Le rêveur neuronal
J. Allan Hobson, Science et Avenir Hors-Série Le Rêve Dec. 96
Sommaire
Le rêveur neuronal
Le rêveur ne tombe pas hors du monde
La bizarrerie des rêves
Activation-synthèse et psychanalyse
Oedipe et neurone
L'hypothèse de l'interaction réciproque
Le modèle "AIM"
Modèle de l'état du cerveau-esprit
Les hallucinations oniriques
Le rêve de Mozart

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Science et Avenir
Hors-Série Le Rêve
Sommaire général

Activation-synthèse et psychanalyse

L'hypothèse de l'activation-synthèse (AS) pose que les rêves sont aussi significatifs que possible dans les conditions de travail défavorables pour le cerveau en état de sommeil paradoxal. Le cerveau-esprit fait de son mieux pour attribuer un sens aux signaux engendrés intérieurement. C'est cet effort synthétique qui confère aux rêves toute leur cohérence thématique. Il se peut également que leur caractère apparemment prophétique résulte de la tension d'intégration nécessaire à l'effort de synthèse. Le cerveau-esprit est susceptible d'en appeler à ses mythes les plus profonds pour fournir aux données un cadre narratif. Pour clarifier le contraste entre le modèle de l'AS et la psychanalyse, examinons comment le rêve est expliqué par l'un et par l'autre.

1/ La théorie psychanalytique du rêve s'articule autour de l'idée erronée que le système nerveux, dépourvu d'une énergie propre, tire l'énergie de deux sources non neuronales: le monde extérieur et les poussées somatiques. L'énergie qui active le cerveau pendant le sommeil paradoxal est neuronale, et le neurone est capable de créer sa propre information. La puissance demandée au système énergétique est relativement basse, et non pas élevée comme l'a supposée la psychanalyse.

2/ La psychanalyse voit un phénomène surtout idéationnel dans la formation du contenu du rêve (les pensées latentes du rêve); pour l'AS, elle est essentiellement sensorimotrice (aucune différence entre le contenu latent et manifeste). D'après la psychanalyse, les désirs et les résidus quotidiens concourent à la formation du rêve, alors que pour l'AS elles ne sont que deux forces parmi toutes celles qui donnent une forme au processus synthétique du rêve, mais pas plus l'une que l'autre n'ont à voir avec la création de l'état dans lequel elles exercent leur pouvoir.

3/ Puisque l'énergie requise et les sources informationnelles sont de faible intensité, l'hypothèse d'AS voit dans la construction onirique un processus qui ajoute du sens alors que pour la psychanalyse, il en ôte. Pour cette dernière, la force qui meut le rêve est une idée dont le sens doit être dissimulé par un processus complexe de codage. S'il est possible que les forces de motivation et l'expérience récente figurent dans la construction synthétique du rêve, l'AS pose que le rêve se construit à partir de signaux pauvres en information (les stimuli sensori-moteurs endogènes) pour déboucher sur un produit final d'ordre élevé (le rêve devient récit). Les thèmes narratifs lui donnent une cohérence fragile sans cesse détruite par les données sensorimotrices chaotiques.

4/ Pour l'AS, le développement des perceptions pendant le rêve est progressif et passe de stimuli visuels primaires à l'imagerie perçue. La psychanalyse, en revanche, voit dans le développement de l'imagerie une fonction régressive depuis la force motrice idéationnelle du rêve jusqu'à l'expérience de perception. Nous n'avons pas besoin du postulat de la régression: une caractéristique intrinsèque de l'état onirique est d'avoir un point de départ sensoriel puisque les systèmes sensoriels du cerveau sont intrinsèquement activés à l'origine.

5/ La psychanalyse voit dans l'étrangeté du rêve le produit d'un codage défensif des désirs inconscients. L'hypothèse de l'AS y voit au contraire le résultat brut d'une intégration imparfaite de données sensori-motrices d'origine interne, traitées dans des conditions distinctes: le cadre espace-temps du monde extérieur est absent; de multiples canaux sensoriels sont activés parallèlement; les processus d'attention sont altérés. On peut donc écarter la notion de censure comme étant inutile et malcommode.

6/ Pour le théoricien de l'AS, le conflit peut figurer dans l'intrigue même d'un rêve. Mais ce conflit n'est qu'un des divers facteurs utilisés dans la construction d'une intrigue onirique et il n'est donc pas nécessaire ni suffisant pour expliquer le processus de la fabrication des rêves. Un matériau conflictuel se retrouve naturellement dans les rêves; il peut intervenir notamment dans les rêves répétitifs car il joue probablement un rôle prioritaire dans leur formation. Il y a d'autres facteurs: le caractère récent de l'entrée, input, (le résidu quotidien du psychanalyste) et ce que j'appellerais la préoccupation persistante (le conflit non résolu de la psychanalyse).

7/ Aux yeux du théoricien de l'AS, la signification des rêves est plus transparente qu'opaque. Le contenu de la plupart d'entre eux peut se lire directement, sans décodage. Puisque l'état onirique est ouvert, les rêves individuels sont susceptibles de révéler des styles cognitifs spécifiques, des aspects spécifiques de la vision projective qu'a l'individu sur le monde et ses expériences historiques spécifiques. L'activation-synthèse tient que les symboles apparents des rêves peuvent receler une multiplicité de " significations ", contrairement à la psychanalyse qui ne voit dans de nombreux symboles que la manifestation d'une ou deux pulsions instinctives (ou celle de l'anatomie sexuelle)! Enfin, dans l'AS, il n'est pas utile de s'en remettre à la technique de la libre association pour trouver le sens des rêves. Sept points majeurs de différence opposent notre nouveau modèle psychophysiologique à la théorie psychanalytique des rêves: la source d'énergie du processus onirique est interne (non externe); cette énergie est neuronale (elle ne vient pas des idées); les aspects sensoriels sont progressifs ñ le (plutôt que régressifs), traitement de l'information est constructeur (non destructeur); l'étrangeté est originelle (et non la résultante secondaire d'une transformation défensive); le sens est transparent (non pas opaque); le conflit est accidentel(pas consubstantiel au processus).

J. A. H.

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