L'histoire naturelle du rêve
Conférence de Michel Jouvet
TABLE DES MATIERES

Théorie métaphysique du rêve

Les théories psychologiques
Structure temporelle du rêve
Support neurobiologique
Le rêve dans le cycle veille-sommeil
Phylogénèse du rêve
Ontogénèse du rêve
Mécanismes du rêve
Le comportement onirique
Les systèmes permissifs
Fonctions du rêve

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Fonctions du Rêve

Il existe donc encore beaucoup de questions sans réponse (et beaucoup de travail pour les médecins qui essaient de comprendre les nombreux troubles du cycle éveil-sommeil-rêve) (fig. 31, fig. 32) et pour les neurobiologistes. Cependant nous ne pouvons pas encore trouver une fonction (ou des fonctions) au rêve à partir de ces mécanismes que nous venons de résumer trop brièvement. Il existe sans doute autant de théories (ou d'hypothèses neurobiologiques) concernant les fonctions du rêve qu'il y a de chercheurs dans ce domaine : rêve sentinelle, allégeant périodiquement le sommeil pour permettre la survie en milieu hostile, rêve transformant la mémoire à court terme en mémoire à long terme, rêve facilitant (ou inhibant) les transferts entre hémisphère droit et gauche, rêve épiphénoméne sans intérêt (comme les fantasmes de la vie éveillée), rêve obligatoire pour effacer les informations sans intérêt (rêve oubli)... C'est sans doute pour avouer mon ignorance que je vous propose brièvement une hypothèse personnel le non réfutable - et donc encore non scientifique.

Il nous faut alors revenir à l'activité PGO issue du pace-maker pontique qui est, je le crois, la clé du mystère du rêve, car c'est elle qui est très probablement responsable du comportement onirique. Cette activité PGO est-elle en relation avec des événements reçus auparavant, ou est-elle indépendante de l'histoire de l'individu ? Un début de réponse nous est apporté par la génétique, sur la seule espèce rêveuse chez qui il soit possible de faire des expériences de génétique, c'est-à-dire la souris. Il semble en effet que le message délivré par le générateur du rêve soit soumis à un déterminisme génétique, chaque souche de souris ayant un code (pattern) différent (fig. 33). Plus récemment, des expériences faites sur des jumeaux monozygotes humains ont montré la similarité de l'organisation des mouvements oculaires par rapport à des jumeaux hétérozygotes. C'est donc la mémoire génétique de chaque individu qui semble s'exprimer au cours du rêve.

Nous pénétrons sans doute au coeur du problème - champ clos de querelles idéologiques - celui de l'inné et de l'acquis, et la question peut alors être posée : si le rêve apparaît être une programmation du cerveau soumis à un contrôle génétique, ne serait-il pas responsable, chez l'animal, des variations interindividuelles des comportements instinctifs et chez l'homme, de cette part innée ou héréditaire de notre personnalité ? Celle qui ne se laisse pas, ou peu, influencer par le milieu, la culture ou l'apprentissage, l' hérédité psychologique. Des exemples spectaculaires de cette hérédité psychologique ont été publiés récemment par Bouchard à l'Université du Colorado, à la suite d'études des profils psychologiques de paires de vrais jumeaux ayant été séparés dés la naissance et élevés dans des milieux différents.

"Homo fit non nascitur" disaient les environnementalistes depuis Locke. Homo nascilur non fit leur répondaient les nativistes ou innéistes. Il faudrait plutôt leur répondre : l'homme est rêvé. C'est le rêve qui fait chacun d'entre nous différent, puisque c'est à ce moment-là qu'une programmation itérative vient effacer les traces de tel ou tel apprentissage, ou au contraire les renforcer, si elles sont en accord avec la programmation génétique du rêve (car les neurones des homéothermes ne se divisent plus, contrairement à ceux des poïkilothermes). Il n'existe donc pas au niveau du cerveau de système permettant, grâce à l'ADN, la conservation des traits héréditaires que l'on observe au niveau des autres organes, comme le nez des Bourbons par exemple.

