Le rêve
Michel Jouvet
La Recherche
TABLE DES MATIERES
Sommaire
Un troisième état de vigilance
Les frontières objectives du rêve
A la recherche d'un "centre" du rêve
La régulation biochimique du cycle veille-sommeil
Trois clés pour le rêve dans la théorie monoaminergique
Un orage cérébral
L'histoire naturelle du rêve
Les fonctions du rêve
Le rêve, programmation génétique des instincts ?
Rêve et plasticité
La privation de rêve
Pour en savoir plus
FIGURES

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Rêve et plasticité

Nous avons résumé plus haut le rôle important que jouent les systèmes monoaminergiques dans l'organisation du cycle sommeil-rêve: les neurones catecholaminergiques (et peut-être cholinergiques) étant responsables de la plupart des phénomènes du sommeil paradoxal. Ces systèmes apparaissent particulièrement adaptés à l'établissement ou à la programmation de certaines nouvelles connexions: en effet, au cours de la maturation in utero chez le cobaye, les systèmes sérotoninergiques, puis catécholaminergiques, se différencient histochimiquement quelques jours avant l'apparition du sommeil paradoxal. D'autre part, les systèmes monoaminergiques semblent doués, même chez l'adulte, d'une considérable capacité de régénérescence et de plasticité au point qu'ils semblent se comporter comme des neurones de poïkilothermes. En effet, la section d'un faisceau monoaminergique chez le chat entraîne d'abord une dégénérescence en aval de la lésion. Ensuite, après 8 à 10 jours, il se produit des bourgeonnements (sprouting), et les neurones contournent la lésion et reviennent innerver à nouveau les structures nerveuses situées en aval.

Dans certains cas, enfin, les signaux biochimiques qui attirent les neurones monoaminergiques viennent du système nerveux lui-même: c'est ainsi que la dénervation des noyaux du septum (par section homolatérale du fornix) est suivie par l'apparition de nouvelles terminales noradrénergiques qui semblent prendre la place des terminales degénérées (4).

On peut supposer que ce dernier exemple n'est qu'une caricature (objectivée par les méthodes histochimiques) de ce qui pourrait se passer lors de l'interaction environnement - génome. Dans ce cas, le signal biochimique pourrait être constitué par des modifications synaptiques déclenchées auparavant au cours de l'éveil par un événement épigénétique donné. Ces modifications subiraient l'action "restauratrice" du sommeil et induiraient par chemotaxie l'arrivée de terminales monoaminergiques. L'arrivée de ces nouvelles synapses est la condition obligatoire pour que le nouvel ensemble fonctionnel ainsi réalisé soit soumis à la programmation génétique qui aurait lieu au cours de l'activité onirique.

Finalement, il n'apparaît pas totale ment impossible de vérifier si le répertoire génétique de l'activité onirique peut être modifié par l'environnement.

Il est possible en effet d'élever des chatons dans un isolement sensoriel total sans aucun contact avec leurs congénères. Il est peu probable que ces animaux présentent à l'état de veille un comportement d'agression ou de défense en l'absence de tout stimulus. Si à l'âge adulte, après destruction de la région de la formation réticulée pontique qui commande l'inhibition motrice au cours du sommeil paradoxal, ces animaux présentent des comportements oniriques périodiques stéréotypés de rage ou de défense identiques à des animaux élevés "en société", il deviendra alors fort probable que le rêve est bien l'expression de mécanismes génétiques préprogrammés et immuables et que l'inné l'emporte sur l'acquis. Dans le cas contraire, on sera amené à considérer la possibilité de l'intervention de facteur épigénétique qui pourrait à certaines périodes critiques agir sur le génome. Nous savons que cela est possible avec les hormones puisque l'injection d'hormone mâle au cours de la période post-natale induit chez une rate femelle un comportement sexuel mâle. Pourquoi ne pas admettre que des signaux biochimiques, issus de certains neurones mono-aminergiques puissent également agir, au cours du rêve, sur le génome au niveau des étapes de translation, transcription ou d'activité enzymatique, etc. ?

(4) Katzman et al., Brain Research, 579. 1971

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