Les mécanismes du sommeil paradoxal
Michel Jouvet Sleep 17 (1994)
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TABLE DES MATIERES
Le Pont est-il à la fois nécessaire et suffisant pour initier les phénomènes cardinaux du Sommeil Paradoxal ?
Les sections du tronc cérébral
Microinjections de Carbachol au niveau du Pont
Résultats des lésions
Le stress est-il responsable du rebond de sommeil paradoxal (SP) ?
Le rebond de SP et l'altération de la sensibilité des récepteurs
Le rebond de SP est dépendant de l'aspect "stressant" de la privation de SP
Le rebond de SP est supprimé par la suppression de la boucle neurohormonal du stress
Le sommeil paradoxal est-il dépendant de facteurs énergétiques ?
Résumé

Une revue générale des effets des sections du tronc cérébral, des microinjections de carbachol et des lésions ne permet pas de conclure de façon certaine que le Pont soit à la fois nécessaire et suffisant pour l'apparition du Sommeil Paradoxal (SP). Les différentes théories qui permettent d'expliquer le rebond de SP sont résumées : dans certains cas, le rebond de SP semble être dépendant du stress provoqué par la privation de SP. Enfin , le SP semble nécessiter le métabolisme oxydatif du glucose, et dans certaines conditions, le SP peut être augmenté par l'hyperoxie.

Mots-clefs

Sommeil Paradoxal - Mécanismes cholinergiques pontiques - Carbachol - Rebond de Sommeil Paradoxal - Hypoxie - Hyperoxie.

Etant donné qu'il existe des revues récentes et excellentes concernant les mécanismes du Sommeil Paradoxal (SP) ou REM Sleep (1)(2) (3)(4), il ne semble pas nécessaire d'ajouter une revue générale de ces revues. Par contre, les sujets suivants apparaissent dignes d'être discutés, soit parce qu'il sont encore le sujet d'interprétation contradictoire, soit parce qu'ils n'ont pas été abordés dans les revues précédentes.

Le Pont est-il à la fois nécessaire et suffisant pour initier les phénomènes cardinaux du Sommeil Paradoxal ?

Une revue du résultat des sections du tronc cérébral, des injections intracérébrales de Carbachol et des lésions ne permet pas encore de répondre de façon affirmative à cette question.

Les sections du tronc cérébral

La Figure 1 représente le schéma d'une section sagittale du tronc cérébral d'un chat au niveau du plan latéral 2,5. On sait depuis plus de 30 ans qu'une section totale du tronc cérébral (A ou B) en avant du Pont ne supprime pas l'apparition périodique du SP au niveau des structures situées en arrière de la section. D'autre part, il n'apparaît aucun signe de SP au niveau du cerveau situé en avant de la section.

Une section de la moëlle cervicale, juste en arrière du Bulbe (E. Préparation Encéphale isolé) ne supprime pas les signes électriques du SP en avant de la section, bien que l'atonie musculaire qui dépend des motoneurones soit évidemment supprimée par la lésion.

Les résultats permettent évidemment de conclure que le rhombencéphale (situé en arrière du mésencéphale et en avant de la moelle épinière) est suffisant pour mettre en jeu le SP. D'autre part, on peut conclure qu'il n'y a pas de "lien humoral" issu du tronc cérébral inférieur qui soit capable d'activer le cerveau lorsque le SP survient en arrière d'une section totale du tronc cérébral en avant du Pont.

Après une transection entre le Pont et le Bulbe (D), il n'a pas été remarqué de signes de SP en arrière de la section (pas d'atonie musculaire, pas d'activité en bouffées des décharges unitaires des neurones de la région médiane du bulbe).

Cependant, SIEGEL et al (7) ont décrit un état resemblant "au SP" en avant d'une telle section. Cet état était caractérisé par un électroencéphalogramme (EEG) désynchronisé accompagné d'une activité PGO survenant en bouffées irrégulières. Des mouvements rapides oculaires accompagnaient parfois les bouffées de PGO, mais pouvaient également survenir en dehors de l'activité PGO. Un tel état pouvait durer plusieurs heures. Il convient de noter qu'après une section identique, WEBSTER et al (8) ont remarqué une désorganisation totale et même une suppression du SP au niveau du cerveau situé en avant de la section D.Enfin, après une section située au milieu du Pont (section C), il n'a pas été possible de mettre en évidence de signes spécifiques du SP soit en avant, soit en arrière de la section, même chez des préparations chroniques.

