LA DECOUVERTE DU MOIS
Découverte du gène de la narcolepsie ?

Le meeting de Dresde a été marqué par deux articles récents qui ont montré que la dysfonction d'un système de neurones contenant des peptides nommés orexines ou hypocretines chez la souris ou le chien entraîne l'apparition de narcolepsie (Lin et al., 1999, Chemelli et al., 1999 , revue de Siegel, 1999). La première équipe a mis en évidence une délétion du récepteur 2 aux orexines chez les dobermans et les labradors narcoleptiques. L'autre équipe a créé un souris knock-out des orexines. Ces souris présentent des attaques narcoleptiques. De plus, très récemment, Nishino et al. (2000) ont observé que l'hypocretin-1 était indétectable dans le liquide céphalorachidien des patients narcoleptiques. L'ensemble de ces résultats ouvrent un vaste champ d'investigation sur la narcolepsie et son traitement chez l'Homme.

La narcolepsie est une maladie qui affecte environ une personne sur 2000 et se développe généralement dans la seconde ou la troisième décennie de la vie avec des symptômes augmentant progressivement sur une période de 1 ou plusieurs années avant de se stabiliser. La narcolepsie est caractérisée par une somnolence diurne excessive et la cataplexie qui est une perte du tonus musculaire déclenchée par une émotion forte soudaine comme le rire. Pendant les attaques de cataplexie qui durent en général quelques secondes, les malades restent conscients.

La narcolepsie existe également chez les chevaux, les vaches et les chiens. Au début des années 70, Dement et ses collaborateurs (1994) ont montré que la narcolepsie chez les labradors et les dobermans était du à une transmission autosomique récessive d'un seul gène.

La somnolence diurne de la narcolepsie peut être traitée par un certain nombre de substances comme les amphétamines et le modafinil. La cataplexie est généralement traitée avec les antidépresseurs tricycliques et les inhibiteurs de recapture de la sérotonine. En revanche, le blocage de la noradrénaline et la stimulation des systèmes cholinergiques exacerbent la cataplexie. Ainsi la balance entre les systèmes noradrénergiques et cholinergiques est un facteur majeur dans le contrôle de la cataplexie (Nishino et Mignot, 1997).

Chez les personnes normales, les muscles posturaux maintiennent un tonus de base pendant l'éveil et le sommeil lent. C'est seulement pendant le sommeil paradoxal que le tonus musculaire est complètement aboli. La similitude de l'atonie du sommeil paradoxal et de la cataplexie ont conduit à l'hypothèse que celle-ci était dû à l'activation pendant l'éveil des mécanismes qui normalement suppriment le tonus musculaire pendant le sommeil paradoxal. De nombreuses études indique que l'atonie du sommeil paradoxal serait du à l'activation dans le tronc cérébral d'un réseau neuronal dont le dernier maillon est composé de neurones utilisant un acide aminé inhibiteur, la glycine. La glycine serait secrété sur les motoneurones et induirait leur hyperpolarisation et donc une atonie musculaire quasi complète.

Que sont les orexines?

Les orexines A (hypocretin-1) et B (hypocretin-2) sont des peptides récemment découverts ( de Lecea et al., 1998; Sakurai et al., 1998) qui sont contenus exclusivement dans une population de neurones se localisant dans la région périfornicale de l'hypothalamus postérieur. Ces neurones ont des projections dans la quasi-totalité du cerveau. Ils projettent densément sur plusieurs populations neuronales impliquées dans le maintien de l'éveil comme les neurones sérotonergiques des noyaux du raphé, noradrénergiques du locus coeruleus et histaminergiques du noyau tubéromamillaire. Ils se projettent également diffusément sur le cortex et peuvent donc influencer directement l'activité corticale ( Peyron et al., 1998) Finalement, ils émettent des projections sur le système limbique. Cette projection pourrait jouer un rôle crucial dans la narcolepsie du fait de l'importance du système limbique dans l'émotion. Deux types de récepteurs aux orexines ont été identifiés. Le type 1 se trouve surtout dans le tronc cérébral et le type 2 dans la partie antérieure du cerveau.

Quel est le rôle des orexines dans la narcolepsie?

