Rêves, mimiques et apprentissages
Marie Josèphe Challamel
Autrement, Série Mutation 119 pages : 128-136 (1991)

Au début de la vie, à quoi sert le sommeil paradoxal ?

Comment l'étudie-t-on ?

Quand les sourires des nouveau-nés ont des messages a transmettre...

De nombreuses fonctions ont été attribuées au sommeil paradoxal:

  • Restauration psychique
  • Rôle dans la maturation et le développement du cerveau (Roffwarg, 1966);
  • Maturation de l'efficience visuelle (Bergel);
  • Rôle de programmation génétique du comportement (Jouvet);
  • Rôle "sentinelle": permet de se réveiller périodiquement afin de contrôler l'environnement pendant le sommeil (Snyder);
  • Rôle dans la mémoire et l'apprentissage: consolidation de la mémoire à long terme, facilite l'intégration des acquisitions nouvelles;
  • Réafférentation du cortex après le sommeil lent profond;
  • Stimulation des fonctions hémisphériques droites.

La plupart d'entre elles trouvent leur justification dans la constatation d'une très grande quantité de ce sommeil chez les êtres qui, comme l'homme, naissent immatures. Parmi toutes ces hypothèses, nous nous intéresserons à celles qui peuvent être impliquées dans le développement neuropsychique de l'enfant: c'est-à-dire au rôle du sommeil paradoxal dans les processus de mémorisation et d'apprentissage, et à deux théories importantes: celles de Howard Roffwarg (1) et de Michel Jouvet (2).

Ces théories restent spéculatives: nous essayerons de les étayer sur l'analyse des mécanismes neurophysiologiques du sommeil paradoxal; sur les résultats des expériences de privation de sommeil, et sur une étude personnelle de la signification neurophysiologique des mimiques faciales observées au cours du sommeil chez le nouveau-né.

Le sommeil paradoxal est le support neurophysiologique du rêve; il correspond à une activation cérébrale intense: l'activité électrique des neurones et le flux sanguin sont, dans certains territoires cérébraux, chez l'animal mais aussi chez l'homme, aussi importants qu'à l'éveil; mais cet éveil est uniquement interne puisqu'il existe au cours du SP une atonie musculaire très importante réalisant une véritable paralysie et une diminution des capacités sensorielles. Les centres du SP se situent dans le tronc cérébral. L'inhibition des neurones moteurs qui entraîne la paralysie, l'éveil cortical, les activités phasiques (c'est-à-dire les mouvements oculaires, les petits mouvements du visage et des extrémités, les irrégularités cardiaques et respiratoires) dépend de groupes spécifiques de neurones situés au niveau du bulbe et du pont. D'un de ces centres partent des impulsions: les ondes ponto-géniculo-occipitales (PGO); ces ondes probablement génétiquement programmées, sont responsables de l'activation de presque toutes les structures cérébrales. Il existe aussi vraisemblablement au cours du sommeil paradoxal une activation plus importante du cerveau droit et une section fonctionnelle du corps calleux: une indépendance entre cerveau droit et cerveau gauche, qui est peut-être à l'origine du caractère bizarre de nos rêves.

Le nouveau-né dort beaucoup: il dort jour et nuit. Son sommeil est surtout caractérisé, comme celui de tous les mammifères qui naissent immatures (chatons, ratons) par une très grande quantité de sommeil agité (SA). Ce sommeil est l'équivalent du sommeil paradoxal; il est appelé "agité" parce qu'il est fragmenté par de très fréquents mouvements corporels, mais ses caractéristiques sont, entre ces mouvements, tout à fait identiques à celles du sommeil paradoxal: le nouveau-né est, comme l'adulte, très hypotonique. L'électro-encéphalogramme est plus lent, mais, au cours du développement, l'activation corticale du sommeil agité précède celle de l'éveil. Les activités phasiques et en particulier les mouvements oculaires, caractéristiques du sommeil, sont en revanche beaucoup plus fréquents.

La quantité de sommeil agité est aussi beaucoup plus importante que celle du sommeil paradoxal, puisqu'elle est de huit heures en moyenne par jour au lieu de deux heures seulement chez l'adulte.

