Le rêve
Michel Jouvet
La Recherche
TABLE DES MATIERES
Sommaire
Un troisième état de vigilance
Les frontières objectives du rêve
A la recherche d'un "centre" du rêve
La régulation biochimique du cycle veille-sommeil
Trois clés pour le rêve dans la théorie monoaminergique
Un orage cérébral
L'histoire naturelle du rêve
Les fonctions du rêve
Le rêve, programmation génétique des instincts ?
Rêve et plasticité
La privation de rêve
Pour en savoir plus
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Le rêve, programmation génétique des instincts ?

Il faut donc supposer qu'il existerait deux types de neurones au sein du système nerveux central... Les uns apparaissent précocement et sont soumis à un programme génétique extrêmement strict. Par exemple la construction du système visuel s'effectue par induction séquentielle de neurones capables d'aller trouver leur but au niveau du tectum malgré la rotation de l'oeil chez l'amphibien. Dans de tels systèmes, le génome contient à la fois la spécification de l'organisation (ou de la réorganisation après section de l'axone dans le cas des poïkilothermes). Ces systèmes de neurones nécessitent ensuite des stimulations externes épigénétiques pour fonctionner chez les homéothermes.

Il faut admettre qu'il existe chez les homéothermes d'autres systèmes de neurones qui apparaissent plus tard au cours de la maturation cerébrale et dont la spécification et les connexions peuvent être modifiées. Il apparaît logique que ces neurones soient mis en place vers la fin de l'ontogénèse au cours du sommeil paradoxal.

Tout se passe comme si, à un moment donné du développement du cerveau, l'organisation de tels systèmes nécessitait une activation par un "pace maker" endogène. Cette activation pourrait être représentée par l'activité PGO du sommeil paradoxal, issu du "pace maker" pontique.

Les systèmes de neurones qui sont soumis à une telle stimulation endogène sont en relation étroite avec les neurones moteurs. On est même en droit de supposer que la stimulation endogène est responsable de l'apparition d'un véritable répertoire de comportements génétiquement programmés. En témoignent les périodes de comportement stéréotypé d'agression ou de défense qui apparaissent au cours du sommeil paradoxal chez les chats dont les mécanismes d'inhibition centrale au niveau des motoneurones ont été détruits.

Le rêve constituerait ainsi une répétition in utero ou pendant le sommeil des nombreux mécanismes intégratifs et moteurs qui sous-tendent ensuite les comportements innés (ou instinctuels), qui apparaissent à chaque étape du développement de l'individu : comportement post-natal (recherche de la nourriture), répertoire du chant des oiseaux chez qui ce répertoire est inné, comportement d'agression, de défense du territoire, de marquage du territoire, comportement sexuel, etc. Le rôle du rêve (ou du sommeil paradoxal) serait ainsi de préparer, d'organiser et de programmer les séquences motrices selon les étapes du développement historique du système nerveux afin que celles-ci soient parfaitement au point lorsque les conditions du milieu extérieur et intérieur sont adéquates. En somme, le rêve représenterait au niveau de l'organisation motrice des comportements innés ce que les événements épigénétiques sont pour la maturation des systèmes sensoriels. On comprend que le sommeil paradoxal constitue le cadre idéal pour qu'une telle programmation genétique ait lieu. D'abord ce phénomène est presque permanent in utero, au moment de la maturation des structures les plus complexes du système nerveux et de la mise en place, sinon de l'essai, des programmes genétiques qui devront être utilisés à la naissance. Dans la période post-natale et même chez l'adulte, compte tenu des modifications plastiques importantes entraînées par l'apprentissage au niveau des synapses et du rôle de certaines glandes endocrines dans la modification du génome, on conçoit qu'il soit nécessaire qu'une organisation ou une réorganisation des programmes instinctuels complexes ait lieu. Il est évident que cette réorganisation génétique qui met en jeu les motoneurones ne peut s'effectuer alors qu'en circuit fermé, afférences et efférences bloquées et au cours du sommeil. Il apparait en effet logiquement impossible qu'une telle programmation puisse s'effectuer au cours de l'éveil, alors que la majorité des neurones moteurs et des circuits intégratifs corticaux sont soumis à l'influence des événements épigénétiques.

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