Médicaments, De nouvelles molécules pour traiter le sommeil
Françoise Goldenberg
Médecin, Hôpital Henri-Mondor, Créteil
Table des matières
Editorial : L'Education au sommeil tout au long de la vie
La physiologie du sommeil
La sieste pour tous ?
Troubles du sommeil: insomnies et hypersomnies
Médicaments: de nouvelles molécules pour traiter le sommeil
Maintenir la vigilance: une approche scientifique
Le sommeil de l'enfant, du nourrisson à l'adolescent
Sensibiliser, former et informer sur le sommeil du nourrisson
Le sommeil et les rythmes de l'enfant
L'écolier et son sommeil
Une action éducative sur le sommeil en milieu scolaire
Parasomnies de l'enfant
Une action efficace contre l'insomnie: les stages de sommeil
CREDITS
Ce dossier sommeil a été élaboré par les Docteurs Françoise Delormas (Prosom) et Elisabeth Locard (Ades du Rhône) , avec la contribution de plusieurs spécialistes que nous remercions chaleureusement. Une large diffusion des connaissances dans le public devrait inciter chacun à mieux connaître et donc mieux gérer son patrimoine sommeil en fonction de ses besoins et des contraintes de la vie en société. De plus, à terme, elle devrait conduire à une réduction significative de la prescription et de la consommation de psychotropes à visée sédative et hypnotique.

LES BENZODIAZEPINES

Les médicaments utilisés dans le traitement des insomnies, c'est-à-dire des troubles de l'installation et du maintien du sommeil, appartiennent classiquement à la grande famille des benzodiazépines. Leur nom pharmacologique se termine le plus souvent par "azopam" Flunitrazopam = Rohypnol®, lormétazépam = Noctamide®, lorazépam = Temesta®, Bromazépam = Lexomil®, etc... Ces benzodiazépines sont toutes sédatives, anxiolytiques, anticonvulsivantes, myorelaxantes et amnésiantes, mais à des degrés divers selon la molécule. C'est pourquoi certaines sont commercialisées comme hypnotiques - pour dormir, à prendre au coucher, d'autres comme anxiolytiques - contre l'anxiété, à prendre dans la journée. Mais une benzodiazépine anxiolytique prise le soir est hypnotique et souvent prescrite dans ce but. Par ailleurs, une molécule anxiolytique prise dans la journée procure davantage de détente, donc un meilleur sommeil le soir, tandis qu'un hypnotique à durée d'action suffisamment longue garde un effet anxiolytique dans la journée du lendemain.

Toutes ces molécules sont supposées procurer un meilleur sommeil, mais elles ont un effet indésirable : les troubles de la mémoire. Les bonnes pratiques médicales préconisent un traitement bref, d une durée maximum de trois semaines, lorsque l'on utilise ces molécules comme hypnotiques, parce que leur effet s'épuise avec le temps. On est alors amené à augmenter les doses et le mécanisme de l'escalade thérapeutique s'enclenche, d'autant plus facilement que l'arrêt brusque du médicament est mal supporté : il y a un rebond d'insomnie pendant lequel on dort encore plus mal qu'avant la prise du médicament pendant un temps plus ou moins long. Par exemple, lors de l'arrêt brutal d'une benzodiazépine, le sommeil est perturbé pendant trois à quatre semaines pour une consommation de médicament d'une durée de six mois, pendant près d'un an, pour une consommation d'une durée de dix ans.

Les benzodiazépines ont un fort potentiel de dépendance qui explique qu'on puisse les consommer pendant des années. Parmi les autres effets indésirables, on observe un effet résiduel le lendemain de leur prise (somnolence, troubles de la concentration et de la mémoire, baisse des performances, en particulier risque d'accident lors de la conduite automobile). Ces effets sont d'autant plus fréquents qu'elles ont une longue durée d'action et que leur dose est forte. En outre, elles peuvent modifier l'humeur, le patient devenant plus irritable, parfois pleurant de façon immotivée. Les benzodiazepines modifient l'architecture du sommeil qui devient beaucoup moins riche en ondes lentes, témoignant d'un sommeil lent profond, et le sommeil paradoxal tend a diminuer.

D'AUTRES MOLÉCULES...

Des molécules plus récentes, non benzodiazépiniques, mais agissant au niveau du récepteur des benzodiazépines, ont été commercialisées comme hypnotiques il y a quelques années Imovane®, Stilnox®, Ivadal®. Elles ont pour avantage de mieux respecter l'architecture du sommeil et de préserver la vigilance et les performances dans la journée suivant la prise, mais elles n'ont pas d'action contre l'anxiété presque toujours présente chez les insomniaques chroniques. Elles sont prescrites préférentiellement dans les insomnies ponctuelles (voyage avec ou sans décalage horaire par exemple).

Les insomnies aiguës sont en théorie les seules justiciables d'un traitement hypnotique. Par insomnie aiguë, on entend les insomnies de durée prévisible inférieure à un mois. On ne doit jamais traiter quotidiennement une insomnie chronique par des médicaments (conférence de consensus international en 1983, à Bethesda aux États-Unis).