Le nouveau-né s'endort et s'éveille en sommeil agité. Les éveils calmes, c'est-à-dire les périodes où l'enfant est capable de recevoir des stimulations de son environnement, sont rares.

Le foetus dort. Il est possible d'étudier son sommeil sur l'étude de plusieurs paramètres: sur l'analyse des variations du rythme cardiaque foetal (le rythme cardiaque est irrégulier au cours du sommeil agité, régulier au cours du sommeil calme), sur l'analyse des mouvements oculaires et des mouvements corporels observés sur échographie avec enregistrement vidéo.

Ces études ont montré que le sommeil du foetus est tout à fait identique à celui du nouveau-né prématuré de même âge gestationnel: les premières périodes de sommeil agité apparaissent dès le sixième mois de gestation (vingt-huit semaines), le sommeil agité s'individualise plus précocement que le sommeil calme et l'éveil calme. Sa quantité augmente très rapidement: il représente 65 % environ du temps de sommeil à huit mois de gestation. Plusieurs études suggèrent que la quantité de ce sommeil agité diminue près du terme. In utero, l'éveil calme est virtuellement absent.

Au cours des deux premières années de la vie: il existe une diminution rapide de la quantité de sommeil paradoxal, et au cours de la première année une relation très étroite entre la diminution du sommeil et l'apparition de l'éveil calme.

Mémoire et apprentissage

Le début de la vie est une période essentielle pour l'apprentissage. Il a été établi sur des études de la structure du sommeil, chez des enfants débiles mentaux d'une part, chez des enfants surdoués d'autre part, une relation entre quantité de sommeil paradoxal et intelligence, entre quotient intellectuel et sommeil paradoxal. Ces études montraient qu'aux tests d'intelligence les plus élevés correspondait une plus grande quantité de sommeil paradoxal. Certaines enquêtes ont aussi établi un lien entre durée du sommeil chez l'enfant et niveau scolaire. L'interprétation de ces données doit être très prudente.

Les expériences de privation de sommeil paradoxal ont été, chez l'homme, décevantes, elles n'ont pas amené beaucoup d'arguments en faveur du rôle du sommeil paradoxal dans les processus de mémorisation et d'apprentissage; l'interprétation de ces privations est difficile en raison du stress qu'entraînent ces expériences, de l'accumulation probable de substances hypnogènes encore inconnues et aussi des éventuels effets toxiques des substances pharmacologiques utilisées. Chez l'animal en revanche, certaines études, réalisées essentiellement chez le rat, semblent assez concordantes. On peut les résumer ainsi:

  • la privation de sommeil paradoxal perturbe l'apprentissage des tâches complexes ou nouvelles;
  • seul un apprentissage "réussi" entraîne une augmentation de sommeil paradoxal
  • le premier sommeil paradoxal qui suit immédiatement l'apprentissage serait le plus important puisqu'il est le plus modifié en quantité et en qualité.

Il existe enfin au cours du sommeil paradoxal une activation neuronale intense, en particulier au niveau du mésencéphale; cette activation favoriserait le traitement des informations correspondant au processus de mémorisation.

Chez le nouveau-né et le nourrisson la quantité de sommeil paradoxal est très importante, éveil et sommeil paradoxal sont très proches, ceci constituerait un avantage pour l'apprentissage. De plus les mouvements oculaires les petits mouvements du visage et des extrémités, les irrégularités cardiaques et respiratoires sont, chez le nouveau-né, plus importants que chez l'adulte. Pour Moruzzi (3), ces activités phasiques seraient, beaucoup plus que les critères toniques (activation de l'électro-encéphalogramme et paralysie), le reflet de l'activité mentale du sommeil paradoxal.

