Etude des mécanismes du sommeil physiologique
M. Jouvet, J. Dechaume et F. Michel
Lyon Médical N 38 -18 Septembre 1960
TABLE DES MATIERES

Introduction

I - Rappel Methodologique

II - Aspects EEG du sommeil physiologique chez le chat

III - Topographie des systemes responsables des deux stades du sommeil

IV - Les expériences de stimulation

V - L'ensemble de ces résultats

VI - Aspects EEG du sommeil physiologique chez l'homme

Conclusion

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2 - Aspects E.E.G. du sommeil physiologique chez le chat

Nous résumerons ici des résultats expérimentaux (Jouvet et Michel, 1958, 1959, 1960; Jouvet, Michel et Courjon, 1959) qui nous conduisent à proposer l'existence de deux systèmes: télencéphalique et rhombencéphalique, responsables des stades d'ondes lentes et du stade d'activité rapide au cours du sommeil. L'activité électrique cérébrale recueillie par des électrodes corticales ou sous-corticales implantées à demeure chez plus de cinquante chats chroniques (c'est-à dire étudiés plus de cinq jours, au cours du sommeil physiologique) fut mise en corrélation avec l'activité électromyographique des muscles de la nuque, les mouvements des yeux, le rythme cardiaque et la respiration. Ces investigations furent pratiquées soit chez des chats intacts, soit chez des chats décortiqués totaux ou subtotaux, soit chez des animaux porteurs de sections du tronc cérébral à des niveaux variables: animaux mésencéphaliques ou pontiques chroniques. Enfin, des expériences de contrôle furent réalisées chez des animaux chez qui le cervelet fut enlevé totalement.

A. - Chez le chat endormi

(fig. 2 et 3)

On peut distinguer deux stades électriques bien différents:

1 - Endormissement et sommeil "lent": ce stade est marqué par l'apparition de fuseaux qui envahissent le cortex, le diencéphale et la formation réticulée mésencéphalique (F. R.). Ensuite le sommeil lent est caractérisé par l'apparition, au niveau du cortex et des structures diencéphalo mésencéphaliques, d'ondes lentes de deux à quatre c/sec., de haut voltage, alors que l'activité hippocampique ventrale présente des pointes très brèves. L'apparition des ondes lentes mésencéphaliques se fait toujours après un certain retard avec l'apparition des ondes lentes corticales.

Au cours de ce stade, l'animal se met en posture de sommeil; les membranes nictitantes viennent recouvrir se pupilles qui sont en myosis. La nuque fléchit jusqu'à ce que repose la tête, tandis que l'activité électrique des muscles de la nuque diminue discrètement. La respiration est régulière ainsi que le rythme cardiaque qui se ralentit par rapport à l'état de veille. Au fur et à mesure de l'invasion de la formation réticulaire par des ondes lentes, le seuil d'éveil par stimulation directe de la formation réticulaire augmente de façon significative (20 à 50 %)

2 - "La phase paradoxale" (P. P.): Elle fait toujours suite à une phase de sommeil lent et n'apparaît jamais d'emblée après un tracé de veille. Elle débute soudainement et se caractérise par une activité cortico-mésodiencéphalique rapide de bas voltage, identique à celle de l'éveil, alors que les formations rhinencéphaliques dorsales peuvent parfois présenter une activité rythmique lente, identique à celle qui fut décrite au cours de l'éveil à ce niveau. En même temps, apparait, au niveau de la F. R. pontique, une activité de fuseaux de six à huit c./seconde, de haute amplitude, qui apparaît avec l'activité rapide et disparaît avec elle. Cette phase, d'une durée de dix à quinze minutes, s'accompagne immédiatement d'une disparition totale de l'activité E.M.G. des muscles enregistrés. Soit spontanément, soit sous l'influence d'une stimulation extérieure, l'activité électrique corticale peut revenir au stade antérieur du sommeil avec réapparition de fuseaux ou d'ondes lentes, ou bien il peut y avoir réveil de l'animal.

Au cours de cette P. P., la posture de l'animal est celle du sommeil; il n'y a plus aucun tonus musculaire postural et si la tête ou un membre de l'animal sont en surplomb, ils pendent alors, flasques; les membranes nictitantes recouvrent presque entièrement les pupilles qui sont en myosis, tandis que les globes oculaires sont fréquemment animés de brèves secousses rapides de type nystagmiforme, surtout dans le sens latéral.

Il existe, également, des mouvements des vibrisses, plus rarement de brèves secousses des mâchoires et de la queue. Des variations cardio-respiratoires apparaissent constamment au cours de ce stade: le rythme respiratoire devient irrégulier, plus superficiel et plus rapide qu'au cours de la phase d'ondes lentes, tandis que le rythme cardiaque, selon les animaux et selon les P. P. peut subir une accélération nette ou plus souvent, au contraire, se ralentir.

