La Narcolepsie
S.H. Onen, F. Onen, M. Jouvet

* Consultations des troubles du sommeil CMPA CHU de Clermont Ferrand BP 69 63003 Clermont Ferrand

** Consultations des troubles du sommeil Hôpital A. Charial 69340 Francheville

La narcolepsie, ou maladie de Gélineau, est caractérisée par des accès de sommeil, une cataplexie, des hallucinations hypnagogiques et des paralysies du sommeil. L'endormissement en stade paradoxal, signe majeur, est révélé par les enregistrements polygraphiques.

La prévalence de la narcolepsie est évaluée à 0,05 % (5). Elle commence le plus souvent avant 25 ans, mais l'âge de début est variable avec des extrêmes allant de 5 à 55 ans. La maladie est d'égale fréquence dans les deux sexes. Le risque de narcolepsie est de 60 à 200 fois plus élevé chez les membres de la famille d'un sujet atteint par rapport à la population générale; cela suggère une transmission génétique (8). En revanche, chez la moitié des patients, la narcolepsie se manifeste en association avec un facteur non génétique tel qu'un traumatisme crânien, une affection fébrile, des modifications brutales du rythme veille-sommeil, une grossesse ou un stress psychologique. Il est très vraisemblable que la maladie nécessite, pour apparaître, d'une part des facteurs génétiques, d'autre part des facteurs d'environnement.

La somnolence diurne et la cataplexie, deux symptômes cardinaux

Le diagnostic de la narcolepsie est essentiellement clinique. Cette maladie est caractérisée, dans sa forme complète, par deux symptômes principaux, la somnolence diurne et la cataplexie, et deux symptômes accessoires, les hallucinations hypnagogiques et les paralysies du sommeil. Le diagnostic positif requiert au minimum un accès de cataplexie. Lorsque la somnolence diurne excessive est le seul symptôme présent, elle est difficile à distinguer des somnolences non narcoleptiques. Dans ce cas, les enregistrements polygraphiques sont peu discriminants, car ils ne montrent, en général, pas d'endormissement en stade paradoxal. Seule l'évolution pourra indiquer, avec l'apparition de la cataplexie, s'il s'agit d'une véritable narcolepsie.

La somnolence diurne se manifeste par des accès irrépressibles de sommeil qui se succèdent au cours de la journée. Ces accès brusques de sommeil de quelques minutes à quelques heures peuvent survenir au milieu d'une activité et donner lieu à des automatismes: paroles inadaptées à la conversation, rinçages répétés de la vaisselle propre, conduite automobile vers une direction imprévue. Fait important, cette somnolence diurne est restauratrice d'une vigilance normale pour une à plusieurs heures. A ces accès de sommeil peuvent s'associer une somnolence de fond et des troubles de la mémoire.

La cataplexie consiste en un brusque relâchement du tonus musculaire sans altération de la conscience. Elle peut être partielle, au niveau de quelques muscles squelettiques, et provoquer une faiblesse dans les genoux, une chute de la tête ou une impossibilité d'articuler les mots, mais elle peut aussi être beaucoup plus globale, entraînant une chute avec incapacité de se mouvoir. Le déclenchement par une émotion est caractéristique d'une attaque de cataplexie: éclat de rire, colère, surprise d'une nouvelle inattendue, bruit d'une porte qui claque. La durée des attaques est variable, de quelques secondes à quelques minutes. Il en est de même de leur fréquence, d'une seule attaque dans toute la vie à plusieurs par jour.

Les hallucinations hypnagogiques correspondent à des visions du demi-sommeil ou à un rêve qui survient au moment de l'endormissement. Elles coïncident avec un épisode de stade paradoxal qui se déclenche dans les minutes qui suivent le début du sommeil.

La paralysie du sommeil se produit au moment du réveil matinal ou à la fin d'une sieste dans la journée. Le sujet se réveille en se sentant complètement paralysé avec incapacité d'ouvrir les paupières et de bouger les membres. Cet état désagréable dure quelques dizaines de secondes.

Les examens complémentaires permettent de trancher

Souvent les données cliniques suffisent pour faire le diagnostic de la narcolepsie, mais la rareté des accès de sommeil, les difficultés d'interprétation des relâchements musculaires ou les formes incomplètes sans cataplexie peuvent nécessiter des examens complémentaires. De plus, ces investigations permettent d'évaluer la sévérité de la maladie. On peut les énumérer comme suit: l'agenda de sommeil mensuel tenu par le patient, l'enregistrement polygraphique du sommeil et le groupage HLA.

L'agenda de sommeil (1) donne une vue globale du sommeil diurne et nocturne du patient. Le nombre et le moment de survenue des cataplexies, des accès de sommeil et l'heure approximative de l'endormissement, les réveils nocturnes, le réveil du matin et le lever y sont consignés (schéma 1).