La maturation du cerveau

Pour Howard Roffwarg (1966), le sommeil paradoxal jouerait un rôle dans le développement et la maturation du cerveau: la très grande quantité de sommeil paradoxal chez les êtres immatures à la naissance "permettrait la mise en place et le développement des circuits nerveux, la maturation du cerveau au cours de la vie foetale et des tout premiers mois de la vie". Cette hypothèse est corroborée par plusieurs faits: c'est au moment où se développe le cortex cérébral qu'existe chez le foetus et le nouveau-né la plus grande quantité de sommeil paradoxal; les expériences de privations sensorielles, en particulier visuelles chez le chaton, ont prouvé que la mise en place des connexions neuronales est réglée par l'activité des circuits au cours de la période sensible pour une fonction donnée: le foetus et le tout nouveau-né sont d'une certaine façon privés sensoriellement, ils reçoivent peu de stimulations in utero, alors que la plupart des fonctions sensorielles ont déjà une certaine maturité à la naissance. Il existe au cours du sommeil paradoxal une intense activation corticale, cette activation emprunterait surtout des voies sensorielles. L'hypothèse de Roffwarg nous semble aussi étayée par les données de Denenberg et Thoman (4) qui montrent qu'il existe une corrélation très étroite entre la diminution très rapide de la quantité de sommeil paradoxal au cours des premiers mois de la vie chez le nouveau-né humain et l'apparition de l'éveil calme, seul éveil au cours duquel le petit nourrisson est capable d'appréhender son environnement et de recevoir ainsi des stimulations extérieures.

Les expériences de privations de sommeil paradoxal au cours de l'ontogenèse fournissent également des arguments en faveur de cette théorie: les privations de sommeil paradoxal faites précocement au cours du développement ont été impossibles chez le nouveau-né humain, chez le bébé singe, chez des rats de moins d'une semaine ou chez des foetus de rat. Il n'est en effet pas possible de priver de sommeil paradoxal des nouveau-nés humains et des bébés singes sans les priver totalement de sommeil; et celui des ratons sans affecter aussi certains comportements indispensables à leur survie, comme la prise alimentaire par exemple. Ces échecs démontrent peut-être l'importance de ce sommeil chez le foetus et le nouveau né. En revanche, Mirmiran (5,6) a montré que des privations pharmacologiques du sommeil paradoxal chez des rats âgés entre une et trois semaines entraînaient à l'âge adulte une augmentation du sommeil paradoxal, une anxiété anormale, une déficience sexuelle et qu'elles provoquaient, dans certains cas, une modification de l'architecture de certaines structures nerveuses. Il a également démontré chez des rats élevés en milieu enrichi, dont le cortex est plus important que celui de rats élevés en milieu normal, que la suppression du sommeil paradoxal empêche l'augmentation de l'épaisseur du cortex. Les résultats de cette étude pourraient signifier que le sommeil paradoxal joue également un rôle dans l'élaboration de la trace laissée dans le cerveau par les acquisitions nouvelles, dans l'engrammation des stimulations épigénétiques.

La programmation génétique du comportement

Pour Michel Jouvet, la grande quantité de sommeil paradoxal chez les mammifères immatures à la naissance permet "la mise en place puis l'exercice de nos comportements innés". Cette théorie a été complétée en 1986 (7): le rôle du sommeil paradoxal serait aussi de maintenir les différences psychiques entre individus, de s'opposer aux effets des stimulations épigénétiques sur le système nerveux, afin de permettre la conservation des propriétés génétiques de celui-ci, "il permettrait la conservation de cet ensemble de traits de caractères qui constitue la personnalité d'un individu". Il serait, selon la formulation de C. Debru (8), "le gardien de l'individuation du cerveau".

La théorie de la programmation génétique du comportement a l'avantage d'être étayée par des travaux sur le chat: la destruction bilatérale d'un groupe de neurones situés au niveau du tronc cérébral, appelés locus coeruleus alpha, permet de supprimer la paralysie du sommeil paradoxal. On voit apparaître chez ces chats qui dorment mais qui ne sont plus paralysés toute une série de comportements dits "oniriques": comportements de léchage, d'affût et d'attaque d'une proie imaginaire... tous caractéristiques de l'espèce chat. Ces activités motrices sont élaborées, chaque chat possède son propre répertoire. Des études ont révélé qu'il existait une corrélation étroite entre ondes ponto-géniculo-occipitales (PGO) et comportements oniriques et que la destruction du générateur des ondes PGO les faisait disparaître.

