SOMMEILS ET INSOMNIES
Jean-Louis Valatx
Pour la Science Janvier 1998
TABLE DES MATIERES

Sommaire

Qu'est-ce que le sommeil?
Les circuits de l'éveil
Schémas des circuits de l'éveil
Schéma 1
Schéma 2
Schéma 3
Schéma 4
Schéma 5
Schéma 6
Les hormones et les peptides de l'éveil
L'endormissement
Le sommeil lent
Le sommeil paradoxal
Schéma du sommeil paradoxal
Les troubles du sommeil
Schéma de l'insomnie
Les hypersomnies
Appendices
Sommeil calme et sommeil paradoxal
1. Phase d'éveil
2. Phase de sommeil calme
3. Phase de sommeil paradoxal
4. Fin du sommeil paradoxal
A quoi rêvent les chats ?

IMPRESSION
Version imprimable
(Tout l'article dans une seule page)

Le sommeil paradoxal

En 1959, Michel Jouvet observait pour la première fois le sommeil paradoxal. Ses observations sur un animal décérébré lui ont d'emblée permis de localiser les structures responsables de ce type de sommeil dans le tronc cérébral. Les neurones SP-ON, spécifiquement activés durant le sommeil paradoxal y sont localisés: ils forment le système dit éxécutif du sommeil paradoxal.

Des groupes de neurones SP-ON ont été identifiés pour chaque composante du sommeil paradoxal. Ainsi, l'atonie musculaire résulte de l'hyperpolarisation des neurones moteurs de la moelle épinière par la glycine, un neurotransmetteur inhibiteur libéré par des neurones du tronc cérébral. Patrice Fort, dans notre laboratoire, a observé que les noyaux moteurs des nerfs crâniens sont peu soumis à l'action inhibitrice de la glycine, ce qui expliquerait la persistance des mouvements des yeux et de la face, au cours du sommeil paradoxal. Des neurones GABAergiques participent aussi à l'atonie musculaire.

Lorsque les neurones SP-ON sont activés, au début du sommeil paradoxal, les neurones SP-OFF s'éteignent. Les neurones SP-OFF forment le réseau dit permissif: pendant l'éveil, ils empêchent les neurones SP-ON du système éxecutif de fonctionner, et c'est parce qu'ils s'arrêtent que le sommeil paradoxal peut s'installer. Ce sont des neurones aminergiques (à noradrénaline, à sérotonine ou à histamine). Certaines hypersomnies résulteraient de l'arrêt prolongé du système permissif.

Chez le cobaye, au cours de la deuxième moitié de la gestation, le foetus est en état de sommeil paradoxal pendant 90 pour cent du temps. On sait que la myelinisation des neurones indique leur maturation (la myeline est la gaine qui protège les neurones et facilite la propagation de l'influx nerveux); elle commence dans le tronc cérébral (ou sont localisés les neurones du sommeil paradoxal). Pendant cette période, le réseau du sommeil paradoxal serait le seul à fonctionner en permanence. Progressivement, les neurones du systeme permissif deviennent fonctionnels et la durée du sommeil paradoxal diminue.

Chez l'adulte, on peut provoquer, pendant quelques heures une hypersomnie de type foetal par injection en des endroits très précis du tronc cérébral, de substances qui agissent sur des récepteurs du GABA, de l'acétylcholine ou du glutamate. La privation de sommeil est suivie d'une hypersomnie plus ou moins durable.

Cet effet rebond a été attribué à l'accumulation de substances hypnogènes produites pendant l'éveil prolongé. Toutefois, nous avons montré qu'en lésant les cellules qui produisent certaines substances hypnogènes, cet effet rebond est supprimé sans que le sommeil spontané ne soit modifié. Puisque l'effet rebond n'est pas nécessairement associé a un éveil prolongé, c'est que le rebond est produit par un mécanisme indépendant de celui du sommeil. En réalite, la suppression des substances hypnogènes a peu d'effet sur le sommeil. Ces substances ne sont pas hypnogènes au sens strict du terme, mais elles facilitent le sommeil en agissant sur divers composants du système permissif. On devrait plutôt les qualifier d'hypnagogues, c'est-à-dire qui conduisent au sommeil.

