L'hypothèse de l'activation-synthèse (AS) pose que
les rêves sont aussi significatifs que possible dans les conditions
de travail défavorables pour le cerveau en état de
sommeil paradoxal. Le cerveau-esprit fait de son mieux pour attribuer
un sens aux signaux engendrés intérieurement. C'est
cet effort synthétique qui confère aux rêves
toute leur cohérence thématique. Il se peut également
que leur caractère apparemment prophétique résulte
de la tension d'intégration nécessaire à l'effort
de synthèse. Le cerveau-esprit est susceptible d'en appeler
à ses mythes les plus profonds pour fournir aux données
un cadre narratif. Pour clarifier le contraste entre le modèle
de l'AS et la psychanalyse, examinons comment le rêve est
expliqué par l'un et par l'autre.
1/ La théorie psychanalytique du rêve s'articule autour
de l'idée erronée que le système nerveux, dépourvu
d'une énergie propre, tire l'énergie de deux sources
non neuronales: le monde extérieur et les poussées
somatiques. L'énergie qui active le cerveau pendant le sommeil
paradoxal est neuronale, et le neurone est capable de créer
sa propre information. La puissance demandée au système
énergétique est relativement basse, et non pas élevée
comme l'a supposée la psychanalyse.
2/ La psychanalyse voit un phénomène surtout idéationnel
dans la formation du contenu du rêve (les pensées latentes
du rêve); pour l'AS, elle est essentiellement sensorimotrice
(aucune différence entre le contenu latent et manifeste).
D'après la psychanalyse, les désirs et les résidus
quotidiens concourent à la formation du rêve, alors
que pour l'AS elles ne sont que deux forces parmi toutes celles
qui donnent une forme au processus synthétique du rêve,
mais pas plus l'une que l'autre n'ont à voir avec la création
de l'état dans lequel elles exercent leur pouvoir.
3/ Puisque l'énergie requise et les sources informationnelles
sont de faible intensité, l'hypothèse d'AS voit dans
la construction onirique un processus qui ajoute du sens alors que
pour la psychanalyse, il en ôte. Pour cette dernière,
la force qui meut le rêve est une idée dont le sens
doit être dissimulé par un processus complexe de codage.
S'il est possible que les forces de motivation et l'expérience
récente figurent dans la construction synthétique
du rêve, l'AS pose que le rêve se construit à
partir de signaux pauvres en information (les stimuli sensori-moteurs
endogènes) pour déboucher sur un produit final d'ordre
élevé (le rêve devient récit). Les thèmes
narratifs lui donnent une cohérence fragile sans cesse détruite
par les données sensorimotrices chaotiques.
4/ Pour l'AS, le développement des perceptions pendant le
rêve est progressif et passe de stimuli visuels primaires
à l'imagerie perçue. La psychanalyse, en revanche,
voit dans le développement de l'imagerie une fonction régressive
depuis la force motrice idéationnelle du rêve jusqu'à
l'expérience de perception. Nous n'avons pas besoin du postulat
de la régression: une caractéristique intrinsèque
de l'état onirique est d'avoir un point de départ
sensoriel puisque les systèmes sensoriels du cerveau sont
intrinsèquement activés à l'origine.
5/ La psychanalyse voit dans l'étrangeté du rêve
le produit d'un codage défensif des désirs inconscients.
L'hypothèse de l'AS y voit au contraire le résultat
brut d'une intégration imparfaite de données sensori-motrices
d'origine interne, traitées dans des conditions distinctes:
le cadre espace-temps du monde extérieur est absent; de multiples
canaux sensoriels sont activés parallèlement; les
processus d'attention sont altérés. On peut donc écarter
la notion de censure comme étant inutile et malcommode.
6/ Pour le théoricien de l'AS, le conflit peut figurer dans
l'intrigue même d'un rêve. Mais ce conflit n'est qu'un
des divers facteurs utilisés dans la construction d'une intrigue
onirique et il n'est donc pas nécessaire ni suffisant pour
expliquer le processus de la fabrication des rêves. Un matériau
conflictuel se retrouve naturellement dans les rêves; il peut
intervenir notamment dans les rêves répétitifs
car il joue probablement un rôle prioritaire dans leur formation.
Il y a d'autres facteurs: le caractère récent de l'entrée,
input, (le résidu quotidien du psychanalyste) et ce que j'appellerais
la préoccupation persistante (le conflit non résolu
de la psychanalyse).
7/ Aux yeux du théoricien de l'AS, la signification des
rêves est plus transparente qu'opaque. Le contenu de la plupart
d'entre eux peut se lire directement, sans décodage. Puisque
l'état onirique est ouvert, les rêves individuels sont
susceptibles de révéler des styles cognitifs spécifiques,
des aspects spécifiques de la vision projective qu'a l'individu
sur le monde et ses expériences historiques spécifiques.
L'activation-synthèse tient que les symboles apparents des
rêves peuvent receler une multiplicité de " significations
", contrairement à la psychanalyse qui ne voit dans
de nombreux symboles que la manifestation d'une ou deux pulsions
instinctives (ou celle de l'anatomie sexuelle)! Enfin, dans l'AS,
il n'est pas utile de s'en remettre à la technique de la
libre association pour trouver le sens des rêves. Sept points
majeurs de différence opposent notre nouveau modèle
psychophysiologique à la théorie psychanalytique des
rêves: la source d'énergie du processus onirique est
interne (non externe); cette énergie est neuronale (elle
ne vient pas des idées); les aspects sensoriels sont progressifs
ñ le (plutôt que régressifs), traitement de
l'information est constructeur (non destructeur); l'étrangeté
est originelle (et non la résultante secondaire d'une transformation
défensive); le sens est transparent (non pas opaque); le
conflit est accidentel(pas consubstantiel au processus).
J. A. H.
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