Les mimiques émotionnelles du nouveau-né

Nous avons essayé (9) de vérifier au travers du lien entre mimiques faciales et sommeil chez le nouveau-né, les théories de Roffwarg et de Jouvet. Le sourire néonatal et surtout les mimiques faciales observées au cours du sommeil n'ont pas beaucoup intéressé les scientifiques puisque six publications seulement leur sont consacrées. La conclusion de ces études est que le sourire spontané fait partie des activités phasiques du sommeil paradoxal. Il est, selon Wolff (10), fugace, réflexe, morphologiquement différent du sourire social de l'adulte et l'équivalent des mouvements de succion et des sursauts de sommeil. Pour un autre chercheur il serait d'origine sous-corticale. Douze nouveau-nés normaux ont été observés par enregistrement vidéo et enregistrement polygraphique de sommeil, en maternité, entre le quatrième et le neuvième jour de vie, et trois nourrissons porteurs d'une malformation cérébrale majeure ont été également enregistrés: deux hydranencéphales qui n'avaient pas de cortex cérébral, et un nourrisson ayant eu une exérèse de l'hémisphère cérébral gauche pour une atrophie cérébrale, malformation congénitale qui entraînait des convulsions presque permanentes, résistant à tout traitement.

Les résultats révèlent qu'il existe une relation très étroite entre sommeil agité, équivalent du sommeil paradoxal, et sourire: sur 388 sourires analysés, tous sauf quatre sont survenus au sommeil agité. Les sourires sont plus fréquents pendant les périodes de sommeil agité les plus stables et les plus riches en mouvements oculaires mais le nombre de sourires est un peu variable d'un individu à l'autre. Le sourire néonatal est identique au futur sourire social: sa durée est la même (il dure de une à cinq secondes), sa forme est identique: il met en jeu les mêmes muscles; il existe enfin, comme chez l'adulte, une prédominance significative à gauche pour les sourires unilatéraux. L'analyse visuelle des tracés de sommeil n'a pas révélé de modifications électro-encéphalographique, cardiaque ou respiratoire particulières associées aux sourires. Aucune corrélation n'a été trouvée entre mouvements corporels et sourires, entre stimulations maternelles, horaires d'alimentation et sourires.

L'analyse de 1469 autres mimiques faciales observées chez un seul nouveau-né normal a permis de retrouver toutes les expressions faciales de l'adulte, mais cette analyse révèle que ces mimiques n'ont à l'éveil, au cours des tout premiers jours de la vie, aucune signification émotionnelle, alors que les six mimiques émotionnelles dites universelles: joie, tristesse, peur, dégoût, surprise et colère, sont toutes retrouvées au cours du sommeil agité.

L'étude des enfants présentant une malformation cérébrale révèle que si les deux nourrissons hydranencéphales ont un comportement de sommeil normal et une motricité faciale conservée à l'éveil, ils n'ont, au cours du sommeil agité, aucune mimique en dehors de quelques secousses musculaires péribuccales. L'analyse des sourires de l'enfant ayant une hémisphérectomie gauche montre en revanche l'existence de sourires bilatéraux et symétriques, mais surtout la présence de sourires unilatéraux droits presque aussi fréquents que les sourires unilatéraux gauches.

Que dire de ces études ?

La relation étroite entre sommeil agité équivalent du sommeil paradoxal et sourire néonatal est connue. L'existence d'une relation entre ce sommeil et l'expression de toutes les mimiques émotionnelles est plus nouvelle. L'apparition plus fréquente des sourires au cours des sommeils agités les plus stables et les plus phasiques, l'absence de relation avec l'alimentation, les stimulations maternelles et les mouvements corporels sont en faveur d'une indépendance vis-à-vis des stimulations extérieures, d'une origine endogène.

