Structures et mécanismes responsables du cycle veille sommeil
Michel Jouvet
Encyclopedia Universalis

Structures et mécanismes responsables de l'éveil

L'encéphalite épidémique et Von Economo

Au cours de l'épidémie d'encéphalite qui envahit l'Autriche après la grande guerre en 1918 (la grippe espagnole), certains malades restaient dans un état de léthargie ou de coma, tandis que d'autres ne dormaient pas pendant plusieurs jours avant de mourir.

L'examen de leur cerveau permit à un neurologue viennois, d'origine grecque, Constantin von Economo, de décrire des lésions à des endroits différents selon l'allure clinique de la maladie. Les malades qui restaient comateux présentaient une lésion de l'hypothalamus postérieur ou de la partie haute du mésencéphale, tandis que le cerveau des malades insomniaques présentaient des lésions au niveau de l'hypothalamus antérieur (région préoptique). Von Economo donna le nom de Wachzentrum (centre de l'éveil) à la région de l'hypothalamus postérieur et de Schlafzentrum (centre du sommeil) à la région de l'hypothalamus antérieur. Ainsi, grâce à un neurologue de génie, confronté au hasard des expériences de la nature (une épidémie), l'attention fut attirée pour la première fois sur le rôle du tronc cérébral et de l'hypothalamus dans le contrôle de la veille et du sommeil.

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La théorie réticulaire de l'éveil (1949)

En 1949, H.W. Magoun et G. Moruzzi démontrèrent que l'on pouvait supprimer l'activité rapide corticale d'éveil et entraîner un coma de longue durée chez le chat ou le singe en lésionnant par coagulation la partie centrale du tronc cérébral (formation réticulée mésencéphalique) (donc en détruisant à la fois les corps cellulaires et les voies ascendantes et descendantes). De plus, la stimulation de cette structure provoquait le réveil d'un animal endormi. Enfin, l'enregistrement de l'activité des cellules nerveuses de la formation réticulée révélait que certains neurones recevaient des informations du milieu extérieur (visuelles, auditives, somesthésiques), alors que d'autres pouvaient être excités par des variations du milieu intérieur (anoxie, hypoglycémie, etc...). La formation réticulée mésencéphalique devint bientôt le système réticulé activateur, puis le système réticulé et enfin le système d'éveil. Selon la théorie réticulaire (qui devait connaître son apogée dans le milieu des années 1960), l'éveil cortical (activation du cortex) était sous la dépendance du système réticulaire par l'intermédiaire de 2 systèmes ascendants, soit le réticulo-thalamo-cortical, soit directement réticulo-cortical. Le système d'éveil jouait également un rôle dans l'éveil comportemental car la stimulation de certaines zones du système réticulé pouvait augmenter le tonus musculaire. Enfin, d'autres expériences, plus récentes, démontrèrent que l'activation des neurones réticulaires (augmentation de la fréquence des décharges unitaires) pouvait précéder de quelques minutes l'éveil cortical et comportemental spontané d'un animal. Malgré toutes ces preuves concluantes, démontrant que la formation réticulée mésencéphalique constituait le système d'éveil, cette théorie s'effondra en 1983 lorsque apparu une nouvelle méthode permettant de ne lésionner que les corps cellulaires sans léser les voies nerveuses. L'injection in situ d'acide kaïnique ou iboténique dans le tronc cérébral entraîne en effet une dépolarisation intense des corps cellulaires (hyperexcitation) qui provoque leur mort après quelques heures, tandis que les axones de passage demeurent intacts. Il fut alors démontré, au milieu des années 1980, que la destruction totale des corps cellulaires de la formation réticulée mésencéphalique par micro-injection d'acide kaïnique ou iboténique n'entraînait aucun trouble de l'éveil comportemental, ni aucune altération de l'activation corticale. Il fallut donc bien convenir que le coma qui faisait suite à la destruction par coagulation de la formation réticulée mésencéphalique était dû à l'interruption de voies ascendantes ou descendantes d'autres systèmes ou réseaux responsables de l'éveil.

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Les systèmes d'éveil

Le développement des nouvelles techniques neuro-anatomiques, l'histofluorescence et surtout l'immunohistochimie, ont permis de délimiter de nouveaux systèmes utilisant des neurotransmetteurs différents. Au début de la théorie réticulaire, seule l'acétylcholine était connue comme neurotransmetteur cérébral. En 1964, apparurent les systèmes monoaminergiques (noradrénaline, adrénaline, dopamine, sérotonine). Le système à histamine fut ensuite découvert, ainsi que de nouveaux systèmes cholinergiques. Enfin, des systèmes fonctionnant avec des acides aminés excitateurs (glutamate, aspartate) ou inhibiteurs (glycine, GABA) furent décrits en même temps qu'étaient découverts de nombreux systèmes de neurones peptidergiques. Certains systèmes peuvent même contenir et libérer plusieurs neurotransmetteurs. On admet actuellement qu'il existe une centaine de différents neurotransmetteurs ou neuromodulateurs. On conçoit donc qu'il soit devenu difficile de comprendre comment fonctionne la plupart de ces systèmes qui sont reliés en réseaux.

Les 2 exemples suivants, associant la neuro-anatomie, l'électrophysiologie, la neuropharmacologie, la biochimie, permettent de comprendre comment on peut distinguer la participation active d'un système donné aux mécanismes exécutifs de l'éveil.

