Aucun film n'a mieux restitué l'état de " stress
post-traumatique " qu'Apocalypse Now, de Francis Ford Coppola.
Ce film illustre le fait qu'un événement qui met enjeu
l'imminence de la mort suffit à plonger durablement une personne,
jusqu'alors sans problèmes, dans un monde irréel où
elle revivra, en rêve autant qu'en état de veille,
la situation traumatique. Dans la première séquence
du film, des accords de guitare évoquent le bruit des pales
d'hélicoptères que l'on voit défiler sur fond
de jungle en flammes. Ces accords se superposent au bruit des pales
d'un ventilateur qui tourne, accroché au plafond d'une chambre
où un officier dort. Il fait un cauchemar, déclenché
par le bruit de l'appareil. L'officier rêve à des images
de guerre, il s'agite et s'éveille. Il se met à lutter
contre sa propre image dans le miroir et se blesse en le cassant.
L'horreur qu'évoque ce film reste néanmoins en dessous
de la réalité. Des études épidémiologiques
montrent que le stress post-traumatique pourrait atteindre de 1%
à 7% de la population civile en temps de guerre, 15% des
militaires présents sur le terrain quelque 50% des prisonniers
de guerre et plus de 75% des victimes de viol. Il peut aussi résulter
d'événements traumatiques inhabituels: catastrophes
naturelles, accidents d'avion ou de voiture, violences sexuelles,
prises d'otage... C'est surtout l'intensité, l'imprévisibilité
des événements qui entraînent le développement
du stress post-traumatique chronique et l'apparition de cauchemars
répétitifs. Ces événements ont pour
caractéristique de mettre le sujet de manière inopinée
en face de sa mort sans qu'il soit possible de s'en échapper
ou de contrôler en quoi que ce soit l'événement.
Le stress post-traumatique est qualifié d'aigu lorsqu'il
suit le choc traumatique pendant une durée minimum de trois
mois. On le considère comme chronique s'il dure au-delà.
On parle de stress post-traumatique différé s'il apparaît
six mois après le trauma (le délai entre le trauma
initial et le stress post-traumatique peut être très
long). Les cauchemars récurrents apparaissent systématiquement
dans les situations de stress post-traumatique. L'événement
traumatique est sans cesse revécu. Cependant un cauchemar
donné n'est pas nécessairement lié à
une situation traumatique particulière. La durée de
la phase paradoxale du sommeil est diminuée en cas de stress
aigu, c'est-à-dire dans la période succédant
immédiatement au traumatisme. Plusieurs travaux expérimentaux,
effectués chez l'animal, ont montré que le stress
aigu par immobilisation forcée avait pour conséquence
de supprimer ou de réduire significativement la durée
du sommeil paradoxal. Il se contracte alors une dette de "
sommeil paradoxal " qui se traduit, secondairement, par un
rebond de ce type de sommeil dans les suites du traumatisme. Il
est donc possible, comme le souligne Michel Jouvet dans son ouvrage
Le Sommeil et les rêves, paru en 1992, que le rebond de sommeil
paradoxal soit un mécanisme de régulation destiné
à rétablir les circuits corticaux altérés
par une situation de contrainte imposée (le stress aigu).
Il faut évidemment extrapoler avec prudence ces résultats
expérimentaux à la clinique humaine. Mais l'on doit
constater que le sommeil paradoxal augmente lors du stress chronique.
Des études, celles de Thomas A. Mellman et ses collaborateurs,
en 1995, ont montré que les vétérans victimes
de stress post-traumatique chronique se réveillent après
une période intense de sommeil paradoxal, avec des sursauts
et des crises d'angoisse suivis de récits de cauchemar. D'autres
anomalies biologiques apparaissent dans le stress post-traumatique,
en particulier une activité du système noradrénergique,
responsable de l'anxiété et une activation du système
hypothalamo-hypohyso-surrénalien, qui peuvent expliquer les
troubles psychiques de la mémoire et peut-être aussi
du rêve, et enfin des sécrétions d'endorphines
qui peuvent expliquer l'atténuation des émotions.
Malgré ces modifications neurobiologiques, les thérapies
cognitivo-comportementales interviennent favorablement sur le cauchemar.
Ceci peut être fait à travers la répétition
des cauchemars en imagination pendant des périodes prolongées
avec l'aide d'un psychologue. Cette réexposition a un triple
but. Tout d'abord aboutir à l'habituation des réponses
émotionnelles qui perdent de leur intensité par leur
répétition guidée. Ensuite permettre la distanciation
et la maîtrise face à des images qui surviennent involontairement.
Enfin, permettre l'expression d'émotions en rétention
(abréaction) et qui entraînent l'aplatissement de la
vie affective. Par exemple, il est fréquent de trouver un
gel émotionnel total après un viol. Toutes les émotions
sexuelles sont bannies qu'elles soient positives ou négatives,
car elles sont associées à la violence. Le fait d'utiliser
le cauchemar pour relancer la vie émotionnelle peut dégeler
celle-ci. Donner une issue triomphante au cauchemar ou autoriser
des images de vengeance est également une méthode
qui aide les patients à se distancier de leur trauma et à
réécrire le scénario dont ils ont été
les jouets. Finalement le sujet doit passer du rôle passif
de la victime à celui du héros qui a su traverser
une situation difficile.
Jean Cottraux,
psychiatre des hôpitaux,
chargé de cours à l'université de Lyon-1
Pour en savoir plus
- Les Thérapies cognitives, de Jean Cottraux, Retz, Paris,
1992.
- Postraumatic Stress Disorder, de J. T. Davidson et E. B. Foa,
Arnerican Psychiatric Press, Washington, 1993
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