D'après ces résultats, on peut évidemment conclure que le Pont pourrait être suffisant pour la genèse du SP, puisqu'il n'existe aucune preuve que le Bulbe seul puisse contribuer à certains aspects du SP (comme l'atonie musculaire) et aussi puisque des épisodes "putatifs" de SP peuvent apparaître en avant d'une transection entre le Pont et le Bulbe.

Microinjections de Carbachol au niveau du Pont

Des microinjections de Carbachol dans la partie médiodorsale du tegmentum pontique (région du locus coeruleus alpha et du périlocus coeruleus alpha) (voir les points noirs sur la Figure 1) sont suivies constamment par une augmentation importante du SP après une courte latence (moins de 5 minutes) (9).

Cependant, après section du tronc cérébral (C ou D) des microinjections au même endroit n'entraînent plus l'apparition du SP, même dans des conditions chroniques. Chez ces préparations, Vanni-Mercier et al (9) ont observé l'apparition d'une activité PGO permanente pendant de longues périodes d'activité EEG desynchronisée. Ces auteurs emettent l'hypothèse que ces périodes sont en relation avec l'éveil parcequ'ils ont pu observer des mouvements oculaires de fixations à des stimuli visuels. Ainsi, selon Vanni-Mercier et al, le pont ne serait pas suffisant pour provoquer l'apparition du SP. Celui-ci nécessiterait des connections entre le pont et le bulbe.

Les afférences cholinergiques qui se projettent au niveau des structures exécutives du SP proviennent du tegmentum dorsal pontique et du bulbe.

Chez la préparation médiopontique (C) ou bulbopontique (D) les afférences cholinergiques pontiques sont conservées tandis que celles qui sont issues du bulbe sont supprimées. Leur absence pourrait ainsi expliquer la disparition du SP après les sections C ou D.

Cependant, les injections de carbachol dans le pont devraient avoir eu le même résultat que des afférences cholinergiques d'origine bulbaire. Pour cette raison, il est évident que la stimulation cholinergique du pont est à elle seule insuffisante pour déclencher le SP. Il faut donc supposer que des interactions réciproques complexes entre le pont et le bulbe sont indispensables à l'apparition du SP.

Résultats des lésions

Coagulation

La destruction des corps cellulaires et des voies de passages (axones), qui sont localisés dans la partie dorso latérale du tegmentum pontique (latéral 2,5 à latéral 4), au niveau du noyau reticularis pontis oralis (ou au niveau du locus coeruleus alpha et péri-locus alpha), peut entraîner une suppression totale du SP.

Pendant plusieurs mois, le SP peut aussi être supprimer par la coagulation de la partie ventrolatérale du noyau reticularis pontis oralis et caudalis qui laisse intacte la région du locus coeruleus. Par contre, la coagulation de la partie médiane de ces noyaux ne supprime pas le SP. Ces résultats suggèrent que les connections entre les neurones pontins et bulbaires responsables du SP sont localisés au niveau des régions latérales du tronc cérébral.

Lésions neurotoxiques

Des lésions très importantes de la région gigantocellulaire pontobulbaire par l'acide kaïnique ne suppriment pas le SP (11). Cependant, une destruction entière du complexe du locus coeruleus entraîne la suppression du SP.

Des études immunohistochimiques des lésions ont révélé que chez les chats ayant subi une destruction presque complète des neurones cholinergiques de la partie dorsale du tegmentum pontique, le SP était supprimé pendant 2 à 3 semaines.

Ces résultats suggèrent donc que les neurones cholinergiques de la partie dorso-latérale du tegmentum ponto mésencéphalique sont responsables à la fois de l'initiation et de la maintenance du SP (13).

Récemment, la partie médiane de la formation réticulée bulbaire a été détruite grâce à l'injection d'acide quisqualique dans la partie gigantocellulaire et magnocellulaire du bulbe (14). Après ces lésions cytotoxiques qui intéressaient à peu près 60 % des cellules, il existait une diminution significative mais modeste du SP (64 % des contrôles) au cours de la première semaine post opératoire. L'effet le plus apparent de ces lésions était une augmentation importante de l'amplitude de l'activité EMG des muscles de la nuque aussi bien pendant le sommeil lent que le SP. Cette augmentation étant associée à des mouvements de la tête ou des membres au cours du SP.