Programme génétique, donc sélectionné au cours d'une évolution épiméthéenne pour qu'il existe au sein d'une population de souris par exemple, un polymorphisme suffisamment important d'individus agressifs ou peureux, lents ou rapides pour apprendre, inhibés ou non par l'émotion. Ainsi, un certain nombre d'individus survivront, les peureux ou les agressifs, selon les circonstances de la sélection naturelle. Avons-nous le droit d'extrapoler et parler de potentialité héréditaire pour être timide ou agressif , musicien ou mathématicien, si les conditions du milieu le permettent, ou tout au moins ne l'empêchent pas ?

Gardien et programmateur périodique de la part héréditaire de notre personnalité, il est possible que chez l'homme, le rêve joue également un rôle prométhéen moins conservateur. En effet, grâce aux extraordinaires possibilités de liaisons qui s'effectuent dans le cerveau au moment où les circuits de base de notre personnalité sont programmés, pourrait alors s'installer un jeu combinatoire varié à l'infini - utilisant les événements acquis - et donnant naissance aux inventions des rêves, ou préparant de nouvel les structures de pensée qui permettront d'appréhender de nouveaux problèmes.

0n conçoit alors l'importance des 100 minutes de rêve qui surviennent périodiquement chaque nuit, lorsque notre température centrale est la plus basse. Ces 100 minutes de rêve, dont nous ne pouvons ni déclencher le début, ni contrôler le contenu, jouent certainement un rôle capItal. dans les premières années de notre vie. Elles continuent à programmer itérativement sans doute les réactions les plus subtiles de notre conscience éveillée.

L'intuition géniale d'un poète l'avait déjà perçu : "Je est un autre"

L'activité onirique peut subir des variations considérables dans diverses affections

L'activité onirique peut subir des variations considérables dans diverses affections. Ces hypnogrammes représentent 5 enregistrements caractéristiques de 24h choisis parmi les 3000 effectués à l'HôpItal. Neurologique de Lyon.

De haut en bas:

  1. Insomnie totale provoquée par une atteinte virale du système nerveux. Une seule période de sommeil paradoxal est observé chez un malade atteint d'une affection dégénérative du tronc cérébral.Il n'y a que quelques minutes de sommeil lent léger.
  2. Sujet normal: le cycle entier de sommeil qui survient à l'heure de la sieste n'est pas pathologique chez un sujet jeune qui s'est levé tôt et qui s'ennuie.
  3. Rebond majeur de sommeil paradoxal (plus de 350 min). Ce sujet avait reçu pendant plusieurs semaines un traitement avec des innhibiteurs des monoamineoxydases qui avait supprimé complètement les périodes de rêve. Après arrêt du traitement, il apparaît une augmentation considérable des rêves avec cauchemars appelé Rebond, si bien que la proportion de rêves quadruple au cours du sommeil qui a persisté pendant 24h sans interruption.
  4. narcolepsie: les attaques de cataplexie (sommeil paradoxal) surviennent directement au cours de l'éveil pendant la journée. Comme cela est fréquent dans cette affection, le sommeil nocturne est de mauvaise qualité, sans stade de sommeil lent profond(3-4-) et haché de très nombreux éveils.

La ligne supérieure indique l'état du tonus musculaire (qui disparait pendant le rêve)

Temps en heures

La ligne horizontale inférieure signale la période d'obscurité.

En abscisse : les stades du sommeil à ondes lentes (1-2-3-4) et le sommeil paradoxal (SP).

Le diagnostic des différents troubles du sommeil

Le diagnostic des différents troubles du sommeil et de leur retentissement sur la vigilance diurne ne nécessite pas obligatoirement des enregistrements polygraphiques du sommeil (qui sont coûteux). La tenue quotidienne d'un agenda de sommeil permet de foumir des informations très précieuses. Sur cet agenda de sommeil ont été schématisés quelques exemples typiques. Les taches noires représentent le sommeil; les ronds blancs, les baillements avec envie de dormir, les ronds noirs, les endormissements diurnes, les flèches, les accès de cataplexie.