Raymond Cespuglio, dans notre laboratoire, a étudié l'effet d'un stress aigu ou chronique sur le sommeil paradoxal. Il a montré qu'en déclenchant un stress chez un rat (en l'immobilisant pendant une heure environ), au début de la nuit, ou il est normalement éveillé, on déclenche une augmentation de la durée du sommeil paradoxal pendant quelques heures. Le stress déclenche une libération de sérotonine dans le noyau arqué de l'hypothalamus et une synthèse accrue de substances hypnagogues. De plus, nous avons montré que la lésion neurotoxique des terminaisons noradrénergiques du locus coeruleus supprime l'hypersomnie qui survient après un stress de courte durée. Au contraire, le stress chronique (dont la durée est supérieure à quatre heures) entraîne une réduction du temps de sommeil, à cause d'une production excessive d'hormones surrénaliennes, notamment de cortisone. Chez l'homme, le traitement de certaines maladies par de fortes doses de cortisone réduit notablement la durée de sommeil.

En bref, l'augmentation de la durée du sommeil paradoxal, après un stress de courte durée, résulte de l'activation en cascade de plusieurs boucles de régulation qui renforce le système antiéveil. Les hypersomnies observées à la suite de séances d'apprentissage complexes résultent vraisemblablement de tels mécanismes.

Il nous reste à évoquer le rôle d'une hormone dans le sommeil paradoxal : celui de la prolactine, une hormone de la lactation, mais qui est aussi présente chez les mâles. Parmi ses nombreuses fonctions, elle participerait au contrôle du sommeil paradoxal. Ainsi, chez une lignée de rats ayant un déficit en prolactine, nous avons observé une anomalie du rythme circadien du sommeil paradoxal sans modification des durées du sommeil. Or, chez le rat sain, l'ablation de l'hypophyse, ou est produite la prolactine, n'entraîne pas cette anomalie du sommeil. Avec Luce Paut, nous avons mis en évidence un système neuronal indépendant de l'hypophyse et synthétisant la prolactine. Nous ignorons encore le mécanisme d'action de la prolactine, mais nous espérons l'élucider en étudiant le rôle des récepteurs de la prolactine découverts sur les neurones du réseau de l'horloge biologique.

En résumé, la régulation du cycle veille-sommeil-rêve comprend cinq éléments: les système de l'éveil, du sommeil lent et du sommeil paradoxal, le réseau de l'endormissement et l'horloge biologique qui assure le rythme circadien.

L'alternance du sommeil lent et du sommeil paradoxal semble avoir une origine métabolique. Au cours du sommeil paradoxal, le cerveau consomme autant de glucose et d'oxygène que pendant l'éveil. La durée du rêve dépend des réserves énergétiques disponibles. Au contraire, le sommeil lent économise l'énergie: le métabolisme général et la température corporelle diminuent, et les réserves énergétiques se reconstituent.

Le sommeil lent et le sommeil paradoxal étant commandés par des systèmes différents, on leur attribue des fonctions différentes. Ainsi, un exercice physique intense et une température ambiante élevée pendant l'éveil entraînent une augmentation du sommeil lent. Au contraire, la durée du sommeil paradoxal augmente à la suite de situations nouvelles mettant en jeu la survie (par exemple, un stress d'immobilisation ou une épreuve de labyrinthe). Au cours du sommeil paradoxal, les comportements caractéristiques de l'espèce s'expriment (voir appendice). Lorsque l'apprentissage est maitrisé ou lorsque l'animal est habitué au stress répété, le sommeil redevient normal. La privation de sommeil perturbe l'acquisition de la maîtrise de ces situations. Chez l'homme, la suppression prolongée du sommeil paradoxal ne semble pas perturber la mémorisation. Toutefois, les tests servant à l'évaluation des troubles de la mémoire ne mettent pas les personnes qui participent aux tests dans des conditions de survie aussi difficiles que les animaux.

Schéma du sommeil paradoxal

Page suivante>>

Références

J.L. VALATX
Régulation du cycle veille-sommeil, in Le sommeil humain, sous la direction de O. Benoit et J. Forêt, Masson éditeur, pp. 25-37,1995.

J.-S. LIN et M. JOUVET
Potential Brain Neuronal Targets for Amphetamine-, Methylphenidate-, and Modafinil-Induced Wakefulness, Evidenced by c-fos Immunochemistry in the Cat, in Proc. Nat. Acad. Sci. USA, vol. 93, pp. 14128-14133,1996.