Ces études révèlent que le sourire néonatal est une mimique organisée, il est identique au sourire social de l'adulte, il est comme lui plus intense au niveau de l'hémiface gauche. Cela pose le problème de l'existence, dès la période néonatale, d'une dominance cérébrale droite pour les comportements émotionnels et de communication, et doit être rapproché aussi de l'existence, pour certains, d'une activité des neurones de l'hémisphère droit plus intense au cours du sommeil paradoxal. La constatation chez le nouveau-né dans la première semaine de vie d'une activation de l'électro-encéphalogramme plus importante à droite au cours du sommeil agité, et, enfin, l'existence chez le nouveau-né et le petit nourrisson de préprogrammes moteurs à dominance hémicorporelle gauche. Les nouveau-nés de Grenier (11) dont on a "libéré" la motricité prennent les objets avec leur main gauche sont aussi en faveur de cette dominance.

L'interprétation des données apportées par l'étude des nouveau-nés malformés doit être prudente: l'absence de mimiques au cours du sommeil agité chez les deux nourrissons hydranencéphales suggère que le cortex est nécessaire pour l'expression des mimiques faciales. L'existence de sourires unilatéraux droits et symétriques chez le nourrisson sans hémisphère gauche est troublante, elle peut être expliquée: par des phénomènes de plasticité cérébrale après lésions précoces, par l'origine non corticale du sourire, mais peut l'être aussi par la seule responsabilité de l'hémisphère droit dans la production de ces mimiques.

Ces résultats semblent amener quelques arguments en faveur des théories de Roffwarg et de Jouvet. Le nouveau-né, comme les chats de Jouvet répéterait "à blanc" au cours du sommeil paradoxal les séquences motrices de ses comportements intinctifs. Nystrom (12), qui a analysé tous les mouvements faciaux survenant au cours du sommeil chez des nouveau-nés, montre que certains de ces comportements sont très archaïques, comme des mouvements de narines et d'oreilles. Ces mouvements disparaîtront complètement, comme disparaîtront certaines compétences du nouveau-né. Ceci est bien sûr à rapprocher de l'existence, au cours du développement du cerveau chez l'animal, de connexions neuronales excédentaires probablement génétiquement programmées qui elles aussi disparaîtront. Le sourire néonatal est tout à fait identique au futur sourire social, mais nous n'avons aucun argument pour dire qu'il en est le précurseur fonctionnel ou que ces mimiques correspondent à des émotions.

M. Jouvet parle de programmation psychologique individuelle: ses chats ont chacun leur propre répertoire, mais il s'agit de chats adultes. Chez le nouveau-né, il existe peu de différences inter-individuelles pour le nombre de sourires, ce qui nous ferait volontiers parler de simple mise en place des outils de la communication. Ces mimiques disparaîtront d'ailleurs du sommeil lorsque le petit nourrisson sera capable de les utiliser à l'éveil.

Rêvent-ils ?

Ces foetus, ces nouveau-nés, rêvent-ils ? Roffwarg (cf. note 1) parle de "répétition hallucinatoire d'expériences accumulées", certains de "manifestations psychiques" du sommeil. Le nouveau-né rêve peut-être puisqu'il est capable d'une expérience sensorielle et d'une activité mentale, il peut, par exemple, se remémorer une phrase musicale entendue in utero, mais ses rêves sont vraisemblablement encore très rudimentaires. Foulkes (13) montre en effet qu'il existe une véritable ontogenèse du rêve parallèle au développement des capacités intellectuelles de l'enfant, qu'il faut pour rêver "au sens adulte du terme" que l'enfant ait atteint un niveau mental qui lui permette d'avoir accès à la pensée symbolique et qu'il puisse raconter son rêve. Le tout début de cette phase n'apparaît que vers l'âge de deux ans, et les rêves sont encore, jusqu'à sept ans, très différents de ceux de l'adulte: les images de ces rêves sont en effet très statiques, les jeunes enfants sont peu impliqués dans leurs rêves émotionnellement et physiquement. Alors que le rêve de l'adulte est souvent "mouvementé" et très "égoïste": nous nous gardons toujours le premier rôle, les implications émotionnelles sont fortes.

