Le rêve
Michel Jouvet
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TABLE DES MATIERES
Sommaire
Un troisième état de vigilance
Les frontières objectives du rêve
A la recherche d'un "centre" du rêve
La régulation biochimique du cycle veille-sommeil
Trois clés pour le rêve dans la théorie monoaminergique
Un orage cérébral
L'histoire naturelle du rêve
Les fonctions du rêve
Le rêve, programmation génétique des instincts ?
Rêve et plasticité
La privation de rêve
Pour en savoir plus
FIGURES

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Un orage cérébral

Très schématiquement, les mécanismes du rêve peuvent être décomposés en quatre éléments principaux. Le premier est capItal., car il explique les trois autres. Il est caractérisé par un état d'excitation intense de la majorité des neurones cérébraux, y compris les neurones moteurs. Un tel état d'excitation généralisée d'origine endogène nécessite d'une part l'existence d'un "pace maker" et d'autre part d'un mécanisme de blocage des efférences motrices: Nous rêvons que nous courons mais notre corps reste inerte car il est paralysé. Enfin une telle paralysie ne peut survenir qu'au cours du sommeil.

Le rêve s'accompagne donc d'un état d'excitation centrale très important, un veritable orage cérébral, au cours duquel des enregistrements par micro électrodes démontrent que les cellules nerveuses présentent une excitation analogue à l'état d'éveil le plus intense. Les neurones cérébraux dans leur majorité (70 à 80 %) sont alors soumis au rythme de l'activité PGO qui dépend du "pace maker" situé au niveau de la partie dorso-latérale du tegmentum pontique comprenant le complexe des noyaux locus coeruleus et subcoeruleus riches en neurones catécholaminergiques et cholinergiques. Les neurones moteurs oculaires sont les seuls à déclencher une activité musculaire en réponse à l'activité PGO. Cependant, les neurones moteurs pyramidaux et extrapyramidaux n'échappent pas à l'influence excitatrice de ce "pace maker", comme le démontre l'intense activité unItal.re recueillie au niveau du faisceau pyramidal ou au niveau de certains relais extrapyramidaux comme le noyau rouge. On conçoit alors que deux mécanismes aient été développés au cours de l'évolution pour que l'activité onirique puisse apparaître : un mécanisme de blocage des efférences motrices et l'étape préparatoire du sommeil lent.

Le mécanisme très puissant de blocage des efférences motrices s'exerce au niveau de la voie finale commune (motoneurones spinaux). Ce mécanisme déclenché par la région caudale du complexe des noyaux locus coeruleus et subcoeruleus commande ainsi l'atonie totale des muscles selon des mécanismes complexes encore mal élucidés. Ainsi l'activation même la plus intense des neurones pyramidaux ou extrapyramidaux ne peut entraîner de mouvement (mis à part les mouvements oculaires et quelques décharges phasiques des muscles distaux) et ne risque pas de déplacer ou de réveiller le rêveur. Les neurones responsables du mécanisme de blocage sont très proches mais cependant distincts des neurones responsables des processus d'excitation interne du cerveau au cours du sommeil paradoxal. Cette disposition permet leur destruction sélective (fig. 6).

Ainsi, si la connaissance et l'analyse du contenu subjectif des rêves des chats nous sont à jamais interdits, il est devenu maintenant possible de démasquer et d'étudier objectivement le comportement "onirique" d'un chat. En effet, si l'on supprime sélectivement le mécanisme d'inhibition active qui s'exerce sur les efférences motrices, par des lésions électrolytiques de la région caudale du complexe des noyaux locus c&brkbar;ruleus, rien n'empêche plus alors l'extériorisation motrice du rêve. On assiste alors, périodiquement au cours du sommeil, à des épisodes spectaculaires. Les chats présentent pendant quelques minutes des comportements de type hallucinatoire. Ils chassent des souris ou se défendent contre des prédateurs imaginaires. Rage, agression, défense, tel est le répertoire onirique habituel du chat. Il ne peut s'agir d'éveil car les signes oculaires (myosis intense et rétraction des membranes nictitantes) sont pathognomoniques du sommeil profond ou du sommeil paradoxal. En outre, les animaux ne réagissent pas aux stimuli visuels ou auditifs qui leur sont présentés. Enfin ces épisodes sont supprimés par les mêmes drogues qui suppriment le sommeil paradoxal (comme les inhibiteurs des monoaminoxydases). Ces comportements stéréotypés d'une durée de 5 à 6 minutes se terminent en général par un éveil brusque, caractérisé par une subite dilatation pupillaire, et le retour secondaire au calme de l'animal, qui se rendort. Si l'on admet que ces comportements représentent l'expression motrice de l'excitation des systèmes pyramidaux et extrapyramidaux par le "pace maker" pontique, on doit penser que cette stimulation endogène ne met pas en jeu au hasard des circuits neuroniques et que cette excitation traduit donc l'expression d'un programme, d'un projet sinon d'un instinct.

Figure 6A
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Figure 6B
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Figure 6C
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Figure 6D
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Figure 6E
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