Le rêve
Michel Jouvet
La Recherche
TABLE DES MATIERES
Sommaire
Un troisième état de vigilance
Les frontières objectives du rêve
A la recherche d'un "centre" du rêve
La régulation biochimique du cycle veille-sommeil
Trois clés pour le rêve dans la théorie monoaminergique
Un orage cérébral
L'histoire naturelle du rêve
Les fonctions du rêve
Le rêve, programmation génétique des instincts ?
Rêve et plasticité
La privation de rêve
Pour en savoir plus
FIGURES

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Un troisième état de vigilance

Les enregistrements continus au cours du sommeil nocturne révélèrent alors une notion nouvelle : l'apparition du rêve n'est pas aléatoire mais périodique. Chez l'homme, il survient environ toutes les 90 minutes au cours du sommeil et dure chaque fois 15 à 20 minutes. Cependant, pour l'école de Chicago, le rêve restait encore un sommeil léger, périodique, intermédiaire entre la veille et le sommeil profond. Il fut ainsi assimilé à la période d'endormissement (stade 1) d'où le nom d "emergent stage one " qui lui fut donné. En fait, c'est l'expérimentation animale qui devait permettre de placer le rêve à sa véritable place dans le cycle veille-sommeil.

Dès 1937, Klaue avait ouvert la voie en décrivant, chez le chat porteur d'électrodes chroniquement implantées, le "sommeil léger" avec ondes lentes et le sommeil profond (tiefen Schlaf) avec activité corticale rapide. Ces travaux trop précoces furent oubliés. En 1958, Dement décrivait chez le chat un stade intermédiaire entre l'éveil et le sommeil qu'il nomma "sommeil activé", caractérisé, comme le rêve chez l'homme, par une activité corticale rapide et des mouvements oculaires. A cette époque, avec François Michel, nous étudiions à Lyon des chats dont nous avions enlevé le cortex cérébral; ces "préparations décortiquées", que nous gardions en vie plusieurs semaines, nous permettaient d'explorer l'activité nerveuse sous-corticale au niveau mésencéphale. A notre surprise, cette activité demeurait parfaitement monotone, sans l'habituelle alternance d'ondes lentes et d'activité rapide que l'on enregistre au niveau du cortex. Aussi, afin de disposer de critères objectifs pour déterminer le passage de l'animal de l'état de veille à celui de sommeil, nous décidâmes d'implanter des électrodes permanentes dans les muscles de la nuque, et d'enregistrer également la formation réticulée pontique, qui se trouve juste en dessous du mésencéphale. Au cours d'enregistrements de longue durée, nous eûmes la surprise de voir apparaître régulièrement des périodes de 6 minutes environ au cours desquelles toute activité musculaire dis paraissait. Cette atonie totale était accompagnée d'une activité électrique de "pointes" de haut voltage apparais sant au niveau de la formatlon réticulée pontique. La polygraphie nous révéla rapidement que l'apparition de cette activité électrique intermittente était liée à celle des mouvements oculaires et que, chez l'animal intact endormi, la disparition totale du tonus musculaire s'accompagnait d'une activité corticale rapide. N'était-il pas paradoxal de trouver des ondes corticales rapides, typiques de l'état d'éveil, associées à un sommeil profond si l'on en jugeait par la relaxation musculaire totale et l'élévation considérable de l'intensité des stimulations nécessaires pour réveiller le dormeur ? Au vu de ces singularités, nous avons proposé d'appeler cet état "phase paradoxale du sommeil" ou "sommeil paradoxal" et de le considérer comme un troisième état de vigilance, aussi différent du sommeil que ce dernier est différent de l'éveil. Comme nous le verrons, la phénoménologie n'est pas seule à suggérer l'existence de trois états de vigilance distincts: éveil, sommeil et rêve. Les données de la neurophysiologie, de la neurochimie, de l'ontogénèse et de la phylogénèse corroborent cette théorie. Elle n'est d'ailleurs pas nouvelle puisqu'elle avait déjà été exprimée il y a deux mille ans dans la mythologie indienne, les Upanishads !

Les frontières objectives de trois états de vigilance bien distincts ont pu être délimitées grâce au developpement de la polygraphie chez le chat. Il s'agit de l éveil du sommeil lent et du sommeil paradoxal bientôt assimilé au rêve.

Figure 1A
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Figure 1B
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