DES MÉTHODES NON MÉDICAMENTEUSES

Dans les cas d'insomnie chronique chez lesquels on n'a décelé aucune cause organique ou psychiatrique, on privilégie les méthodes non médicamenteuses. Outre les règles dites d'hygiène du sommeil, on prescrit des traitements comportementaux ou cognitifs, la relaxation, le biofeedback, etc... Dans certains cas résistants au traitement non médicamenteux, on peut être amené à prescrire au long cours des médicaments hypnotiques, mais de façon discontinue par exemple, un comprime un jour sur trois, ce qui permet au produit de conserver son efficacité.

LES ANTIDÉPRESSEURS

Les antidépresseurs sont très souvent prescrits dans le traitement de l'insomnie. Tantôt à des doses classiques antidépressives pour traiter une dépression patente ou masquée, tantôt à des doses inférieures, de l'ordre du cinquième ou du tiers des doses antidépressives, avec des antidépresseurs sédatifs à prendre le soir, comme par exemple l'amotriptyline (Laroxyl®), la doxépine (Quitaxon®), la mianserine (Athymil®). Quand ces antidépresseurs sont prescrits à très faibles doses, ils peuvent être pris très longtemps, sans perte d'efficacité.

LA RECHERCHE

La recherche actuelle sur les substances supposées hypnotiques est axée soit sur la mélatonine ou ses agonistes, soit sur les antagonistes des récepteurs 5HT2 à la sérotonine.

La mélatonine, hormone naturelle sécrétée par l'épiphyse, a comme rôle physiologique d'être à la fois une horloge et un calendrier en indiquant à l'organisme les périodes d'obscurité et leurs variations horaires suivant la saison. Elle a montré son efficacité dans le traitement des décalages horaires, des pseudo-insomnies par retard de phase, des dérèglement du rythme circadien des aveugles. Certaines études seraient en faveur d une meilleure efficacité du sommeil après mélatonine chez les personnes âgées. Les essais de traitement de l'insomnie psychophysiologique chez des adultes âgés de moins de 65 ans ont montré des résultats discordants. En effet, I'heure d'administration de la mélatonine joue beaucoup sur son efficacité et il faudrait déterminer pour chaque individu le moment propice à son administration, moment variable d'un sujet a l'autre. Quoi qu'il en soit, la mélatonine n'est pas commercialisée en France. Il n'est pas indiqué de s'en procurer à l'étranger, la mélatonine y étant le plus souvent extraite de cerveaux de bovins, donc susceptible d'être contaminée par un animal atteint de l'encéphalite de la vache folle.

Les antagonistes des récepteurs 5HT2 de la sérotonine ont des propriétés anxiolytiques. Chez le rat, le blocage des récepteurs 5HT2 augmente la proportion de sommeil lent profond et diminue la quantité de sommeil paradoxal. Chez l'homme, on a montré que la ritanserine, un antagoniste 5HT2 augmentait le sommeil lent profond chez le sujet normal et améliorait la qualité du sommeil chez des sujets en décalage horaire. D'autres molécules anti 5HT2 sont actuellement en cours d'étude pour leur action sur le sommeil.

A l'approche de l'an 2000, on ne voit pas encore poindre l'hypnotique idéal procurant le sommeil à volonté, à l'heure désirée et pour une durée programmée, nous laissant satisfaits et bien reposés, prêts à fonctionner efficacement pendant notre période de veille.

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

  1. Goldenberg F.
    Retentissement noctume et diurne des benzadiazépines.
    Lettre du pharmacologue, 1992, 6: 112-6.
  2. Ellis C.M., Lemmens G., Parkes J.D.
    Melatonin and insomnia.
    J. Sleep Res.1996, 5: 61-5.
  3. Leonard B.E.
    Serotonin receptors and their function in sleep, anxiety disorders and depression.
    Psychother Psychosom. 1996, 65: 66-75.
CONSOMMATION DE SOMNIFÈRES ET DE TRANQUILLISANTS
  • Consommation au cours de la vie
    Plus d'un tiers (36,4%) de la population déclare avoir déjà consomme des somnifères ou des tranquillisants.
    D'une manière générale et quelle que soit la classe d'âge, les femmes ont plus souvent que les hommes déjà expérimentéces produits. Ainsi, il apparaît qu'une femme sur deux âgée de 30 ans et plus en a déjà pris (figure 1).
  • Consommation dans l'année
    Environ une personne sur cinq (18,6%) dit avoir consommé des somnifères et/ou des tranquillisants au cours de l'année. Les consommateurs sont deux fois plus souvent des femmes que des hommes et en moyenne, ils sont plus âgés que les personnes qui ne prennent pas de ce type de médicaments (figure 2).
    Les personnes qui ont un niveau d'études inférieur au bac sont plus nombreuses a avoir consommé ces produits au cours de l'année (figure 3).

Source: Dressen C, Janvrin M -P, Alias F Medicament In Baudier F, Dressen C Grizeau D Janvrin M -P Warszawski J Barometre Sante 93/94 Vanves: CFES, 1995: 949-111

Maintenir la vigilance: une approche scientifique