Certaines
affections du sommeil, telles que l'insomnie chronique, la narcolepsie
et d'autres maladies du système nerveux (par exemple la dépression)
provoquent une modification du sommeil paradoxal. Les parasomnies,
phénomènes particuliers associés au sommeil,
se rencontrent aussi pendant le stade paradoxal dans certaines conditions
pathologiques : par exemple le cauchemar ou le trouble du comportement.
Le travail symbolique de la production onirique et ses relations
avec l'inconscient ont par ailleurs été discutés
dans le cadre de théories célèbres, comme celles
de Sigmund Freud. Aujourd'hui, l'utilisation du rêve dans
le travail psychothérapeutique doit être revue à
la lumière de développements plus récents.
Les enregistrements effectués en laboratoire chez les insomniaques
montrent en premier lieu une fragmentation du sommeil par de nombreux
et brefs éveils. Cette fragmentation n'épargne pas
le sommeil paradoxal, dont les épisodes se trouvent également
entrecoupés. Ce stade, qui nécessite un minimum de
stabilité du sommeil pour se manifester, peut donc être
sensiblement diminué dans le cadre d'un sommeil excessivement
morcelé.
Moins connue est la condition inverse. Nos recherches ont montré
que dans 22% des insomnies chroniques, il existe une augmentation,
parfois importante, du sommeil paradoxal. Une telle hausse ne peut
s'expliquer par un effet de rebond, qui serait la récupération
d'une dette contractée au cours des nuits précédentes.
Elle ne provient pas non plus d'un effet de sevrage des hypnotiques,
car elle s'observe également chez des patients qui n'en ont
jamais pris. La signification de cette anomalie est inconnue, mais
elle montre que l'insomnie chronique n'est pas une simple réduction
de la durée du sommeil, mais comporte également une
altération de son organisation, reflétant un déséquilibre
dans le fonctionnement du cerveau.
Une augmentation du sommeil paradoxal n'entraîne pas nécessairement
une plus grande réminiscence des rêves. D'autres facteurs
sont en jeu, et il semble que les insomniaques aient plutôt
moins de souvenirs oniriques que les sujets " normaux ".
Le sommeil paradoxal peut être toutefois ressenti comme plus
agité que le sommeil orthodoxe; son accroissement contribue
donc a expliquer le caractère non reposant du sommeil de
ces patients.
La narcolepsie est l'une des affections du sommeil les plus fascinantes
en raison des anomalies spécifiques du sommeil paradoxal
qui la caractérisent. Elle comporte quatre symptômes
cardinaux : les attaques de cataplexie, les accès de sommeil
diurne, les hallucinations hypnagogiques et les paralysies de sommeil.
La cataplexie est une perte brusque du tonus musculaire dans tout
le corps ou dans une de ses parties, souvent déclenchée
par une émotion. Elle peut entraîner une chute brusque
alors que l'état de conscience est préservé,
ce qui la distingue d'un simple évanouissement ou d'une crise
d'épilepsie. La cataplexie traduit une dissociation des composantes
du sommeil paradoxal: l'atonie musculaire, qui accompagne normalement
ce stade, apparaît dans l'éveil d'une manière
isolée.
Les attaques de sommeil diurne ne sont pas directement liées
à une dérégulation du sommeil paradoxal. Les
hallucinations hypnagogiques en revanche, qui sont des rêves
souvent anxieux et survenant à l'endormissement, reflètent
une anomalie de ce stade. On se rappelle que chez le sujet normal,
le premier épisode de sommeil paradoxal de la nuit ne commence
jamais avant qu'une période de sommeil orthodoxe de soixante
minutes au moins ne se soit écoulée. Ce délai
est appelé latence de sommeil paradoxal. Chez le narcoleptique,
la première phase paradoxale survient très souvent
quelques minutes après l'endormissement. Chez certains patients,
l'anomalie peut être absente la nuit et apparaître dans
les attaques de sommeil qui ont lieu dans la journée.
Les enregistrements polysommographiques ont révélé
des modifications de l'architecture du sommeil dans plusieurs formes
de dépression. Il existe d'abord une insomnie qui peut survenir
lors de l'endormissement ou à n'importe quel moment de la
nuit. Le sommeil orthodoxe s'en trouve aussi perturbé, mais
ce sont surtout les altérations du sommeil paradoxal qui
nous intéressent ici. Dans la dépression, la latence
de sommeil paradoxal est plus courte que chez le sujet normal, sans
être nulle comme dans le cas de la narcolepsie. De plus, le
premier épisode de sommeil paradoxal est plus long et plus
riche en mouvements oculaires rapides que chez la personne non dépressive.
