Structures et mécanismes responsables du cycle veille sommeil
Michel Jouvet
Encyclopedia Universalis
TABLE DES MATIERES
Structures et mécanismes responsables de l'éveil
L'encéphalite épidémique et Von Economo
La théorie réticulaire de l'éveil (1949)
Les systèmes d'éveil.
Système noradrénergique
Système à histamine
Le réseau exécutif de l'éveil
Structures et mécanismes responsables du sommeil orthodoxe
Du sommeil passif au sommeil actif
La théorie sérotoninergique du sommeil
Le système exécutif du sommeil lent
Théorie peptidergique du sommeil
Structures et mécanismes du sommeil paradoxal
Le réseau exécutif du sommeil paradoxal
Etat actuel des connaissances sur la régulation du cycle eveil-sommeil-rêve
Répartition circadienne
Répartition ultradienne du sommeil paradoxal
Les fonctions du sommeil et du rêve
Les fonctions du sommeil paradoxal
Tableau
FIGURES

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Structures et mécanismes responsables du sommeil orthodoxe

La théorie sérotoninergique du sommeil

Du neurotransmetteur synchronique hypnogène au processus homéostasique diachronique

La destruction du système du raphé, qui contient la majorité des neurones à 5HT, est suivie d'une insomnie totale de longue durée (10-15 jours) chez l'animal. Cette insomnie est corrélée avec la diminution de la 5HT cérébrale (due à la dégénérescence des voies sérotoninergiques). D'autre part, l'inhibition de la synthèse de la 5HT, grâce à la p-chlorophénylalanine qui inhibe la tryptophane hydroxylase (première étape de la synthèse de la 5HT), entraîne également une insomnie et une diminution de la sérotonine cérébrale. Cependant, une injection secondaire de 5-hydroxytryptophane (le précurseur immédiat de la 5HT) peut restaurer, après une latence d'environ 1 heure, de façon dose dépendante, plusieurs heures de sommeil normal (alternance de sommeil lent et de sommeil paradoxal). Les expériences effectuées dans les années 1970 furent à la base de l'hypothèse sérotoninergique du sommeil selon laquelle la 5HT était responsable du sommeil à ondes lentes (en inhibant le ou les systèmes d'éveil connus à cette époque).

Cependant (voir Tableau), on s'aperçut que l'activité unitaire des neurones à 5HT était maximum pendant l'éveil et le développement de la voltamétrie permit de montrer que la libération de 5HT était plus importante pendant l'éveil que pendant le sommeil. Il était donc impossible que la libération de 5HT fusse responsable synchroniquement de l'apparition du sommeil et la théorie sérotoninergique du sommeil fut alors abandonnée. Elle a ressuscité récemment sous une autre forme où la 5HT joue un rôle diachronique dans l'apparition du sommeil. D'une part, la cible "hypnogène" de la 5HT a été découverte. En effet, chez un animal insomniaque qui a été prétraité à la p-chlorophénylalanine, on savait que l'injection systémique ou intraventriculaire de 5HTP pouvait rétablir le sommeil, mais ces techniques ne permettaient pas de connaître le lieu exact où la 5HT nouvellement synthétisée pouvait rétablir le sommeil. Il fallut alors avoir recours à des micro-injections (de 0,5 à 0,1 ml) de 5HTP dans toutes les structures cérébrales. Les résultats furent d'abord négatifs jusqu'au jour où on s'aperçut que seule l'injection de 5HTP dans la région préoptique (le Schlafzentrum de von Economo) était suivie de la réapparition du sommeil. Il fut ensuite démontré que la lésion des corps cellulaires de cette région entraîne une insomnie de longue durée (semaine). La région préoptique était-elle le "Schlafzentrum" ou un simple relais au niveau duquel la libération de 5HT pouvait entraîner le sommeil ? Et par quel mécanisme ?

Nous avons vu que les systèmes d'éveil sont organisés en réseaux. Il est évident que le sommeil ne peut apparaître que si il existe quelque endroit stratégique ou carrefour situé au sein de ces réseaux, dont l'inhibition peut retentir sur tout le réseau. Il faut donc qu'un message parte de la région préoptique pour aller inhiber les réseaux de l'éveil. La recherche de ces carrefours s'effectua par micro-injection locale d'agonistes du GABA, le neurotransmetteur inhibiteur par excellence.

Pouvait-on encore court-circuiter l'étape hypnogène de la 5HT ? En d'autres termes, peut-on, par micro-injection de muscimol (un puissant GABA agoniste), faire réapparaître le sommeil lent (et/ou le sommeil paradoxal) chez un animal rendu insomniaque, soit par lésion du raphé ou après injection de p-chlorophénylalanine (la piste 5HT), ou après lésion de la région préoptique (c'est-à-dire après suppression de la cible hypnogène) ? Presque toutes les régions de l'encéphale ont à nouveau été explorées et deux endroits stratégiques ont été découverts à ce jour. Le premier est situé dans la région de l'hypothalamus postérieur et le second dans la substance grise périaqueducale. L'injection de faibles doses de muscimol dans ces régions est capable en effet de restaurer de longues périodes de sommeil physiologique .
Les mécanismes de l'endormissement peuvent donc être résumés ainsi : l'éveil provoque sa propre inhibition selon une régulation de type homéostasique et la chaîne d'événements conduisant au sommeil peut être résumée ainsi : pendant l'éveil, les neurones à 5HT du système du raphé rostral présentent des décharges régulières (1 à 2 Hertz), comme une horloge. Tout se passe comme si ce système (qui innerve également l'horloge circadienne endogène - voir plus bas) mesurait la durée et l'intensité de l'éveil. La libération de 5HT au niveau de la région préoptique entraîne, selon un mécanisme d'intégration encore mal connu, la mise en jeu d'un système descendant qui soit directement (voie GABAergique directe entre la région préoptique et l'hypothalamus postérieur), soit par l'intermédiaire d'inter-neurones à GABA, va inhiber le réseau exécutif de l'éveil en agissant au niveau des deux relais GABAceptifs de l'hypothalamus postérieur et de la substance grise périaqueducale. L'inhibition du réseau de l'éveil va alors libérer un système comparable à un pace maker, situé au niveau du thalamus, qui est responsable des phénomènes électriques corticaux du sommeil lent et qui contribue à la perte de conscience du sommeil. Il existe également un autre système responsable de l'endormissement. Ce système qui se projette au niveau de la région préoptique est situé dans le bulbe au niveau du noyau du faisceau solitaire et reçoit des signaux du milieu intérieur transmis par les afférences vago-aortiques. La stimulation du nerf vague ou l'injection in situ de sérotonine dans le noyau du faisceau solitaire peut en effet provoquer le sommeil.

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