Ces résultats permettent de conclure que les neurones de la partie médiane de la formation réticulée bulbaire peuvent jouer un rôle, mais ne sont pas nécessaires à l'apparition du SP. Afin d'essayer de concilier la contradiction qui existe entre la suppression du SP provoquée par une transection bulbopontique et la persistance du SP après lésion neurotoxique du bulbe, Holmes et Jones (14) ont proposé les explications suivantes (14) : ou bien la transection provoque une dégénérescence rétrograde des neurones pontiques responsables du SP, ou bien la lésion neurotoxique du bulbe est trop limitée et n'altère pas des neurones bulbaires responsables du SP, surtout au niveau de la partie latérale du bulbe qui ne peut être détruit sans entraîner la mort des animaux.

Il peut enfin exister une autre hypothèse qui expliquerait l'absence des effets des microinjections de carbachol chez les chats ayant subi des transections pontobulbaires. Les afférences cholinergiques au niveau des cellules pontiques exécutives du SP seraient issues en grande partie du pont. Les cellules exécutives du SP, cholinoceptives devraient alors stimuler des neurones bulbaires non cholinergiques, qui à leur tour pourraient activer d'autres cellules exécutives non cholinoceptives. Ainsi, chez des animaux non lésés, le carbachol pourrait activer à la fois des neurones ponto bulbaires descendants et des neurones bulbo-pontiques non cholinergiques.
Chez ces animaux ayant subi une transection bulbo pontique, le carbachol ne pourrait pas remplacer le neurotransmetteur inconnu bulbopontique.

En résumé, il est toujours impossible de répondre de façon définitive à la question de savoir si le pont est à la fois nécessaire et suffisant à l'apparition du SP. Il est évident, cependant, que nous pouvons répondre de façon négative à la question : les cellules cholinoceptives du pont sont-elles suffisantes pour l'apparition du SP.

Le stress est-il responsable du rebond de sommeil paradoxal (SP) ?

Le concept du rebond de SP fut proposé au début par Dement (15) pour décrire l'augmentation du SP qui fait suite à sa suppression instrumentale.

Ce concept a été élargi de façon à incorporer toute augmentation du SP au dessus de la normale à la suite des modifications expérimentales du cycle veille-sommeil.

Les hypothèses principales qui ont été proposées pour expliquer le rebond de SP peuvent être résumées de la façon suivante :

  • le rebond de SP est dû à une augmentation du ou des facteurs responsables du SP (hypothèse présynaptique ou "hydraulique").
  • la privation de SP provoque des altérations de la sensibilité des récepteurs, ce qui entrainerait le rebond de SP (hypothèse post synaptique).
  • le rebond de SP est provoqué par des situations stressantes (strain) qui surviennent pendant la privation de SP (hypothèse du stress). La théorie hydraulique du rebond - ou le rebond de SP considéré comme intrinsèque aux mécanismes du SP

Les privations instrumentales de SP (soit par la méthode de la piscine, soit en réveillant un animal ou un sujet humain au début de chaque épisode de SP) sont accompagnées et suivies par les symptômes suivants : 1) une augmentation du "besoin" ou de la "propensité" pour le SP qui se traduit par l'augmentation de la fréquence des débuts d'épisodes de SP (presque chaque minute après une privation de SP durant 24 heures chez le chat). 2) une augmentation du SP consécutive à la privation. La durée du rebond est en général proportionnelle à la durée de la privation du SP, si bien que le déficit du SP (ou sa dette) est partiellement remboursée (50 à 80 %).

La découverte du rebond de SP consécutif à la suppression a entraîné l'apparition de deux nouveaux concepts :

1) Il conduit à penser que le SP devrait être un état fonctionnel important puisqu'il existait un "besoin" de SP et puisque sa suppression devait être "remboursée" par son augmentation consécutive (compensatoire ou homéostasique).

2) Il permit d'évoquer une première tentative d'explication des mécanismes du rebond, analogue à la théorie hydraulique des instincts : ainsi, pendant la privation de SP, il devait apparaître une accumulation de quelques facteurs responsables du SP (REM juice) (16). Cette accumulation serait alors responsable de la pression de SP jusqu'à ce que ce facteur soit "utilisé" pendant le rebond. Selon cette théorie, le(s) même(s) facteur(s) serait(ent) responsable(s) à la fois du SP et du rebond. Cette théorie conduisit à la recherche sans fin de facteurs responsables du SP ou du sommeil, dans le cerveau, le LCR, soit après privation totale de sommeil, soit après privation de SP. Malgré la découverte de nombreux facteurs ou peptides capables d'augmenter le SP, il est évident qu'aucun facteur spécifique, nécessaire et suffisant à l'apparition du SP n'a été isolé (17). Il n'y a, en effet, aucune preuve expérimentale que la suppression d'un de ces facteurs soit suivie par une disparition complète ou prolongée du SP.