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Système noradrénergique

La partie principale de ce système est issue de groupes cellulaires situés dans le pont, au niveau du locus coeruleus. On peut montrer que l'activité unitaire des neurones du locus coeruleus augmente pendant l'éveil et diminue pendant le sommeil, que l'excitation de ces cellules (par des acides aminés excitateurs par exemple) augmente l'éveil, que le blocage de la libération de noradrénaline ou des récepteurs noradrénergiques peut diminuer l'éveil attentif, et enfin que la lésion spécifique du locus coeruleus par des poisons sélectifs entraîne des troubles de l'éveil temporaires. D'autres démarches utilisent la neuropharmacologie. Il est bien connu que l'amphétamine entraîne un éveil avec agitation, or l'inhibition de la synthèse des catécholamines (dopamine - noradrénaline) supprime complètement l'éveil amphétaminique. Cette constatation permet d'admettre que les amphétamines agissent de façon présynaptique (en libérant les catécholamines des terminales). On sait maintenant que les amphétamines agissent surtout en libérant de la dopamine de certains systèmes dopaminergiques (car il est devenu possible de déterminer la libération in situ et in vivo de dopamine grâce à de nouvelles techniques comme la voltamétrie).Cette action des amphétamines sur les systèmes dopaminergiques est responsable des réactions secondaires à l'emploi chronique de ces drogues : la tolérance qui oblige à augmenter les doses pour obtenir le même effet éveillant et la dépendance qui entraîne un "besoin" et des troubles de la vigilance à l'arrêt subit de la prise d'amphétamine. De nouvelles molécules (comme le Modafinil) entraîne un éveil sans agitation, même si la synthèse des catécholamines est inhibée. Le Modafinil n'entraîne ni tolérance ni dépendance. On admet que le Modafinil agit de façon postsynaptique sur les récepteurs a adrénergiques centraux.

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Système à histamine

Récemment découvert, le système à histamine est considéré comme l'un des systèmes les plus importants de l'éveil. Les corps cellulaires à histamine sont tous situés dans l'hypothalamus postérieur et ils se projettent dans tout le cerveau (en particulier au niveau des autres systèmes d'éveil). On peut démontrer le rôle éveillant du système à histamine, soit en enregistrant les corps cellulaires pendant le cycle éveil-sommeil, soit en inactivant les corps cellulaires par injection in situ d'agonistes des récepteurs H3.
L'ensemble de ces expériences a démontré que les systèmes d'éveil étaient disposés en réseaux, c'est-à-dire que l'excitation pharmacologique de l'un est suivie par l' activation de tous. Cette organisation en réseau redondante explique également pourquoi l'inactivation d'un seul système est suivie après quelques jours par une récupération quasi complète de l'éveil. Il existe cependant à certains "noeuds" de ces réseaux, des endroits stratégiques dont l'inactivation peut inhiber tout le réseau (voir plus bas). On admet actuellement que l'organisation des réseaux exécutifs de l'éveil est la suivante :

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Le réseau exécutif de l'éveil

La désynchronisation ou activation tonique des neurones peut être considérée comme la conséquence d'une part, de l'activation directe du télédiencéphale et, d'autre part, du blocage des "pacemakers" produisant les fuseaux et les ondes lentes caractéristiques du sommeil lent (voir plus loin).
Trois groupes de neurones projetant sur le cortex sont suffisants mais non nécessaires au maintien de l'activation de l'activité électrique corticale (encore appelée désynchronisation). On admet actuellement que la prise de conscience au cours de l'éveil dépend ou est accompagnée d'un rythme rapide à 40 Hertz dont le ou les générateurs corticaux font encore l'objet de discussion.

Le système diffus de l'hypothalamus postérieur. Un des maillons de ce système contient le seul groupe de péricaryons synthétisant l'histamine (H)(noyau tubéro- mammillaire). Ces neurones présentent une activité tonique d'éveil, de fréquence lente, diminuant au cours du sommeil. La pharmacologie de l'histamine soutient son rôle important dans l'activation corticale. D'autres neurones non histaminergiques, dont la spécificité histochimique est encore inconnue, sont actifs pendant l'éveil et le sommeil paradoxal. La stimulation électrique de l'hypothalamus postérieur déclenche un éveil hyperactif avec des comportements d'agression. Sa lésion électrolytique entraîne un coma prolongé avec des ondes lentes corticales, alors que cet effet n'est que transitoire après la lésion neurotoxique.

Le système diffus thalamique. Les neurones thalamiques intralaminaires se projettent à l'ensemble du cortex. Un de leurs neurotransmetteurs est un acide aminé excitateur (aspartate/glutamate, Asp/Glu).

Le système du télencéphale basal. Le maillon principal de ce système est constitué de neurones synthétisant l'Ach et/ou le GABA. Ces neurones envoient des projections à tout le cortex et aux noyaux thalamiques. Leur stimulation est éveillante mais leur lésion neurotoxique n'entraîne qu'une diminution très transitoire de l'éveil. Ce système serait lésé par des processus dégénératifs dans la maladie d'Alzheimer, c'est pourquoi des médicaments retardant l'inactivation de l'acétylcholine (en inhibant l'acétylcholinestérase) ont été proposés comme traitement de cette maladie.

Ces trois systèmes sont activés par d'autres systèmes venant du tronc cérébral.

