Eveil, sommeil, rêve
Michel Jouvet
Le courrier du CNRS
TABLE DES MATIERES

Sommaire

L'éveil et ses degrés

Le sommeil

Le sommeil paradoxal

Mécanismes du sommeil paradoxal

Horloge biologique et cycle éveil-sommeil-rêve

Les fonctions des états de vigilance

FIGURES

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Le sommeil

Diminution réversible naturelle et périodique de la perceptivité du milieu extérieur avec conservation d'une réactivité et conservation des fonctions végétatives. Cette vieille définition reste valable car elle permet de distinguer le sommeil du coma: un bruit violent réveille un dormeur mais pas un comateux. Depuis vingt ans, grâce à la polygraphie, la neurochimie et la polarographie, des progrès considérables ont été accomplis dans la connaissance du sommeil. Nous savons ainsi que le sommeil n'est pas un processus homogène, mais qu'il s'agit de la juxtaposition périodique de deux états: le sommeil proprement dit et le sommeil paradoxal (qui correspond au rêve et que nous étudierons plus loin).

Chez l'homme, les différents stades du sommeil, selon la "profondeur", c'est-à-dire l'intensité d'un stimulus capable de réveiller un dormeur, s'enchaînent dans le temps, depuis le stade I ou sommeil léger de l'endormissement, jusqu'aux stades II, III et IV caractérisés par le ralentissement de la fréquence de l'activité électrique cérébrale d'où le terme de "sommeil lent". Le sommeil s'accompagne de concommitants végétatifs; par exemple, la tension artérielle et le rythme cardiaque diminuent ainsi que la température centrale; la respiration également qui peut s'accompagner de ronflements. Les modifications respiratoires du sommeil sont parfois dramatiques chez le nourrisson puisque les commandes végétatives des centres respiratoires peuvent alors se dérégler (mort subite du nourrisson). On sait également que les stades III et IV du sommeil commandent la sécrétion d'hormones de croissance. Ce phénomène est important chez l'enfant puisqu'on a pu mettre sur le compte d'un mauvais sommeil dû à des conditions socio-économiques mauvaises (bruit, promiscuité) certains retards de croissance qui cèdent si l'enfant peut dormir correctement.

Le sommeil n'est pas la conséquence d'un repos passif du système d'éveil mais il est provoqué par l'intervention d'un mécanisme actif. L'activité des neurones corticaux ne s'arrête pas au cours du sommeil mais subit des modifications particulières (synchronisation) que l'on a pu interpréter comme la mise en marche de circuits empêchant l'intégration des signaux du monde extérieur. Les mécanismes de l'endormissement et du sommeil ne sont sans doute pas univoques. On s'endort au cours d'une conférence ennuyeuse, après un bon repas ou si l'on reste trop longtemps éveillé. Deux théories complémentaires expliquent actuellement de nombreux faits, mais pas tous. Selon la première, qui remonte à Piéron, il y aurait accumulation dans le liquide céphalo-rachidien, au cours de l'éveil, de substances hypnogènes (appelées au début hypnotoxines). On pense actuellement qu'il pourrait s'agir de peptides d'origine hypothalamique qui pourraient inhiber les neurones du système d'éveil (l'injection du liquide céphalo-rachidien d'un animal donneur, privé de sommeil, dans le système ventriculaire d'un animal receveur peut augmenter la profondeur et la durée de son sommeil). Un neuromédiateur libéré au cours de l'éveil, la sérotonine, synthétisée par des cellules situées sur la ligne médiane du tronc cérébral (le système du Raphé) serait responsable du sommeil. La destruction des cellules qui synthétisent la sérotonine au niveau du système du Raphé entraîne, en effet, une insomnie de très longue durée (plusieurs jours). D'autre part, le blocage de la synthèse de la sérotonine entraîne aussi une insomnie - qui peut être réversible en sommeil physiologique si l'on injecte le précurseur immédiat de la sérotonine. Il est possible que la sérotonine agisse comme une véritable hormone cérébrale. En pénétrant dans certains neurones, elle déclencherait la synthèse de peptide hypnogène. L'action endormante du précurseur de la sérotonine peut, en effet, être supprimée par blocage de la synthèse des protéines. L'incertitude concernant les mécanismes du sommeil empêche la réalisation de véritables drogues hypnogènes physiologiques. Alors que l'homme a su trouver dans la nature des produits augmentant l'éveil, il n'a pas encore trouvé de molécules hypnogènes naturelles. Les opiacés et leurs dérivés ne sont pas de véritables hypnotiques. Les barbituriques entraînent le sommeil en déprimant l'activité du système d'éveil, mais leur excès entraîne une narcose ou un coma. Les benzodiazépines sont moins dangereuses, mais ont l'inconvénient de diminuer le rêve.

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