Le rebond de SP et l'altération de la sensibilité des récepteurs

A la fin des années 1970, la privation de SP fut employée pour améliorer les symptômes dépressifs chez l'homme. Etant donné que l'administration de médicaments anti-dépresseurs peut altérer la sensibilité des récepteurs monoaminoceptifs, les effets de la privation de SP furent étudiés sur l'activité des récepteurs. Dans certains cas, une altération de la sensibilité des récepteurs à été mise en corrélation avec des modifications du comportement ou des réponses aux drogues qui surviennent au cours de la privation de SP. Etant donné que le rebond de SP peut quelquefois être aboli par l'administration d'antagonistes de certains récepteurs, on admit alors explicitement ou de façon implicite que le rebond de SP pouvait être le résultat de l'augmentation de la sensibilité des récepteurs aminoceptifs ou cholinoceptifs (voir la revue dans la référence 18).

Le rebond de SP et le "stress"

Le rebond de SP n'est pas la conséquence obligatoire d'une suppression du SP. Les expériences suivantes démontrent en effet que la privation de SP n'est pas obligatoirement suivie par l'apparition d'un rebond de SP consécutif.

1) Une privation de SP, pendant 10 heures, soit instrumentale (technique de la piscine), soit pharmacologique (chlorimipramine - amphétamines) n'est pas suivie d'une augmentation significative du SP chez des souches génétiques de souris qui présentent des quantités normales de SP (BALB/C ou SEC), tandis qu'elle provoque une augmentation importante du SP chez d'autres souches (C57BL) (19).

2) Si le SP est supprimé chez le chat par des méthodes non agréssives ou stressantes, il n'apparaît pas ensuite de rebond. Ainsi, lorsqu'un chat est réveillé doucement au début de chaque épisode de SP et maintenu éveillé pendant 5 minutes (ce qui est la durée moyenne des épisodes de SP) il n'y a pas d'augmentation de la fréquence des début d'épisodes de SP ni de rebond de SP même si la suppression dure plusieurs heures (20).

3) Lorsque des rats ont la possibilité d'utiliser un manège tournant, ils peuvent courir jusqu'à 7km5 pendant la nuit. Ce type d'exercice qui occupe une grande partie de la nuit n'entraîne pas d'augmentation de SP.

Ces expériences démontrent que ce n'est pas la privation de SP, en soi, qui est responsable du rebond de SP. Ainsi, il est possible que l'aspect qualitatif de la privation de SP (stress ou strain) soit responsable du rebond de SP. Cette hypothèse repose sur les expériences suivantes :

Le rebond de SP est dépendant de l'aspect "stressant" de la privation de SP

Un stress d'immobilisation (SI), d'une durée de 2 heures, effectué sur des rats au début de la période d'obscurité (c'est-à-dire au moment où les rats sont les plus actifs) est suivi pendant 10 heures par une augmentation significative du SP (+ 92 %) tandis qu'il n'y a pas de variation du sommeil lent. D'autre part, des privations de SP d'une durée de 2 heures, soit par la technique de la piscine, soit en maintenant les animaux éveillés par manipulation ne sont pas suivies de variations significatives du sommeil lent ou du SP. Il faut insister sur le fait qu'aussi bien le stress d'immobilisation que les autres privations de SP entraînent la même augmentation de la corticostérone alors que seul le stress d'immobilisation est suivi d'un rebond de SP.

Enfin, si des rats sont soumis à des SI répétitifs (tous les 3 jours) l'augmentation du SP diminue progressivement.

Ces résultats suggèrent qu'un aspect qualitatif de l'éveil, telle qu'une situation de stress intense, puisse être à la source des événements hormonaux et neuronaux responsables de l'augmentation de SP. Cette hypothèse est renforcée par les expériences suivantes au cours desquelles la boucle neurohormonale du stress a été éliminée.

Le rebond de SP est supprimé par la suppression de la boucle neurohormonal du stress

La destruction associée du noyau arqué et de l'hypophyse supprime le rebond de SP consécutif à une privation expérimentale chez des rats qui présentent des quantités de SP normales dans les conditions de contrôle post-opératoires.

Cependant, la destruction isolée, soit du noyau arqué soit de l'hypophyse ne supprime pas le rebond de SP (23).