Les noyaux mésopontins cholinergiques dont les neurones se projettent en partie sur le thalamus. L'acétylcholine exerce une double action : une action muscarinique inhibitrice par hyperpolarisation des neurones réticulaires (appartenant au système du sommeil - voir plus bas) et une action nicotinique activatrice par dépolarisation des neurones thalamocorticaux et corticaux.

La formation réticulée mésencéphalique (FRM)(neurones Asp/Glu) se projette massivement sur les noyaux thalamiques. La stimulation de ces neurones déclenche un éveil prolongé. Avec les neurones cholinergiques mésopontins, la FRM forme la voie réticulo-thalamo-corticale. Ainsi, la formation réticulée (l'ancien système d'éveil) est devenue une partie du réseau de l'éveil.

Le noyau réticulé bulbaire magnocellulaire (MC), dont les neurones sont cholinergiques ou Asp/Glu-ergiques, se projette sur la formation réticulée mésencéphalique, l'hypothalamus postérieur et les groupes cholinergiques mésopontins et du télencéphale basal. Cet ensemble forme la voie réticulo-hypothalamo-corticale. La stimulation du noyau magno-cellulaire provoque un éveil intense et prolongé.

Le noyau locus coeruleus pontique contient des neurones noradrénergiques (NA) qui envoient des projections directes vers le cortex, le thalamus et l'hippocampe. Ces neurones sont actifs au cours de l'éveil. L'inhibition de la synthèse de la NA (-MPT) entraîne une synchronisation corticale. Ces neurones reçoivent de nombreuses afférences activatrices et inhibitrices, confirmant leur rôle modulateur de l'éveil.

Le raphé antérieur contient des neurones contenant la 5-hydroxytryptamine (5HT) ou sérotonine. Il se projette vers l'hypothalamus et le cortex. Ces neurones sont actifs pendant l'éveil. Leur stimulation globale est éveillante et, contrairement aux autres groupes aminergiques, leur lésion non seulement n'entraîne pas de somnolence, même passagère, mais provoque une insomnie prolongée de plusieurs jours. Cette contradiction sera expliquée ultérieurement.

L'ensemble de ces structures du tronc cérébral reçoit des collatérales des afférences sensorielles et végétatives qui participent ainsi au maintien de leur activité.

On doit ajouter également à ces réseaux ascendants qui contribuent à l'éveil cortical (donc à la "conscience", à la mémoire et aux différents processus cognitifs), deux autres systèmes qui jouent un rôle majeur dans la régulation de la motricité et du tonus sympathique. Le premier est le système dopaminergique nigrostriatal, unissant la substantia nigra et le striatum (noyau caudé - putamen). La lésion dégénérative des neurones dopaminergiques de la substantia nigra (ou locus niger) est responsable de la maladie de Parkinson. Dans les cas les plus graves, on peut observer une akinésie totale (absence de mouvement ressemblant au coma). L'administration de L DOPA (précurseur de la dopamine) à ces malades peut les sortir de cet état et leur redonner un éveil normal (comme le montre de façon spectaculaire le roman ou le film "l'Eveil" de Oliver Sacks). Le deuxième système est situé au niveau du bulbe et commande le système sympathique : il contient de l'adrénaline et un peptide (NPY). Il est responsable de l'adaptation des réactions végétatives indispensables à l'éveil.

Signalons enfin le rôle "modulateur" de nombreux systèmes peptidergiques qui peuvent faciliter l'intensité de l'éveil. Parmi les plus importants, il faut signaler le corticotrophin releasing factor (CRF) et le système central à arginine vaso-pressine. Il faut enfin signaler que "l'éveil cortical" peut être étudié selon un aspect quantitatif et topographique :l'électroencéphalographie quantitative (analyse de fréquence, intégration de la puissance spectrale) et la magnétoencéphalographie permettent en effet de dessiner des cartes fonctionnelles du cortex cérébral en rapport possible avec des processus cognitifs, selon l'intensité des rythmes rapides. On ne connait pas encore le rôle des différents réseaux de l'éveil sur les processus cognitifs dont l'activation corticale est une condition nécessaire mais non suffisante. Il convient enfin d'insister sur le rôle important qui est joué par l'hippocampe dans les processus de mémorisation. L'activation de l'hippocampe par les réseaux de l'éveil se traduit par une activité régulière à 6-8 Hertz (rythme Thêta).

En résumé, la régulation de l'éveil est un phénomène complexe mettant en jeu des structures multiples et redondantes. Aucune des structures décrites, prise isolément, n'est indispensable à l'activation corticale, de même que la lésion neuronale combinée des deux structures principales (formation réticulée et hypothalamus postérieur). On peut donc dire que la condition nécessaire et suffisante de l'induction et du maintien de l'éveil est l'ensemble des conditions suffisantes qui mènent à l'éveil.

Structures et mécanismes responsables du sommeil orthodoxe

Du sommeil passif au sommeil actif

La découverte du "système d'éveil" au niveau de la formation réticulée mésencéphalique et la théorie réticulaire triomphante éliminait au début toute théorie active du sommeil. Celui-ci était expliqué, en vertu du "Principe d'économie", par une "non activation passive" du système d'éveil selon des processus ad hoc de "désactivation en avalanche". La découverte du sommeil paradoxal obligeait cependant à admettre qu'il existait des processus actifs responsables du sommeil et la démonstration d'insomnie par lésion du système du raphé devait faire abandonner l'hypothèse d'un sommeil passif.

