Les sociétés à rêves
Giordana Charuty , Science et Avenir Hors-Série Le Rêve Dec. 96
Sommaire
Les sociétés à rêves
Le Temps du rêve
Le songe fondateur des aborigènes
Pratique chrétienne
Islam: la domestication des rêves
Songes démoniaques en Chine
Consultation onirique
Les voyages oniriques des Joraïs
Guajiros, les praticiens du rêve

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Science et Avenir
Hors-Série Le Rêve
Sommaire général

Les voyages oniriques des Joraïs

Les Joraïs, qui constituent sans doute la plus importante minorité ethnique du Vietnam, ont une science onirique particulière. L'être humain est vu comme un couple composé de pô + böngat, en quelque sorte le " corps + le moi que la mort ne détruit pas ". Pendant le sommeil, le pô est allongé sur la natte et il arrive que le böngat parte se promener; ce qu'il voit alors en voyage nourrit les images du rêve. Chez les Joraïs, ces images sont souvent décrites au réveil pour que le dormeur puisse se " libérer " du rêve par des stéréotypes presque aussi traditionnels que le langage des mythes. Bien sûr, la sortie de böngat est toujours risquée: brève, il s'agit d'un rêve; longue, elle révèle la maladie et peut-être la mort. A moins que böngat n'entraîne pô avec lui, auquel cas l'homme devient fou ! Les Joraïs rêvent parfois de divinités yang, qui apparaissent habituellement comme des " humains-étrangers ". Au réveil, il faut raconter son rêve aux anciens pour savoir si yang a employé une " parole directe ". Voir une canne à pêche par exemple est un rêve direct: il faut aller pêcher. Rêver de divinités ou de défunts de son sexe n'est habituellement pas très dangereux, mais s'ils sont de l'autre sexe, on risque d'entrer en folie. Il faut faire le récit libératoire de ces rêves, se faire sauver par la parole afin de réintégrer la norme rassurante de l'ordre social joraï. Il arrive que des images resurgissent dans un rêve suivant, accrochant un nouveau thème et ceci indéfiniment, comme dans le récit d'un mythe. Il se peut, au contraire, que le rêve s'arrête net sur l'amorce d'une séquence déjà vue dans un rêve précédent; autre façon de mimer les longs récits de la tradition qui ne finissent jamais et se terminent par une allusion au fait que l ' " on connaît la suite... ".

La vision onirique des Joraïs a souvent valeur de décision: en cas de proposition de mariage, le rêve de la nuit suivante indiquera s'il faut l'accepter ou non. Bien évidemment, comme dans de nombreuses sociétés traditionnelles, le rêve constitue avant tout pour les Jörais une technique de cure, où les associations de sens et de sons (entendre le gong), forgent la justesse de la parole d'une société.

" Forêt, femme, folie une traversée de l'imaginaire joraï, " de Jacques Dournes, Aubier Montaigne, 1978.

P. D.

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