Il apparaît ainsi possible que soit l'axe hypophyso-surrenalien qui est responsable des "mécanismes classiques du stress", soit un système central issu du noyau arqué et innervant le tronc cérébral puisse être impliqué dans les mécanismes "homéostatiques" du rebond "compensatoire" de SP.

Chez des chats pontiques (porteurs d'ilot hypothalamo-pituitaire au sein duquel le noyau arqué et l'hypophyse sont totalement séparés du tronc cérébral) la suppression de SP pendant 10 heures (par des chocs électriques sur la patte au début de chaque épisode de SP) n'est jamais suivie par un rebond de SP. Le problème des mécanismes et de la signification du rebond de SP en rapport avec le stress mérite enfin d'être brièvement discuté. Le rebond de SP ne semble pas être dépendant de la boucle classique hypothalamo-hypophyso- surrénalienne responsable du stress puisque le rebond de SP peut revenir chez des rats (ou des chats) hypophysectomisés et puisqu'il n'y a pas de correlation entre l'augmentation de corticostérone et l'augmentation du SP.

Pour cette raison, une autre boucle de régulation pourrait être impliquée dans le phénomène de rebond du SP. Une augmentation de la libération de sérotonine a été mesurée par la méthode voltamétrique au niveau du noyau arqué au cours du stress chez le rat. Cette libération pourrait faciliter la sécrétion de certains peptides dérivés de la famille de la POMC situés au niveau du noyau arqué. Ainsi, il a été montré que le Des-Acetyl-a- MSH et le CLIP ont une activité hypnogène importante. Ces peptides pourraient ainsi former la boucle hypnogène en inhibant, par auto-inhibition, l'activité du noyau raphé dorsal (en augmentant la libération dendritique de sérotonine).

Il a été proposé que, au cours du stress, les glucocorticoïdes pouvaient protéger l'organisme en diminuant plutôt qu'en facilitant la réaction de défense active par le stress. Ainsi, seraient évités les dommages d'une hypersécrétion de glucocorticoïdes.

Si le rebond de SP joue le même rôle pour le cerveau que les glucocorticoïdes jouent pour l'organisme, il faudrait alors assimiler le rebond de SP à un mécanisme protecteur. Pourquoi un stress d'immobilisation "punitif" d'une courte durée de 2 heures est suivi d'un rebond de SP, alors qu'une privation douce de SP d'une durée de 10 heures ne l'est pas, demeure un problème non résolu.

Le sommeil paradoxal est-il dépendant de facteurs énergétiques ?

Le rythme ultradien du SP (c'est-à-dire la durée des intervalles entre le début de deux épisodes successifs de SP) est proportionnel au poids du cerveau et inversement proportionnel à l'activité métabolique (27). Ainsi, chez la souris, cet intervalle est d'environ 10 minutes, tandis qu'il est de 24 minutes chez le chat, 90 minutes chez l'homme et à peu près 120 minutes chez l'éléphant. Ces résultats suggèrent que de façon directe ou indirecte le SP soit corrélé avec le métabolisme ou des mécanismes énergétiques.

Les relations entre les mécanismes énergétiques et le SP peuvent être résumées ainsi (voir les références chez Giuditta (28) et Siesjö (29)). On sait que le cerveau utilise surtout le glucose. Le glucose est prélevé du sang par un système spécial qui le transporte dans les cellules gliales (les astrocytes). Il y est alors transformé en pyruvate, l'aliment principal des neurones. A l'intérieur des neurones, le pyruvate peut être métabolisé dans deux voies différentes selon la pression partielle d'oxygène (O2). Il peut être transformé en lactate par la voie anaérobie grâce à l'enzyme lactate deshydrogenase ou transformé par la voie oxydative (le cycle de Krebs) en CO2 et H2O. Ce métabolisme oxydatif nécessite une autre enzyme, le complexe de la pyruvate deshydrogenase qui transforme le pyruvate en acetylco enzyme A. Ainsi, il existe des systèmes de neurones qui peuvent fonctionner, soit par la voie anaérobie (la voie du lactate) soit par la voie oxydative (le cycle de Krebs). Serait-il possible que les voies aérobies et anaérobies puissent être alternativement empruntés pendant l'éveil ou le sommeil ?