Structures et mécanismes responsables du sommeil orthodoxe

La théorie sérotoninergique du sommeil

Du neurotransmetteur synchronique hypnogène au processus homéostasique diachronique

La destruction du système du raphé, qui contient la majorité des neurones à 5HT, est suivie d'une insomnie totale de longue durée (10-15 jours) chez l'animal. Cette insomnie est corrélée avec la diminution de la 5HT cérébrale (due à la dégénérescence des voies sérotoninergiques). D'autre part, l'inhibition de la synthèse de la 5HT, grâce à la p-chlorophénylalanine qui inhibe la tryptophane hydroxylase (première étape de la synthèse de la 5HT), entraîne également une insomnie et une diminution de la sérotonine cérébrale. Cependant, une injection secondaire de 5-hydroxytryptophane (le précurseur immédiat de la 5HT) peut restaurer, après une latence d'environ 1 heure, de façon dose dépendante, plusieurs heures de sommeil normal (alternance de sommeil lent et de sommeil paradoxal). Les expériences effectuées dans les années 1970 furent à la base de l'hypothèse sérotoninergique du sommeil selon laquelle la 5HT était responsable du sommeil à ondes lentes (en inhibant le ou les systèmes d'éveil connus à cette époque).

Cependant (voir Tableau), on s'aperçut que l'activité unitaire des neurones à 5HT était maximum pendant l'éveil et le développement de la voltamétrie permit de montrer que la libération de 5HT était plus importante pendant l'éveil que pendant le sommeil. Il était donc impossible que la libération de 5HT fusse responsable synchroniquement de l'apparition du sommeil et la théorie sérotoninergique du sommeil fut alors abandonnée. Elle a ressuscité récemment sous une autre forme où la 5HT joue un rôle diachronique dans l'apparition du sommeil. D'une part, la cible "hypnogène" de la 5HT a été découverte. En effet, chez un animal insomniaque qui a été prétraité à la p-chlorophénylalanine, on savait que l'injection systémique ou intraventriculaire de 5HTP pouvait rétablir le sommeil, mais ces techniques ne permettaient pas de connaître le lieu exact où la 5HT nouvellement synthétisée pouvait rétablir le sommeil. Il fallut alors avoir recours à des micro-injections (de 0,5 à 0,1 ml) de 5HTP dans toutes les structures cérébrales. Les résultats furent d'abord négatifs jusqu'au jour où on s'aperçut que seule l'injection de 5HTP dans la région préoptique (le Schlafzentrum de von Economo) était suivie de la réapparition du sommeil. Il fut ensuite démontré que la lésion des corps cellulaires de cette région entraîne une insomnie de longue durée (semaine). La région préoptique était-elle le "Schlafzentrum" ou un simple relais au niveau duquel la libération de 5HT pouvait entraîner le sommeil ? Et par quel mécanisme ?

Nous avons vu que les systèmes d'éveil sont organisés en réseaux. Il est évident que le sommeil ne peut apparaître que si il existe quelque endroit stratégique ou carrefour situé au sein de ces réseaux, dont l'inhibition peut retentir sur tout le réseau. Il faut donc qu'un message parte de la région préoptique pour aller inhiber les réseaux de l'éveil. La recherche de ces carrefours s'effectua par micro-injection locale d'agonistes du GABA, le neurotransmetteur inhibiteur par excellence.

Pouvait-on encore court-circuiter l'étape hypnogène de la 5HT ? En d'autres termes, peut-on, par micro-injection de muscimol (un puissant GABA agoniste), faire réapparaître le sommeil lent (et/ou le sommeil paradoxal) chez un animal rendu insomniaque, soit par lésion du raphé ou après injection de p-chlorophénylalanine (la piste 5HT), ou après lésion de la région préoptique (c'est-à-dire après suppression de la cible hypnogène) ? Presque toutes les régions de l'encéphale ont à nouveau été explorées et deux endroits stratégiques ont été découverts à ce jour. Le premier est situé dans la région de l'hypothalamus postérieur et le second dans la substance grise périaqueducale. L'injection de faibles doses de muscimol dans ces régions est capable en effet de restaurer de longues périodes de sommeil physiologique .
Les mécanismes de l'endormissement peuvent donc être résumés ainsi : l'éveil provoque sa propre inhibition selon une régulation de type homéostasique et la chaîne d'événements conduisant au sommeil peut être résumée ainsi : pendant l'éveil, les neurones à 5HT du système du raphé rostral présentent des décharges régulières (1 à 2 Hertz), comme une horloge. Tout se passe comme si ce système (qui innerve également l'horloge circadienne endogène - voir plus bas) mesurait la durée et l'intensité de l'éveil. La libération de 5HT au niveau de la région préoptique entraîne, selon un mécanisme d'intégration encore mal connu, la mise en jeu d'un système descendant qui soit directement (voie GABAergique directe entre la région préoptique et l'hypothalamus postérieur), soit par l'intermédiaire d'inter-neurones à GABA, va inhiber le réseau exécutif de l'éveil en agissant au niveau des deux relais GABAceptifs de l'hypothalamus postérieur et de la substance grise périaqueducale. L'inhibition du réseau de l'éveil va alors libérer un système comparable à un pace maker, situé au niveau du thalamus, qui est responsable des phénomènes électriques corticaux du sommeil lent et qui contribue à la perte de conscience du sommeil. Il existe également un autre système responsable de l'endormissement. Ce système qui se projette au niveau de la région préoptique est situé dans le bulbe au niveau du noyau du faisceau solitaire et reçoit des signaux du milieu intérieur transmis par les afférences vago-aortiques. La stimulation du nerf vague ou l'injection in situ de sérotonine dans le noyau du faisceau solitaire peut en effet provoquer le sommeil.