Il est aujourd'hui encore trop tôt pour répondre à cette question. Il reste en effet à découvrir ou se fait l'interface entre les neurones à orexine et les réseaux neuronaux du tronc cérébral responsables du sommeil paradoxal et plus spécifiquement de l'atonie musculaire l'accompagnant. Le fait que l'inactivation des orexines entraîne la narcolepsie suggère néanmoins que ces peptides en conditions normales inhibent indirectement ou directement les systèmes neuronaux responsables de l'atonie du sommeil paradoxal. La présence de nombreux prolongements de ces neurones dans les différents systèmes d'éveil et les travaux montrant un effet excitateur des orexines A et B sur les neurones noradréneriques du locus coeruleus ( Horvath et al., 1999, Hagan et al., 1999) supporte la première hypothèse. Les neurones à orexine pourraient donc être actifs pendant l'éveil et stimuler directement les systèmes d'éveil. En l'absence de cette stimulation chez la souris knockout ou les chiens narcoleptiques, les animaux pourraient connaître des épisodes de narcolepsie. La faible quantité du type 2 du récepteur à orexine dans les systèmes d'éveil va néanmoins à l'encontre de cette hypothèse. L'autre possibilité est celle d'une action inhibitrice directe des orexines sur les systèmes responsables du sommeil paradoxal. La présence de fibres issues des neurones à orexine dans les systèmes neuronaux du tronc cérébral exécutifs du sommeil paradoxal est en faveur de cette hypothèse. Les orexines pourraient être inhibiteurs sur plusieurs de ces systèmes simultanément ou sur un seul. Des travaux pharmacologiques sont nécessaires pour tester cette hypothèse. Enfin dernière possibilité, les orexines agiraient dans le cerveau antérieur par exemple au niveau du système limbique. Elles empêcheraient à ce niveau un passage direct de l'éveil au sommeil paradoxal lors de stimuli à fort composante émotionnelle.

Orexines et narcolepsie humaine ?

Les résultats obtenus récemment chez la souris et le chien montrent sans ambiguïté que la dysfonction des systèmes orexinergiques entraîne l'apparition de narcolepsie. Qu'en est-il de la narcolepsie humaine ? Plusieurs éléments indiquent que la narcolepsie humaine dans la majorité des cas n'est pas due à une mutation des gènes codant pour les orexines ou ces récepteurs. Tout d'abord, la plupart des narcoleptiques ont des parents non narcoleptiques ce qui élimine la possibilité d'une transmission autosomique récessive similaire à celle mise en évidence chez le chien. De plus chez approximativement 75% des paires de vrais jumeaux examinés pour la narcolepsie, un seul des jumeaux présente la maladie ce qui indique l'importance des facteurs environnementaux. Les travaux en cours non publiés de plusieurs équipes confirment que les gènes codant pour les orexines et leurs récepteurs ne sont pas mutés chez les narcoleptiques.

En revanche, 85% des patients narcoleptiques ont un même allèle HLA, HLA DQB1*0602 comparé à 12-38% de la population générale (Mignot, 1998). Du fait du rôle des produits du gène HLA dans la régulation immunitaire, du fait que la plupart des maladie liées à l'HLA sont de nature auto-immunes et du fait que des facteurs environnementaux semblent impliqués, il a été spéculé que la narcolepsie pourrait être une maladie auto-immune. Très récemment, il a été montré que l'hypocrétin-1 est indétectable dans le liquide céphalo-rachidien de 7 narcoleptiques sur 9 testés. Ces résultats suggèrent que les neurones à hypocrétin sont chez le narcoleptique soit détruits soit dans l'incapacité de produire de l'hypocrétin. L'hypothèse actuelle en cours de test par plusieurs laboratoire est que chez les narcoleptiques les neurones à orexine auraient été détruits par une attaque autoimmune. En théorie, le traitement des narcoleptiques par des agonistes des orexins devrait permettre de traiter la maladie, les récepteurs étant à priori intacts chez la grande majorité des patients. La compétition est aujourd'hui sans doute rude au niveau des laboratoires pharmaceutiques pour sortir le premier ce type d'agoniste sur le marché.

Pierre Hervé Luppi

  • R. M. Chemelli et al., Cell 98., p. 437 (1999).
  • W. C. Dement, in Principles and Practices of Sleep Medicine, M. H. Kryger, T. Roth, W. C. Dement, Eds. (Saunders, Philadelphia, PA, 1994), pp. 3-15
  • J. J. Hagan et al. Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America 96,19 (1999)
  • T. L Horvath et al. J. Comp. Neurol. 415,2 (1999)
  • L. De Lecea et al., Proc. Natl. Acad. Sci. U.S.A. 95, 322 (1998)
  • L. Lin et al., Cell 98, 365 (1999)
  • E. Mignot, Neurology 50 (Suppl. 1), S16 (1998)
  • S. Nishino and E. Mignot, Prog. Neurobiol. 52, 27 (1997)
  • S. Nishino et al.,The Lancet. 355,9197 (2000)
  • C. Peyron et al., J. Neurosci. 18, 9996 (1998)
  • T. Sakurai et al., Cell 92, 573 (1998)
  • J. Siegel, Cell 98 (1999)