Les fonctions du sommeil paradoxal sont certainement multiples et se modifient probablement avec l'âge; au début de la vie, le sommeil paradoxal permettrait peut-être de confronter nos programmes instinctifs avec nos facultés cognitives. Les chats de Jouvet répètent à blanc, au cours de leur sommeil paradoxal, les comportements caractéristiques de l'espèce chat; en milieu enrichi, les ratons de Mirmiran augmentent l'épaisseur de leur cortex, au cours du sommeil paradoxal: le sommeil paradoxal permettrait l'organisation et la reprogrammation périodique des comportements innés; il pourrait aussi maintenir ou renforcer les connexions synaptiques préalablement stimulées à l'éveil. Il pourrait être le lien entre inné et acquis. Sa diminution très importante au cours de la première année suggère qu'une de ses fonctions les plus importantes est achevée. Le sommeil paradoxal est chez le nouveau-né humain plus important que chez le nouveau-né singe. On peut se demander si la persistance chez l'homme d'une grande quantité de sommeil paradoxal après la naissance: phénomène de néoténie (c'est-à-dire la persistance de caractères foetaux au cours du développement), n'a pas été, comme cela est souvent le cas, un avantage biologique. Ce phénomène n'a-t-il pas favorisé, chez l'homme, un développement cortical plus important, permettant des capacités cognitives plus grandes ?

REFERENCES
  • 1 - Howard Roffwarg, J.N. Muzio, W.C. Dement 1966
    "Ontogenetic Development of Human Sleep-Dream Cycle" Science: 152: p. 604-619.
  • 2 - Michel Jouvet, J.F. Delorme 1965
    "Locus Coeruleus et sommeil paradoxal" C.R. Séanc. Soc. Biol. 159: p. 895-899.
  • 3 - G. Moruzzi, H.W Magoun 1949
    "Brain Stem Reticular Formation and Activation of the EEG." Electroencephalography and Clinical Neurophyslology, 1, p. 455-473.
  • 4 - V.H Denenberg, E.B. Thoman 1981
    "Evidence for a Function Role for Active (REM) Sleep in Infancy" in Sleep 4: p. 185-191.
  • 5 - M. Mirmiran, N.E. Van de Poll, M.A. Corner, H.G. Van Oyen, H.L. Bour 1981
    "Suppression of Active Sleep by Chronic Treatment with Chlorimipramine During Early Post Natal Development: Effects Upon Adult Brain and Behavior In the Rat" Brain Res. 204: p. 129-146.
  • 6 - M. Mirmiran, J. Sholtens, N.E. Van de Poll, H.B.M Uylings, J. Van der Gugten, J. Boer< 1983
    "Effects of Experimental Suppression of Active (REM) Sleep During Early Development Upon Adult Braln And Behavior in the Rat" Develop Brain Res. 7: p. 277-286.
  • 7 - M. Jouvet 1986
    "Programmation génétique itérative et sommeil paradoxal" In Genotype and phenotype. Confrontations psychiatriques Specia 27: p. 153-181.
  • 8 - C. Debru 1990
    Neurophilosophie du rêve Hermann, coll. Savoir/Sciences: p. 1-397. PRESENTATION
  • 9 - M.J. Challamel, S. Lalhou, M. Revol, M. Jouvet 1985
    "Sleep and Smiling In Neonate: a New Approach" Sleep 84,Koella WP, Ruther E Schulz H, Gustav Fisher Verlag: p. 290-292.
  • 10 - PH. Wolff 1987
    "The Development of Behavioral States and the Expression of Emotions in Early Infancy" The University of Chicago
  • 11 - A. Grenier 1987
    Compte rendu: colloque sur la stimulation intellectuelle au tout début de la vie Ostrowski ZL. p. 85-87.
  • 12 - M. Nystrom 1974, 1975, 1977
    "Neonatal Faclal postural Patterning During Sleep" Psychological Bulletin, university of Lund, I, II, III,IV, P. 1-72
  • 13 - D. Foulkes 1977
    "Children's Dreams: Age Changes and Sex Differences" Waking and Sleeping 1: p. 171-174.