Structures et mécanismes responsables du sommeil orthodoxe

Le système exécutif du sommeil lent

Le sommeil lent est seulement défini par les deux critères contenus dans son appellation : l'immobilité et la présence de fuseaux et d'ondes lentes cérébrales. Celles-ci dépendent du noyau réticulaire du thalamus. Ce noyau peut être comparé à un pace maker, car lorsqu'il est isolé de toute afférence, son activité continue à osciller rythmiquement.

Les fuseaux de sommeil sont générés par le noyau réticulaire du thalamus, dont les neurones GABAergiques présentent des décharges de potentiels rythmées à la fréquence des fuseaux. Recevant ces potentiels, les neurones thalamocorticaux présentent des hyperpolarisations cycliques suivies de bouffées de potentiels qui, transmises aux cellules corticales, y génèrent les fuseaux. Les hyperpolarisations cycliques sont à l'origine du blocage des messages sensoriels au début de l'endormissement. Ainsi s'explique la perte de conscience du sommeil.

Les ondes lentes : cette "synchronisation" de l'activité électrique, enregistrée dans de nombreuses structures corticales et sous-corticales, est produite par le néocortex. En effet, la néodécortication totale supprime cette activité lente. Les ondes lentes sont le résultat de la sommation des hyperpolarisations des cellules pyramidales de la couche V induites par des interneurones GABA. Ces hyperpolarisations de longue durée sont dues à un courant potassique sortant calcium dépendant. Ainsi le sommeil à ondes lentes est le résultat d'une part de l'inhibition du réseau de l'éveil et, d'autre part, de la "desinhibition" du pace maker thalamique dont l'activité rythmique empêche le cortex d'effectuer les processus cognitifs qui nécessitent une activité rapide thalamo-corticale comme pendant l'éveil ou le rêve.

Structures et mécanismes responsables du sommeil orthodoxe

Théorie peptidergique du sommeil

Historiquement, cette théorie remonte aux expériences de Piéron (1913). L'injection de liquide céphalo-rachidien d'un chien privé de sommeil pendant 48 heures dans le système ventriculaire d'un chien normal provoque un sommeil profond chez le receveur. Ainsi naquit l'hypothèse que pendant un éveil prolongé (ou la privation de sommeil) devrait s'accumuler un "facteur hypnogène" qui soit responsable du sommeil. Un premier facteur hypnogène, le delta sleep inducing peptide (DSIP) fut isolé chez le lapin. Depuis cette époque, la liste des peptides hypnogènes s'est allongée (voir Tableau). Une théorie récente fait jouer un rôle important aux prostaglandines (PG) la PGD2 étant responsable du sommeil et la PGE2 responsable de l'éveil. Il est évident que le sommeil est soumis à des régulations homéostasiques multiples et que dans certaines infections, par exemple, les cytokines peuvent entraîner une augmentation du sommeil et ainsi contribuer à augmenter les défenses immunitaires mais il n'existe aucune preuve que l'absence d'un peptide (par blocage de sa synthèse) entraîne une insomnie prolongée. A l'heure actuelle, il semble que le GABA puisse constituer un neuromodulateur hypnogène fort convenable. Le problème est d'isoler un phénotype particulier des sous-unités de récepteurs GABA A aux endroits stratégiques des réseaux de l'éveil. On sait d'ailleurs que les benzodiazépines agissent par l'intermédiaire de récepteurs voisins des récepteurs GABA. Cependant, la cascade des événements qui conduisent de l'éveil au sommeil est tellement complexe qu'il est vain d'espérer isoler un jour une substance qui soit nécessaire et suffisante pour provoquer le sommeil. Ainsi, des molécules hypnogènes peuvent fort bien agir en diminuant l'activité des récepteurs aux acides aminés excitateurs ou en régulant l'activité des récepteurs GABAceptifs.

Structures et mécanismes responsables du sommeil paradoxal

Le réseau exécutif du sommeil paradoxal

L'intérêt porté au phénomène du rêve en neurophysiologie remonte aux années 1960. Pendant longtemps, le rêve fut tenu pour une activité permanente de l'esprit restant éveillé, alors que le corps se repose dans le sommeil. Les expériences de A. Maury (1878) démontrèrent qu'il n'était pas un phénomène continu au cours du sommeil ; en effet, le réveil ne s'accompagne que rarement de souvenir de rêve. Pour Maury, le rêve était considéré comme un phénomène épisodique, induit par des stimulations internes ou externes, un état de demi-éveil intermédiaire entre le sommeil profond et l'éveil. Les découvertes de l'école de Chicago (Dement et Kleitman), en révélant l'existence de mouvements oculaires périodiques au cours du sommeil, permirent un abord objectif de l'activité onirique, mais ne changèrent pas radicalement cette conception. Le rêve restait assimilé à un demi-sommeil intermédiaire entre le sommeil profond et l'éveil, d'où la dénomination : emergent stage one. On tend à penser actuellement que l'activité onirique correspond, au contraire, à un état du système nerveux central aussi différent du sommeil que celui-ci diffère de l'éveil ..