L'enregistrement du sommeil peut être réalisé de diverses façons. L'enregistrement continu de jour et de nuit au laboratoire ou en ambulatoire permet de contrôler la durée totale du sommeil, d'apprécier les heures d'élection des accès de sommeil, de mesurer leur durée et de noter par quel type de sommeil ils débutent (schémas 2 et 3).
Le sommeil nocturne du narcoleptique est fragile et fragmenté par de nombreux éveils persomniques. La caractéristique polygraphique principale de la narcolepsie est l'endormissement en sommeil paradoxal dans la journée ou au début de la nuit. On désigne sous le terme d'endormissement en sommeil paradoxal tout endormissement dans lequel le sommeil paradoxal apparaît dans un délai de zéro à quinze minutes après l'endormissement. Le test itératif de délai d'endormissement est une autre modalité d'enregistrement. Dans la journée, on demande au sujet de se mettre au lit cinq fois toutes les deux heures et de se laisser aller au sommeil. Chez le sujet narcoleptique, le délai d'endormissement est de trois à quatre minutes en moyenne alors que le sujet normal s'endort en quinze à vingt minutes (13).

Le groupe HLA a pour intérêt d'éliminer pratiquement le diagnostic de narcolepsie dans les cas incertains si l'association à HLA DR2 et DQwl (sous-groupe HLA DRw15, Dw2 et DQw6) (7) n'est pas vérifiée. A quelques très rares exceptions, tous les narcoleptiques possèdent les antigènes HLA DR2 et DQwl (10, 4). Cette association est la plus forte jamais rencontrée entre le système HLA et une maladie.

La narcolepsie doit être distinguée, d'une part, d'autres hypersomnies primitives (hypersomnie idiopathique, syndrome de Kleine Levin, hypersomnie périodique de la jeune fille) et, d'autre part, des affections où la somnolence diurne ou les accès de sommeil apparaissent comme symptomatiques (syndrome d'apnées du sommeil, syndrome dépressif, prise prolongée de tranquillisants, épilepsie partielle).

L'hypersomnie idiopathique comprend une somnolence diurne anormale, des accès de sommeil moins brutaux, de plus longue durée, qui n'entraînent pas la restauration d'une vigilance normale et ne sont jamais accompagnés de cataplexie.

Le syndrome de Kleine Levin est une affection rare rencontrée surtout chez l'adolescent de sexe masculin. Les épisodes d'hypersomnie évoluent sur plusieurs jours avec polyphagie, désinhibition sociale et sexuelle.

Le syndrome d'apnées du sommeil est une affection fréquente suspectée devant l'hypersomnie diurne d'un sujet obèse et ronfleur. Ce syndrome se caractérise par des arrêts de la respiration durant au moins dix secondes et se reproduisant plusieurs fois dans la nuit. Ces arrêts respiratoires sont responsables de multiples micro éveils nocturnes qui fragmentent le sommeil. L'association narcolepsie syndrome d'apnées du sommeil n'est pas exceptionnelle.

Le syndrome dépressif ou la dysthymie peuvent se manifester par une somnolence diurne, mais l'hypersomnie est cliniquement moins sévère, et l'interrogatoire permet de retrouver une humeur triste.

La dépendance au cannabis, une prise prolongée de sédatifs (benzodiazépines) ou d'anti hypertenseurs (prazosine, aténolol, apha-méthyldopa) peuvent aussi donner une somnolence excessive.

L'épilepsie partielle, dans ce cas l'EEG est pathologique, à l'inverse de la narcolepsie.

C'est une affection chronique et invalidante

La narcolepsie est une maladie chronique, plus ou moins handicapante selon le degré de sévérité. Bien que l'intensité des symptômes puisse diminuer avec l'âge, cette maladie montre peu de tendance à la rémission spontanée. Le retentissement socioprofessionnel est certain. Des performances professionnelles insuffisantes ou des accidents de travail sont causes de licenciement ou de mise en invalidité. Les accidents de la circulation au volant d'un véhicule ne sont pas rares. Baisse de la libido ou impuissance sont des plaintes fréquentes en rapport avec le traitement tricyclique ou indépendamment de celui-ci. Certains sujets peuvent développer un syndrome dépressif. Un état de mal cataplectique caractérisé par des attaques de cataplexie subintrantes confinant le sujet au lit pour des périodes pouvant aller jusqu'à plusieurs semaines consécutives peut s'observer à l'occasion d'un arrêt de la thérapeutique tricyclique.

