
chez l'homme, par une activité corticale rapide et des mouvements
oculaires. A cette époque, avec François Michel, nous étudiions
à Lyon des chats dont nous avions enlevé le cortex cérébral;
ces "préparations décortiquées", que nous gardions
en vie plusieurs semaines, nous permettaient d'explorer l'activité
nerveuse sous-corticale au niveau mésencéphale. A notre
surprise, cette activité demeurait parfaitement monotone, sans
l'habituelle alternance d'ondes lentes et d'activité rapide que
l'on enregistre au niveau du cortex. Aussi, afin de disposer de critères
objectifs pour déterminer le passage de l'animal de l'état
de veille à celui de sommeil, nous décidâmes d'implanter
des électrodes permanentes dans les muscles de la nuque, et d'enregistrer
également la formation réticulée pontique, qui se
trouve juste en dessous du mésencéphale. Au cours d'enregistrements
de longue durée, nous eûmes la surprise de voir apparaître
régulièrement des périodes de 6 minutes environ au
cours desquelles toute activité musculaire dis paraissait. Cette
atonie totale était accompagnée d'une activité électrique
de "pointes" de haut voltage apparais sant au niveau de la formatlon réticulée
pontique. La polygraphie nous révéla rapidement que l'apparition
de cette activité électrique intermittente était
liée à celle des mouvements oculaires et que, chez l'animal
intact endormi, la disparition totale du tonus musculaire s'accompagnait
d'une activité corticale rapide. N'était-il pas paradoxal
de trouver des ondes corticales rapides, typiques de l'état d'éveil,
associées à un sommeil profond si l'on en jugeait par la
relaxation musculaire totale et l'élévation considérable
de l'intensité des stimulations nécessaires pour réveiller
le dormeur ? Au vu de ces singularités, nous avons proposé
d'appeler cet état "phase paradoxale du sommeil" ou "sommeil paradoxal"
et de le considérer comme un troisième état de vigilance,
aussi différent du sommeil que ce dernier est différent
de l'éveil. Comme nous le verrons, la phénoménologie
n'est pas seule à suggérer l'existence de trois états
de vigilance distincts: éveil, sommeil et rêve. Les données
de la neurophysiologie, de la neurochimie, de l'ontogénèse
et de la phylogénèse corroborent cette théorie. Elle
n'est d'ailleurs pas nouvelle puisqu'elle avait déjà été
exprimée il y a deux mille ans dans la mythologie indienne, les
Upanishads !
Les frontières objectives de trois états de vigilance
bien distincts ont pu être délimitées grâce
au developpement de la polygraphie chez le chat. Il s'agit de l éveil
du sommeil lent et du sommeil paradoxal bientôt assimilé
au rêve.
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