La mise en évidence des structures responsables du sommeil paradoxal fut facilitée par l'existence de signes comportementaux et centraux pathognomoniques de cet état : en particulier l'association d'une atonie totale des muscles de la nuque, de mouvements oculaires et de pointes PGO. Des expériences de section étagée du tronc cérébral établirent d'abord que la formation réticulée pontique était suffisante et nécessaire à l'apparition du sommeil paradoxal : le pont est en effet suffisant puisque l'ablation de toutes les structures cérébrales situées en avant du pont, y compris l'hypothalamus et l'hypophyse, laisse persister, chez l'animal pontique chronique, l'apparition périodique de phases de sommeil paradoxal caractérisées par l'abolition totale du tonus des muscles de la nuque et par l'existence de mouvements oculaires latéraux. En revanche, après une section situées en arrière du pont, on n'observe plus l'apparition de période d'atonie périodique. Ainsi, les deux tiers antérieurs du pont semblent contenir les structures déclenchantes du sommeil paradoxal. La formation réticulée pontique est également nécessaire à l'apparition du sommeil paradoxal puisque des lésions bilatérales et symétriques de la partie dorso-latérale du pont peuvent supprimer sélectivement et définitivement le sommeil paradoxal sans entraîner de troubles notables du sommeil lent.

Une fois de plus, c'est l'association de la neuropharmacologie et de l'histochimie qui permit de délimiter de façon précise les "réseaux exécutifs" qui sont mis en jeu au cours du sommeil paradoxal.

Le réseau exécutif du sommeil paradoxal

L'intérêt porté au phénomène du rêve en neurophysiologie remonte aux années 1960. Pendant longtemps, le rêve fut tenu pour une activité permanente de l'esprit restant éveillé, alors que le corps se repose dans le sommeil. Les expériences de A. Maury (1878) démontrèrent qu'il n'était pas un phénomène continu au cours du sommeil ; en effet, le réveil ne s'accompagne que rarement de souvenir de rêve. Pour Maury, le rêve était considéré comme un phénomène épisodique, induit par des stimulations internes ou externes, un état de demi-éveil intermédiaire entre le sommeil profond et l'éveil. Les découvertes de l'école de Chicago (Dement et Kleitman), en révélant l'existence de mouvements oculaires périodiques au cours du sommeil, permirent un abord objectif de l'activité onirique, mais ne changèrent pas radicalement cette conception. Le rêve restait assimilé à un demi-sommeil intermédiaire entre le sommeil profond et l'éveil, d'où la dénomination : emergent stage one. On tend à penser actuellement que l'activité onirique correspond, au contraire, à un état du système nerveux central aussi différent du sommeil que celui-ci diffère de l'éveil ..

La mise en évidence des structures responsables du sommeil paradoxal fut facilitée par l'existence de signes comportementaux et centraux pathognomoniques de cet état : en particulier l'association d'une atonie totale des muscles de la nuque, de mouvements oculaires et de pointes PGO. Des expériences de section étagée du tronc cérébral établirent d'abord que la formation réticulée pontique était suffisante et nécessaire à l'apparition du sommeil paradoxal : le pont est en effet suffisant puisque l'ablation de toutes les structures cérébrales situées en avant du pont, y compris l'hypothalamus et l'hypophyse, laisse persister, chez l'animal pontique chronique, l'apparition périodique de phases de sommeil paradoxal caractérisées par l'abolition totale du tonus des muscles de la nuque et par l'existence de mouvements oculaires latéraux. En revanche, après une section situées en arrière du pont, on n'observe plus l'apparition de période d'atonie périodique. Ainsi, les deux tiers antérieurs du pont semblent contenir les structures déclenchantes du sommeil paradoxal. La formation réticulée pontique est également nécessaire à l'apparition du sommeil paradoxal puisque des lésions bilatérales et symétriques de la partie dorso-latérale du pont peuvent supprimer sélectivement et définitivement le sommeil paradoxal sans entraîner de troubles notables du sommeil lent.

Une fois de plus, c'est l'association de la neuropharmacologie et de l'histochimie qui permit de délimiter de façon précise les "réseaux exécutifs" qui sont mis en jeu au cours du sommeil paradoxal.

