Eveil, sommeil, rêve
Michel Jouvet
Le courrier du CNRS
TABLE DES MATIERES

Sommaire

L'éveil et ses degrés

Le sommeil

Le sommeil paradoxal

Mécanismes du sommeil paradoxal

Horloge biologique et cycle éveil-sommeil-rêve

Les fonctions des états de vigilance

FIGURES

IMPRESSION
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Le sommeil paradoxal

La dualité des états du sommeil avait été déjà devinée par les mystiques Hindous qui opposaient au sommeil sans rêve (Prajna), l'éveil intérieur du rêve (Taijasa). Cependant, l'activité onirique ne fait son entrée en physiologie comme troisième état du cerveau il y a une vingtaine d'années seulement. Comme le montre l'enregistrement polygraphique du sommeil (hypnogramme), 4 à 5 périodes de sommeil paradoxal, d'une durée de 15 à 20 minutes (soit environ 100 minutes, soit 20 % de la durée totale du sommeil), surviennent chaque nuit. Elles sont caractérisées par une accélération du tracé cortical (qui redevient similaire au stade I de l'endormissement). En fait, il ne s'agit pas du retour du stade I de sommeil léger, car le sommeil paradoxal est aussi "profond" que les stades III et IV. D'autre part, une constellation de signes périphériques vient affirmer qu'il s'agit d'un autre état: apparition de mouvements oculaires rapides, qui contrastent avec l'atonie musculaire totale (ce qui explique l'absence de réflexes tendineux à ce moment, ou la chute brusque de la tête d'un individu qui dort assis). La respiration devient irrégulière, la tension artérielle subit des variations brusques (qui peuvent expliquer les accidents vasculaires, ramolissements. ou infarctus survenant au cours du sommeil). Il existe enfin une érection, manifestation végétative dont le contenu sexuel est peu probable puisqu'on l'observe aussi bien chez le nouveau-né que chez le vieillard. Réveillé au cours d'une période de mouvements oculaires, le dormeur racontera en détail des souvenirs de rêve, alors que réveillé à d'autres moments du sommeil, ces souvenirs sont soit absents,soit plus estompés et surtout ont perdu le caractère fantastique de l'imagerie onirique.

La découverte de ce troisième état du cerveau qu'est le rêve ou sommeil paradoxal chez l'homme et les mammifères a plongé les neurophysiologistes dans un grand étonnement. L'alternance veille-sommeil peut s'expliquer naturellement, mais pourquoi un troisième état qui semble traduire un besoin ? En effet, si l'on supprime le rêve (en réveillant un dormeur au début du sommeil paradoxal), celui-ci tend à revenir de plus en plus souvent. Il existe aussi, après cessation des privations pharmacologiques de rêve (par exemple avec les hypnotiques ou les inhibiteurs des monoamines-oxydases) une augmentation considérable du sommeil paradoxal qui peut alors survenir directement au cours de l'éveil. Ce qui se traduit par la narcolepsie (ou maladie de Gélineau) avec effondrement cataplectique (perte subite du tonus musculaire et brève période d'activité onirique).

L'exploration du sommeil paradoxal (ce nouveau continent du cerveau) est loin d'être terminée, mais la moisson de résultats obtenus depuis vingt ans peut être résumée ainsi: il semble que le sommeil paradoxal apparaisse au cours de l'évolution avec l'acquisition de l'homéothermie (c'est-à-dire avec les oiseaux et les mammifères) Il n'a pas été possible, en effet, de déceler le sommeil paradoxal chez les poissons, les amphibiens ou les reptiles, qui sont des Poïkilothermes. Le sommeil paradoxal est donc une "acquisition phylogénétique" relativement récente. En revanche, c'est un phénomène ontogénétiquement précoce. L'étude des embryons d'oiseaux in ovo, des foetus in utero semble bien montrer que le sommeil paradoxal constitue la majeure partie, sinon la totalité du sommeil au cours de la maturation du système nerveux. Il existe ensuite, après le sevrage, des différences considérables entre les différentes espèces qui peuvent être expliquées en partie par des considérations éco-éthologiques. Le sommeil paradoxal dépend étroitement du sommeil profond qui le précède.

Le facteur "sécurité" joue alors un grand rôle (l'insécurité entretenant les mécanismes de l'éveil et empêchant le sommeil) ainsi que les conditions de vie. L'herbivore doit passer beaucoup de temps éveillé pour absorber une nourriture peu énergétique, ce qui n'est pas le cas des carnivores. Ainsi, la durée quotidienne du sommeil paradoxal, qui n'est que de 10 à 15 minutes chez la vache, atteint 180 à 200 minutes chez le chat domestique.

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