Tout se passe comme si la dépression entraînait une
augmentation de la pression du stade paradoxal dans la portion initiale
du sommeil. Cette propension - encore plus marquée chez le
dépressif âgé, ou lorsqu'il existe une condition
aggravante tel que l'alcoolisme - est supprimée par les antidépresseurs.
La paralysie de sommeil est un des symptômes de la narcolepsie,
mais des personnes ne présentant aucune pathologie peuvent
en faire l'expérience une ou deux fois dans leur vie, à
la suite par exemple d'une privation préalable de sommeil,
d'un changement de fuseaux horaires ou encore d'un stress psychologique.
La paralysie de sommeil survient au réveil matinal ou à
la fin d'une sieste. Le sujet sort d'un rêve, prend conscience
de la réalité qui l'entoure, mais se trouve complètement
paralysé et ses paupières sont infiniment lourdes.
Normalement, lorsqu'on se réveille d'une phase paradoxale,
l'éveil du cerveau est parfaitement synchronisé avec
la reprise du tonus musculaire qui permet de se mouvoir. Dans la
paralysie de sommeil en revanche, l'atonie du stade paradoxal persiste
alors que le cerveau est déjà éveillé.
L'anxiété peut faire irruption dans le sommeil sous
deux formes principales : la terreur nocturne ou le cauchemar. Ces
deux aspects ne se retrouvent jamais associés chez le même
individu. Il existe des facteurs inconnus qui déterminent
quelle forme prendra l'irruption de l'anxiété nocturne.
Le cauchemar est un rêve anxieux, particulièrement
riche et agité. Il est intéressant de noter que dans
de ce type de rêve, l'érection normalement associée
au stade paradoxal est souvent absente. L'anxiété
n'est toutefois pas perceptible pour l'observateur extérieur.
Si le rêveur crie dans son cauchemar, le cri sera inaudible,
ou prendra sous la forme d'un faible gémissement. L'atonie
musculaire du stade paradoxal empêche tout mouvement coordonné,
sauf ceux des globes oculaires qui sont alors particulièrement
intenses. Ce n'est que dans les rares cas où cette atonie
est perturbée, comme dans le trouble du comportement en stade
paradoxal, que l'activité du rêveur dans son cauchemar
va se traduire par des mouvements effectifs.
Le trouble du comportement en sommeil paradoxal, découvert
en 1986, est beaucoup plus fréquent chez l'homme que chez
la femme, et commence le plus souvent après 50 ans. Il est
associé à des affections du système nerveux
central telles que la maladie de Parkinson, une tumeur cérébrale
ou une affection vasculaire. Il peut être provoqué
par un abus de substances toxiques, comme l'alcool ou les amphétamines.
Notons enfin que ce trouble répond très bien au traitement
médicamenteux.
Alors que le sujet est profondément endormi, il se met tout
à coup à parler, crier, gesticuler avec brusquerie.
Il donne des coups, se précipite sur son partenaire ou saute
violemment hors du lit. Il n'est pas rare que cette agitation occasionne
des contusions ou même des fractures. Lorsqu'on le réveille,
le sujet raconte qu'il se trouvait pris en plein dans l'action d'un
cauchemar : il essayait par exemple de protéger son partenaire
d'un danger. Ces cauchemars comportent toujours une part de violence,
et il existe une concordance entre ce que le sujet rêve et
ce qu'il fait. C'est ce qu'on l'on appelle un rêve agi.
Un trouble équivalent à été observé
chez le chat. Dès 1965, Michel Jouvet et l'école de
Lyon ont étudié l'effet causé sur cet animal
par de petites lésions pratiquées dans une région
du tronc cérébral qui suppriment l'atonie musculaire
du stade paradoxal. Chez les animaux ainsi opérés
on observe le comportement en même temps qu'on enregistre
en continu leurs états de vigilance. Dès le début
du stade paradoxal repéré sur les enregistrements
encéphalographiques, l'animal lève la tête et
semble regarder autour de lui. Cependant sa membrane nictitante
(la troisième paupière des chats) reste abaissée,
ce qui n'est jamais le cas dans l'éveil, et il ne réagit
pas aux stimulations visuelles ou auditives. Ensuite, il peut présenter
une variété de comportements tels que la marche, l'exploration
de la cage, la poursuite d'un objet imaginaire, la peur, la rage,
l'attaque ou le toilettage. Des comportements sexuels tels que l'incurvation
du dos chez la femelle peuvent aussi être observés.