Etat actuel des connaissances sur la régulation du cycle éveil-sommeil-rêve

Les structures temporelles du cycle éveil-sommeil-rêve

Répartition circadienne

L'homme est éveillé le jour et dort la nuit. C'est l'inverse pour le rat. Placé dans l'obscurité ou la lumière continue, en l'absence de tout repère temporel, un homme isolé dans une grotte ou un bunker va s'endormir chaque soir à peu près à la même heure. Il existe donc une horloge endogène responsable de l'homéostasie prédictive qui est capable de mesurer à peu près un jour (circa-dies). Cette répartition circadienne du cycle veille-sommeil est sous la dépendance des noyaux suprachiasmatiques. Ces noyaux, pairs et symétriques, reçoivent des informations lumineuses de la rétine. Seulement 0,1 % des cellules de la rétine sont sensibles à un éclairage de l'ordre de 1000 à 2000 lux et envoient des informations au noyau suprachiasmatique. Celui-ci à son tour peut agir sur notre cerveau par l'intermédiaire du "système photique", soit par des voies nerveuses, soit par voie humorale. Le noyau suprachiasmatique peut en effet libérer certains peptides dans le liquide céphalo-rachidien, comme l'arginine vaso-pressine pendant le jour (et donc l'éveil) et du vaso-active intestinal peptide (VIP) pendant la nuit. Ces peptides peuvent faciliter les processus d'éveil et d'endormissement. L'horloge circadienne agit aussi sur la température centrale. Il est possible qu'il existe d'autres horloges circadiennes dans l'organisme. Il convient de noter également que les noyaux suprachiasmatiques sont innervés par le système du raphé et que la sérotonine semble indispensable à la synthèse du VIP. Ainsi, la région préoptique et les noyaux suprachiasmatiques voisins sont responsables des régulations homéostasiques réactives et prédictives (circadiennes) du cycle veille-sommeil.

Etat actuel des connaissances sur la régulation du cycle éveil-sommeil-rêve

Les structures temporelles du cycle éveil-sommeil-rêve

Eveil-sommeil-rêve

Le rythme ultradien du sommeil paradoxal (c'est-à-dire l'intervalle qui sépare le début d'une période de sommeil paradoxal jusqu'au début de la suivante) est relativement fixe chez l'homme (90 minutes). Ce rythme est fonction de la taille de l'animal (10 minutes chez la souris, 24 minutes chez le chat, 60 minutes chez le chimpanzé, 120 minutes chez l'éléphant). Il est donc également fonction du métabolisme et c'est sans doute à ce niveau qu'il faut chercher l'explication du fonctionnement du pace maker. Il semble donc utile de rappeler ici quelques éléments concernant les données énergétiques du cycle veille-sommeil. Celles-ci ont été apportées soit chez l'animal par la méthode du C14 déoxyglucose, soit chez l'homme par la caméra à positons ou l'imagerie à résonance magnétique fonctionnelle. Rappelons d'abord que le cerveau utilise presque essentiellement le glucose pour son énergie. Ce glucose est transporté dans les cellules gliales où il a être transformé en pyruvate, qui constitue l'essentiel donneur d'énergie des cellules nerveuses. Au cours de l'éveil, la consommation de glucose augmente au niveau des aires corticales visuelles ou auditives dans le cas d'attention visuelle ou auditive. Cependant, l'oxygène n'augmente pas de façon parallèle, si bien qu'il existe un découplage entre l'augmentation du glucose et de l'oxygène. Dans ce cas, l'énergie est donc orientée vers la voie anaérobie et il y a production de lactate grâce à une enzyme, la lactate deshydrogenase. Au cours du sommeil, il y a diminution progressive de la consommation de glucose et d'oxygène et surtout les réserves d'énergie vont s'effectuer au niveau de la glie (les astrocytes) sous forme de glycogène.
Le sommeil paradoxal va à son tour consommer les réserves énergétiques, au moins autant que l'éveil. On suppose actuellement que l'utilisation du glucose se fait sans découplage par la voie aérobie du cycle de Krebs (phosphorylation oxydative). Dans ce cas, la pyruvate deshydrogenase jouerait un rôle clé car cette enzyme peut être activée et désactivée périodiquement. Le sommeil paradoxal est en effet supprimé dès qu'il y a diminution de l'apport d'oxygène. On peut ainsi provoquer une anoxie relative en mettant un animal dans un caisson hypobare. La diminution d'oxygène provoque une suppression du sommeil paradoxal et une augmentation "homéostasique" du sommeil à ondes lentes. Bien entendu, si la diminution d'oxygène augmente, il y a augmentation de l'éveil.

Les phénomènes énergétiques du cycle veille-sommeil (ou la glie, et en particulier les astrocytes jouent un rôle important) commencent seulement à être étudiés. Il est intéressant de remarquer que la plupart des neurones des systèmes d'éveil sont riches en lactate deshydrogenase alors que les systèmes responsables du sommeil paradoxal sont particulièrement riches en pyruvate deshydrogenase. Des recherches vont de plus en plus explorer les relations entre neurotransmetteur, la neuroglie et les processus énergétiques au fur et à mesure du développement des nouvelles méthodes d'investigation comme l'imagerie à résonance magnétique fonctionnelle et les capteurs à fibres optiques utilisant des lasers.

Etat actuel des connaissances sur la régulation du cycle éveil-sommeil-rêve

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Les fonctions du sommeil et du rêve

Les régulations homéostasiques prédictives et réactives que nous avons résumées permettent de comprendre que le sommeil des mammifères (celui de l'homme en particulier) dépend de nombreux mécanismes acquis successivement au cours de l'évolution.

L'horloge circadienne endogène semble être apparue au début de la vie, il y a 3 milliards d'années chez des organismes primitifs (Euglena - algues bleues). Il existe une organisation circadienne en libre cours de l'activité et du repos chez les insectes. Il semble également qu'une certaine homéostasie réactive existe chez les scorpions ou les blattes puisque si on empêche leur repos (en les agitant continuellement) la période de repos compensatoire sera plus longue. Il est évident également que les fonctions du sommeil sont adaptées selon la niche écologique des différentes espèces animales. Quatre principales théories, non obligatoirement contradictoires essayent d'expliquer les fonctions du sommeil (en particulier du sommeil orthodoxe ou sommeil à ondes lentes).