Le traitement est essentiellement pharmacologique

Le traitement pharmacologique fait appel aux stimulants centraux pour les accès de sommeil, aux anti dépresseurs tricycliques pour la cataplexie, et, parfois, aux hypnotiques pour améliorer la qualité du sommeil nocturne.

A ce jour, les médicaments considérés comme les plus efficaces sur la somnolence diurne demeurent les amphétamines et leurs dérivés (12): le clobenzorex (DININTEL), la fenfluramine (PONDERAL RETARD) et la fénétylline (CAPTAGON). Le traitement avec la fénétylline peut commencer par deux fois 25 mg, et la dose peut être augmentée jusqu'à 100 mg par jour en cures discontinues de trois semaines maximum. En raison de son effet stimulant, la dernière dose ne devrait pas être prise plus tard que 17 heures. Toutefois, ces médicaments peuvent entraîner des effets secondaires: irritabilité, anxiété intense, convulsions, perturbations du sommeil et surtout accoutumance et dépendance psychique.

Un médicament non amphétaminique, le modafinil (MODIODAL), a récemment obtenu l'autorisation de mise sur le marché pour l'hypersomnie idiopathique et la narcolepsie. Il a montré des propriétés éveillantes chez l'animal, liées à une activation de la neurotransmission centrale alpha-1-noradrénergique (6). Le modafinil est efficace sur les accès de sommeil dans 56 à 80 % des cas selon les séries (2, 9, 11, 3), avec une bonne tolérance en usage prolongé, sans interactions médicamenteuses, ni risque de dépendance (2, 14). La posologie habituelle est de 200 à 300 mg par jour, soit 2 ou 3 comprimés/24 h répartis le matin et à midi et/ou en fonction du rythme de survenue des accès de sommeil. Les doses thérapeutiques sont rarement responsables d'effets secondaires non spécifiques: céphalées, nausées (9). Une ingestion massive (tentative d'autolyse avec 4,5 g) ne s'est accompagnée que d'insomnie avec légère agitation et tachycardie (2).
Les médicaments de la cataplexie sont essentiellement des antidépresseurs tricycliques. La clomipramine (ANAFRANIL) et l'imipramine (TOFRANIL) peuvent être prescrites à la dose de 10 à 75 mg par jour. Ces médicaments sont actifs, mais ont des effets indésirables anticholinergiques (sécheresse de la bouche, tachycardie, constipation, baisse de la libido et impuissance). De plus, malgré un traitement bien suivi, un échappement peut intervenir chez certains patients au bout de quelques mois, avec réapparition de la cataplexie. Dans ce cas, des antidépresseurs sérotoninergiques tels que la fluoxétine (PROZAC) et la fluvoxamine (FLOXYFRAL) (15) représentent une alternative intéressante. Pour améliorer la qualité du sommeil nocturne, fragmenté par de nombreux éveils, on peut proposer des hypnotiques classiques.
Les mesures d'hygiène de vie doivent toujours compléter le traitement médicamenteux. La pratique des siestes à des heures régulières est vivement conseillée, car elles permettent aux patients, dans la plupart des cas, d'éviter les accès de sommeil involontaires qui peuvent survenir à un moment inattendu. Le thé et le café sont les deux boissons qui peuvent être consommées à volonté dans la journée.

L'essentiel

  • La somnolence diurne, la cataplexie, les hallucinations hypnagogiques et la paralysie du sommeil constituent la tétrade narcoleptique.
  • L'endormissement en sommeil paradoxal est la caractéristique polygraphique principale.
  • A quelques très rares exceptions, tous les narcoleptiques possèdent les antigènes HLA DR2 et DQwl.
  • Il s'agit d'une maladie chronique et invalidante qui peut être responsable d'accidents de travail et de la circulation.
  • Le traitement pharmacologique fait appel aux stimulants centraux pour les accès de sommeil et aux antidépresseurs tricycliques pour la cataplexie.

Agendas mensuels de sommeil remplis par un narcoleptique

 

(a) avant le traitement en janvier et
(b) pendant le traitement en septembre.

    Zones colorées: périodes de sommeil.
    Flèche: endormissement brusque.
    Point vert: bâillement.
    Point bleu: assoupissement.

a) Agenda de sommeil avant le traitement.
b) Agenda de sommeil pendant le traitement

Hypnogramme d'un sujet normal court dormeur

L'endormissement nocturne débute par le sommeil lent (stades 1, 2, 3, 4) à 23 h 46.
Pendant la nuit (N), on retrouve quatre épisodes de sommeil paradoxal (SP) et cinq épisodes courts

Hypnogramme d'un sujet narcoleptique

Le sommeil nocturne (N) fragmenté par de nombreux éveils (E) débute vers 22 h.
Les flèches correspondent aux endormissements en sommeil paradoxal (SP) de la journée et de la première moitié de la nuit.

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