Il est évident que le cerveau éveillé doit fonctionner dans des conditions d'urgence au cours desquels il peut se produire une diminution de la pression partielle d'O2. Il est bien connu que dans ces conditions, l'éveil augmente. De fait, la plupart des "systèmes d'éveil" comme les systèmes monoaminergiques, contiennent le lactate deshydrogenase qui permet à l'éveil de fonctionner dans des conditions anaérobiques (comme le muscle pendant l'effort). Ce métabolisme anaérobique ne survient pas seulement dans des conditions d'urgence, mais aussi pendant l'attention (au niveau cortical). Ce résultat a été obtenu récemment par Fox et ses associés avec la caméra à positrons (30) : ainsi, chez des sujets humains volontaires au cours de l'attention visuelle, le cortex occipItal. utilise plus de glucose (+ 50 %) mais la même quantité d'O2 (+ 5 %) qu'au cours de l'éveil "relaxe". Dans ces conditions, le pyruvate doit être évidemment métabolisé par la voie des lactates.

Pendant le sommeil lent, la consommation de glucose et d'O2 diminue du fait de la diminution du métabolisme du cerveau et de l'organisme. La température du cerveau décroît également à la fois à cause de la baisse du métabolisme et à cause de l'inhibition du système sympathique ce qui entraînt une vasodilatation et donc une augmentation de la thermolyse.

Ainsi, au point de vue énergétique, le sommeil lent exécute deux fonctions : il diminue le métabolisme cérébral (et la température du cerveau) et en même temps, comme cela fut démontré par Karnovsky et al (31), le glucose qui n'est pas utilisé est stocké comme du glycogène, fort probablement dans les cellules gliales (glycogenogenèse).

Ainsi, il est possible qu'après une durée suffisante de sommeil lent (qui représente le rythme ultradien du SP) il puisse apparaître un équilibre positif entre l'augmentation des réserves énergétiques (le glycogène) et la diminution de l'utilisation de l'énergie. Cette "balance positive" serait appréciée ou "pesée" par un mécanisme encore inconnu et pourrait permettre l'apparition du SP par l'utilisation oxydative de l'énergie conservée dans les cellules gliales.

Il existe en effet des arguments indirects qui suggèrent que le SP utilise au moins autant d'énergie que l'éveil et que cette énergie doit être utilisée par la voie oxydative. Comme l'ont montré les expériences effectuées avec la technique du C14 deoxyglucose, l'utilisation du glucose est augmentée pendant le SP à un niveau bien supérieur que celui du sommeil lent profond, et égale ou même supérieure au niveau de l'éveil (dans certaines structures cérébrales) (32- 33). Bien qu'il n'y ait pas encore eu de mesure simultanée de l'utilisation de O2 au cours du SP (en même temps que l'utilisation du glucose ou du pyruvate), les résultats suivants permettent de supposer l'importance du métabolisme oxydatif au cours du SP : d'une part, le SP est diminué ou supprimé sélectivement au cours de l'hypoxie (34- 35) alors que, soit le sommeil lent soit l'éveil, peuvent être augmentés. D'autre part, l'augmentation de la pression partielle d'O2 chez le chat pontique, maintenu à une température fixe (température clamp), provoque une diminution de l'intervalle entre les épisodes de SP et donc une augmentation de la quantité de SP (jusqu'à 100 %). Dans de telles expériences, le rythme ultradien du SP apparaît bien asservi à des mécanismes énergétiques (36-Fig. 3).

En conclusion, on peut se demander pourquoi le SP nécessite le métabolisme aérobie du pyruvate ? La réponse à cette question pourrait être apportée par certains de ses mécanismes. Il existe en effet un faisceau d'arguments convergents qui permettent de supposer que le SP nécessite la mise en jeu de mécanismes cholinergiques (voir plus haut). Or, l'acetylcholine est l'un des neurotransmetteurs qui dépend le plus du métabolisme oxydatif. En effet, la synthèse de l'acétylcholine se fait au dépend à la fois de la choline et surtout de l'acetyl Co A (qui est synthétisé à partir du pyruvate grâce à la pyruvate deshydrogenase à travers la glycolyse oxydative). C'est pourquoi il est bien connu que la diminution de la pression partielle d'O2 diminue ou supprime le métabolisme de l'acétylcholine.
L'importance de la pyruvate deshydrogenase pourrait aussi expliquer pourquoi la plupart des neurones qui sont mis en jeu au cours des "mécanismes exécutifs cholinergiques" du SP sont particulièrement riches en pyruvate deshydrogenase.

Il est enfin possible que des altérations de cette enzyme puissent être responsables de la suppression du SP dans certaines maladies dégénératives ou dans tous les cas où il existe une diminution locale de la pression partielle d'O2 dans le tronc cérébral.

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