A: Insomnie d'endormissement (la plus fréquente).

B: Insomnie de la deuxième moitié de la nuit (qui suit souvent un rêve).

C: narcolepsie - mauvais sommeil, cataplexie, et accès de sommeil invincible surtout avant ou après le repas de midi.

D: Fausse insomnie (hypnagnosie). Ces patients ne croient pas dormir mais l'absence de troubles de la vigilance diurne révèle que leur sommeil est normal (comme en témoignent les enregistrements polygraphiques de contrôle).

E: Certains sujets doivent dormir plus de 9h ou 10h. Les conditions socio-professionnelles les obligent à se lever tôt. Ils auraient ainsi une dette de sommeil avec baisse de la vigilance diurne, et récupèrent leur sommeil au cours du week-end.

F: Désynchronisation entre l'horloge biologique veille-sommeil et les synchroniseurs sociaux. Les sujets s'endorment 30-90 min plus tard chaque soir et sont obligés de se réveiller au milieu de leur programme de sommeil. Ce type d'insomnie peut s'observer chez des sujets ayant effectué souvent des vols transatlantiques.

Remarquer la période d'endormissement qui survient chez presque tous les sujets vers 21h. Elle survient lorsque les sujets regardent la télévision. De nouvelles molécules (dites Eugrégoriques), trouvées en France, permettent d'améliorer la vigilance sans avoir les inconvénients des amphétamines.

Les mouvements oculaires au cours du sommeil paradoxal

Les mouvements oculaires au cours du sommeil paradoxal ont des aspects différents chez des souches de souris différentes. Le croisement des souris et le croisement en retour de la progéniture avec les parents permet de démont facteur génétique dans l'organisation des mouvements oculaires.

D'après Valatx et al.

BIBLIOGRAPHIE
  • M. Jouvet., Le Rêve, La Recherche, 1974, 46 : 515-527.
  • M. Jouvet., Le comportement onirique, Pour la Science, 1979, 25 : 136-152.
  • M. Jouvet., Programmation génétique itérative et sommeil paradoxal., Confrontations psychiatriques 1986, 27 : 153-181
  • W.C. Dement., Dormir, rêver, Éditions du Seuil, Paris,1981.
  • O. Benoit., Physiologie du sommeil , Masson, Paris, 1984.

GLOSSAIRE
  • Activité ponto-géniculo-occipItale : (PGO) Activité spécifique du sommeil chez l'animal responsable des mouvements oculaires rapides. Elle n'a pu être enregistrée que très indirectement chez l'homme au moyen d'électrodes placées au niveau de la région occipItal.e.
  • Cataplexie : Affection caractérisée par la perte soudaine du tonus sous l'influence d'une émotion. Elle accompagne la narcolepsie.
  • Entoptiques (images) : Sensations lumineuses nées dans la rétine.
  • Homéotherme : Se dit des animaux improprement appelés à sang chaud dont la température est constante et indépendante de celle du milieu ambiant.
  • Hypnagogiques (images) : Images qui surviennent à l'endormissement.
  • Hypnogramme : Représentation en deux dimensions du déroulement d'une nuit de sommeil en mettant en ordonnée les différents stades du sommeil et en abscisse le temps.
  • Hypnopompiques (images) : Images se produisant au réveil.
  • Hypnotoxines : Toxines qui seraient responsables du sommeil.
  • Métapsychologie : Description d'un processus psychique dans ses différentes relations dynamiques, topiques et économiques. Terme créé par Freud.
  • Narcolepsie : Exagération pathologique du besoin de dormir.
  • Poïkilothermes : Se dit des animaux improprement appelés à sang froid et dont la température subit les mêmes variations que celles du milieu ambiant.
  • Sommeil à ondes lentes : Stade du sommeil qui s'accompagne d'ondes corticales de grande amplitude et de la conservation du tonus musculaire.
  • Sommeil paradoxal : État du sommeil qui se caractérise par une activité électrique similaire à l'éveil, des mouvements oculaires rapides et la disparition totale du tonus musculaire.