Ces comportements sont imprévisibles et ne sont pas dirigés
vers un but. L'animal est aveugle et sourd, dans son monde à
lui. L'association de ces comportements avec le sommeil paradoxal
permet de dire que ce sont des rêves agis.
En lisant cette description, il peut venir à l'esprit du
lecteur que l'équivalent chez l'homme pourrait être
le somnambulisme. Or ce n'est pas le cas. Le somnambulisme est bien
un comportement du sujet endormi, mais il est associé au
stade IV du sommeil et non au stade paradoxal. En outre, il ne comporte
pas les mêmes caractéristiques, notamment celle de
la poursuite d'un but imaginaire.
L'activité de la pensée onirique est très
différente de celle de l'état de veille, dans laquelle
le langage joue un rôle prépondérant. Dans le
rêve, les pensées abstraites sont traduites en images,
et il faut admirer l'ingéniosité avec laquelle le
travail onirique véhicule les notions les plus éloignées
du concret. Le symbolisme sexuel n'est pas une donnée scientifique
établie. Les expériences réalisées en
laboratoire par réveil systématique au cours du sommeil
paradoxal montrent que la sexualité occupe une place assez
modeste dans les rêves. Toutefois, il se peut qu'au début
du siècle, le rêve ait utilisé davantage de
voies détournées pour faire figurer les objets sexuels.
L'idée qu'un contenu latent se dissimule derrière
le contenu manifeste est une autre hypothèse de Freud qu'il
convient de réexaminer. Loin d'être un paravent à
des désirs lubriques inavouables, le rêve véhicule
une signification qui n'est pas davantage cachée que celle
d'un discours à l'état de veille. Toutefois, il faut,
par le symbolisme des images, établir une sorte de traduction
d'une forme de pensée dans l'autre.
Pendant le sommeil, certains des mécanismes de défense
de l'état de veille, comme par exemple le raisonnement causal
ou l'intellectualisation, ne sont pas actifs, ou le sont beaucoup
moins que dans la pensée vigile. Mais ils ne deviennent pas
tous silencieux en sommeil paradoxal. Les plus solides d'entre eux,
comme par exemple la répression, restent pleinement opérationnels.
Il en résulte qu'il n y a pas de contact privilégié
avec l'inconscient au cours du rêve. Pendant l'éveil,
notre état d'esprit reflète de façon plus ou
moins indirecte la position de l'inconscient. Il n'en va pas autrement
dans le rêve. Toutefois, les indications que celui-ci peut
fournir sur l'inconscient ne recoupent pas exactement celles qui
proviennent de la pensée éveillée.
Le rêve apporte des indications sur la position des forces
psychiques en présence. De la même façon que
le patient éveillé devient capable de verbaliser ses
mécanismes de défense quand ceux-ci perdent de leur
emprise, le rêve peut mettre en scène certains d'entre
eux d'une façon plus visible que dans l'éveil. Ce
n'est que lorsque ces mécanismes ne sont plus en action que
le contenu onirique commence alors à refléter des
éléments significatifs en provenance directe de l'inconscient.
Chargés d'anxiété, ces éléments
peuvent ainsi pénétrer dans la conscience éveillée
par le truchement du souvenir que le patient garde du rêve
à son éveil.
Ainsi le rêve est-il utilisé dans la psychothérapie
des névroses, même s'il ne joue pas un rôle privilégié
par rapport à la pensée éveillée. Il
apporte notamment des informations différentes qui peuvent
la compléter, et reflète l'avancement du processus
thérapeutique tout en fournissant des indications sur la
position de l'inconscient.
Pour en savoir plus
- Le sommeil normal et pathologique, de M. Billiard, Masson,
Paris, 1994.
- Le sommeil, ses mecanismes et ses troubles, de J. -M.
Gaillard, Payot, Douin, Paris et Lausanne, 1990.
- L'insomnie, de J.-M. Gaillard, Dominos Flammarion, Paris
1993.
- Le Sommeil et le rêve, de Michel Jouvet, Odile
Jacob, Paris, 1992.
- Handbook of Sleep, Disorders, de M. Thorpy, Dekker, New
York, 1990.
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