Le seuil d'éveil, en décibels, par une stimulation auditive augmente au cours de ce stade par rapport au stade d'ondes lentes. Il en est de même pour le seuil d'éveil par stimulation directe de la formation réticulée mésencéphalique (élévation de 200 à 300 C). Enfin, on remarque une diminution nette des réponses évoquées corticales et surtout réticulaires, soit par rapport au stade de fuseaux du sommeil, soit par rapport au stade d'éveil accompagné d'une activité rapide identique.

Cette phase, que nous avons retrouvée chez tous les animaux, se répète périodiquement au cours du sommeil comportemental, séparée par des intervalles de vingt à trente minutes (voir fig. 15).

B. - Chez le chat néodécortiqué chronique

(fig. 4):

Cette mutilation provoque un changement net et sur prenant de l'E.E.G. recueilli au niveau des structures sous corticales. Il existe, en effet, une absence permanente de fuseaux ou d'ondes lentes au cours de la survie de l'animal (jusqu'à trois mois). L'activité des formations centrales mésodiencéphaliques présente, de façon continue, une activité rapide et de très bas voltage, quel que soit l'état de vigilance de l'animal. Seul l'enregistrement au niveau de l'hippocampe permet alors de retrouver un stade électrique correspondant au sommeil profond: pointes brèves de haut voltage qui font suite à la période rapide de l'éveil. Par contre, la P. P. se manifeste par les mêmes phénomènes que chez l'animal intact: apparition de fuseaux à 6 c./seconde de haut voltage au niveau de la F. R. pontique, activité rapide rhinencéphalique, tandis que l'activité E.M.G. disparaît et qu'apparaissent des modifications cardio-respiratoires et des mouvements des yeux.

C. - Chez l'aninal chez qui il reste une surface néocortex minime

(le cortex frontal en particulier): on retrouve les deux phases E.E.G. décrites chez l'animal normal.

D. - De même chez l'aninal cérébellectomisé

présente les mêmes caractéristiques E.E.G. et comporte mentaux au cours du sommeil que l'animal normal, et il est surprenant de constater au cours de la P. P. une disparition totale de la rigidité de type alpha qui fait suite à une telle opération.

E. - Aninal mésencéphalique chronique

(fig. 5 et 6):

L'activité électrique des formations corticales et diencéphaliques situées en avant de la section présente continuelle ment l'aspect classique décrit au niveau du cerveau isolé (Bremer, 1935), c'est-à-dire un mélange de fuseaux et d'ondes lentes continues, encore que de brèves phases d'activation apparaissent au niveau du cortex lors de stimulations olfactives.

En arrière de la section par contre, l'activité mésencéphalique reste constamment rapide et de bas voltage et les ondes lentes n'y apparaissent plus; seule peut s'objectiver la P. P.: apparition périodique de fuseaux au niveau de la E. R. pontique et disparition totale de l'activité E.M.G. de la nuque, d'autant plus remarquable que l'activité musculaire est augmentée lors de la veille (hypertonie de décérébration). Chez les préparations sectionnées à la limite antérieure du mésencéphale, les mouvements des yeux sont moins nets que chez les préparations décortiqués ou normales. Par contre, après une section à la partie moyenne du mésencéphale, il n'existe plus de mouvements des yeux au cours de la P. P.

Cependant chez toutes ces préparations, on remarque d'importantes variations cardio-respiratoires: accélération de la respiration et ralentissement du rythme cardiaque au cours de la phase paradoxale. Enfin, la durée de ces phases est analogue à celle présentée par l'animal intact: dix à quinze minutes; leur intervalle est, par contre, plus long (quarante à soixante minutes).

F. - Aninal pontique

Chez une préparation sectionnée selon un plan incliné à la partie antérieure du pont (préparation rostro-pontique), les phénomènes identiques à ceux de l'animal mésencéphalique s'observent. Par contre, chez les chats sectionnés au milieu du pont et en avant de l'arrivée du trijumeau (medio pontine pretrigeminal preparation, M. P. P.) (Batini et collaborateurs, 1958), deux phénomènes très particuliers apparaissent: en arrière de la section, il n'existe plus aucune variation périodique de l'activité musculaire, cardiaque ou respiratoire, analogue à celle présentée par l'animal mésencéphalique. Une activité E.M.G. persiste constamment au cours de la survie de l'animal (jusqu'à dix jours). En avant de la section par contre, l'activité corticale est très fréquemment rapide, comme l'ont montré les observations de l'école de Moruzzi (1958). L étude attentive des mouvements des yeux (sous la dépendance du III et du IV, situés en avant de la section) montre qu'il existe des stades d'activité corticale rapide au cours desquels l'animal peut suivre de façon verticale un objet mouvant, tandis qu'il existe d'autres stades d'activité rapide au cours desquels il ne suit plus un objet mais où ses yeux sont animés de mouvements spontanés, verticaux également, et que nous interprétons comme traduisant une activité rapide de sommeil. Il nous a été possible, en effet, au cours de ces périodes, de "réveiller" la partie rostrale de l'encéphale par une stimulation olfactive et de voir réapparaître des mouvements de fixation des globes oculaires, sans que l'activité électrique cérébrale ait changé.

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