SOMMEILS ET INSOMNIES
Jean-Louis Valatx
Pour la Science Janvier 1998
TABLE DES MATIERES

Sommaire

Qu'est-ce que le sommeil?
Les circuits de l'éveil
Schémas des circuits de l'éveil
Schéma 1
Schéma 2
Schéma 3
Schéma 4
Schéma 5
Schéma 6
Les hormones et les peptides de l'éveil
L'endormissement
Le sommeil lent
Le sommeil paradoxal
Schéma du sommeil paradoxal
Les troubles du sommeil
Schéma de l'insomnie
Les hypersomnies
Appendices
Sommeil calme et sommeil paradoxal
1. Phase d'éveil
2. Phase de sommeil calme
3. Phase de sommeil paradoxal
4. Fin du sommeil paradoxal
A quoi rêvent les chats ?

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Les circuits de l'éveil

L'hypothalamus a longtemps été considéré comme le "centre de l'éveil". Puis, en 1949, Giuseppe Moruzzi et Horace Magoun déclenchent un coma, chez le chat, en lésant la formation réticulée. Ils supposent que ce coma correspond à une absence d'éveil. Comme la stimulation de la formation réticulée éveille l'animal endormi et que cette structure cérébrale recoit de nombreux messages véhiculés notamment par les voies sensorielles, ils proposent le concept de "système réticulé activateur ascendant" : la formation réticulée serait le centre de l'éveil. Le sommeil surviendrait lors de la mise au repos de la formation réticulée, après un certain temps de fonctionnement ou lorsque cessent les timulations éveillantes (la lumière, le bruit, etc.).

Puis l'utilisation des substances neurotoxiques qui détruisent seulement les neurones a infirmé les certitudes fondées sur des lésions obtenues par électrocoagulation. En 1992, Michel Denoyer et Marcelle Sallanon, dans notre laboratoire ont montré qu'une lésion de la formation réticulée et de l'hypothalamus postérieur ne perturbe pas durablement l'éveil. Ces résultats surprenants montrent que d'autres structures prennent le relais des structures détruites; les troubles de l'éveil qui avaient été obtenus antérieurement résultaient de la lésion des prolongements des neurones localisés dans les autres systèmes responsables de l'éveil. Ainsi, l'éveil est assuré par un réseau de structures redondantes.

De nombreux neuromédiateurs agissent dans ce réseau de l'éveil: des neurotransmetteurs "classiques" qui favorisent la transmission des messagers neuronaux, tels que l'acétylcholine, le glutamate, l'histamine, la noradrénaline et la sérotonine, d'autres médiateurs tels que des peptides (de petites protéines), des hormones, ou encore le monoxyde d'azote.

L'origine des neurones qui véhiculent ces neurotransmetteurs et les régions cérébrales qu'ils innervent ont été représentés sur la figure 2. Selon Kasuya Sakai, de notre laboratoire, les composantes de ce réseau se regroupent en deux systèmes : une voie centrale et une voie dorsale. Ces deux voies prennent naissance dans le bulbe rachidien. La voie ventrale se projette vers l'hypothalamus postérieur et le télencéphale basal (c'est la voie réticulo-hypothalamo-corticale). La voie dorsale active la formation réticulée mésencéphalique et le thalamus: c'est la voie réticulo-thalamo-corticale. Les différents neurotransmetteurs participent aux deux systèmes. L'acétylcholine et le glutamate y jouent un rôle important.

On a découvert assez récemment que l'histamine participe aussi aux mécanismes de l'éveil. Les neurones à histamine ont été localisés par Jian Sheng Lin, de notre laboratoire, dans l'hypothalamus postérieur. Ces neurones envoient des projections dans tout le cerveau antérieur, mais aussi dans le cerveau posterieur, sur les autres neurones de l'éveil. Par ailleurs, l'étude des substances pharmacologiques qui agissent sur l'histamine (inhibition de sa synthèse, action sur ses récepteurs) confirme que l'histamine participe à la régulation de l'éveil. Enfin, une observation clinique conforte ce rôle: les personnes à qui l'on administre des antihistaminiques contre les manifestations allergiques éprouvent souvent une certaine somnolence.

Les noyaux du raphé antérieur contiennent des neurones à sérotonine qui se projettent directement vers l'hypothalamus et vers le cortex. Longtemps, la sérotonine a été considérée comme l'hormone du sommeil, car la lésion des neurones qui la libèrent ou l'inhibition de sa synthèse provoque une insomnie de plusieurs jours. Toutefois, paradoxalement, ces neurones ne sont actifs que pendant l'éveil, et leur stimulation est éveillante.

En fait, on restaure le sommeil chez un animal rendu insomniaque par absence de sérotonine en lui injectant le precurseur immédiat du neuromédiateur dans l'aire préoptique de l'hypothalamus. Nous verrons que les neurones de cette région, sous l'influence de la sérotonine, participent au déclenchement du sommeil : il est donc logique que le manque de sérotonine dans l'hypothalamus empêche le sommeil. La sérotonine joue ainsi un double jeu spécifique: essentielle pour l'éveil, elle a un rôle fondamental dans le sommeil.

La noradrénaline vient surtout du locus coeruleus situé dans le pont de Varole (voir la figure 2). Ces neurones, actifs au cours de l'éveil, envoient des projections vers le cortex et vers le système limbique. Ils sont contrôlés par des neurotransmetteurs inhibiteurs, le GABA et la glycine, sur lesquels nous reviendrons. Recevant des signaux sensoriels et végétatifs, les neurones à noradrénaline jouent un rôle important dans les réactions au stress.

Figure 2 : Schémas des circuits de l'éveil

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Références

J.L. VALATX
Régulation du cycle veille-sommeil, in Le sommeil humain, sous la direction de O. Benoit et J. Forêt, Masson éditeur, pp. 25-37,1995.

J.-S. LIN et M. JOUVET
Potential Brain Neuronal Targets for Amphetamine-, Methylphenidate-, and Modafinil-Induced Wakefulness, Evidenced by c-fos Immunochemistry in the Cat, in Proc. Nat. Acad. Sci. USA, vol. 93, pp. 14128-14133,1996.