1) Théorie éthologique ou instinctive : le sommeil est une réponse innée comportementale adaptative. Lorsqu'un animal a accompli les tâches indispensables à sa survie et à celle de l'espèce, il peut passer son temps dans un endroit caché et perdre conscience de l'environnement.

2) Théorie restauratrice : comme la faim et la soif, la fatigue mentale et physique entraînent une réponse homéostasique destinée à restaurer un équilibre dans le système nerveux central. Alors que l'éveil est ergotrope, le sommeil est trophotrope selon l'expression de Hess. Il reste cependant à démontrer à quel niveau du système nerveux central s'effectue cette restauration. Il est possible que la libération de certains acides aminés excitateurs au cours de l'éveil rend nécessaire le recyclage du glutamate par la GLIE, mais aucune expérience probante n'est venue confirmer cette théorie qui remonte à Aristote et à Shakespeare.

3) Théorie protectrice : elle représente l'autre aspect de la théorie restauratrice. Nous dormons pour protéger l'organisme des inconvénients de l'éveil prolongé (Pieron - Pavlov).

4) Conservation de l'énergie : nous avons vu, dans le chapitre précédent, que le sommeil à ondes lentes s'accompagnait d'une diminution de la consommation de glucose et d'oxygène, aussi bien au niveau cérébral qu'au niveau de l'organisme (métabolisme de base). Ainsi, le sommeil permettrait d'économiser de l'énergie. S'il a existé des animaux perpétuellement éveillés, ils auraient eu besoin de consommer plus de nourriture que ceux qui pouvaient dormir (ou hiberner), et la sélection Darwinienne n'aurait conserver que les dormeurs pour des raisons malthusiennes.
Cette hypothèse se heurte actuellement à des résultats expérimentaux paradoxaux. En effet, les animaux qui hibernent peuvent conserver une température centrale de 1°ree;C ou 2°ree;C pendant plusieurs semaines (au cours desquelles la consommation d'énergie du cerveau et de l'organisme est réduite au minimum).
Périodiquement, l'hibernation est interrompue par des épisodes de "réveil" au cours desquels la température remonte à 38°ree;C : lorsque l'animal a atteint cette température, il s'endort, et l'analyse de fréqence de son sommeil révèle une augmentation importante des ondes lentes (similaire à celle que l'on obtiendrait après une privation de sommeil prolongé dans des conditions de température normale, lors de la régulation homéostasique réactive). Etant donné l'absence totale de dépense d'énergie qui précède l'augmentation du sommeil, on comprend mal comment ce sommeil de récupération aurait une fonction de conservation d'énergie. Il est cependant possible que l'augmentation de la puissance des ondes lentes au cours du sommeil post hibernatoire soit la traduction de phénomènes de régulations au niveau des membranes synaptiques dont les processus de transfert ioniques passent rapidement de 1°C à 37°C.

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Les fonctions du sommeil paradoxal

Apparu tardivement au cours de l'évolution avec l'homéothermie, il semble évident que le sommeil paradoxal effectue d'autres fonctions que celle du sommeil lent (ou parachève celles-ci).
Les théories psychodynamiques considérent le sommeil paradoxal (ou le rêve) selon la théorie freudienne. Le rêve serait l'expression d'une "libération des pulsions instinctives" bloquée normalement par le préconscient en même temps qu'il serait le gardien du sommeil.

Selon d'autres théories, le sommeil paradoxal jouerait un rôle important, soit dans la mémorisation, soit dans l'oubli.
Il pourrait, d'autre part, par un processus de "stimulation endogène" du cerveau, jouer un rôle dans le développement du cortex au cours des premières années de la vie.
Un rôle de programmation a été suggéré dans le sens de la programmation d'un ordinateur pour consolider et vider certaines mémoires.

Enfin, le sommeil paradoxal a été comparé à un processus de programmation itérative destiné à maintenir les bases génétiques de la personnalité (l'hérédité psychologique) (voir détail in JOUVET 1992).

Cette brève revue de la diversité et des contradictions entre les fonctions éventuelles du sommeil et du rêve illustre bien la place à part occupée par l'hypno-onirologie au sein de la physiologie. En effet, pour la grande majorité des physiologistes qui étudient la régulation de la prise alimentaire, l'homéostasie liquidienne de l'organisme, les comportements sexuels, la vision, la motricité ou même la mémoire, le problème de la fonction est implicitement résolu. La fonction devient alors une variable dépendante qui permet d'analyser les mécanismes. Mais le neurophysiologiste qui étudie le sommeil ou le rêve ne possède ni cause ni fonction. Par exemple, les paramètres concernant le sommeil paradoxal (durée, périodicité ultradienne) sont des quantités aussi étranges que des nombres irrationnels. La fréquence respiratoire a une signification pour l'organisme que connait le physiologiste. La durée du rêve n'en a encore aucune. Rarement dans l'histoire de la physiologie, il y aura existé un tel contraste entre l'importance des données acquises concernant les mécanismes du sommeil et des rêves (le comment) et l'ignorance quasi-totale de leurs fonctions (le pourquoi).

Tableau 1

  NA DA H ACH 5HT FRM
1 + + + + + +
2 + + + + + ?
3 + + + + + +
4 + + + ? 0 ?
5 + + + + 0 ?
6 0 0 0 0 0 0
7 0 0 0 0 + 0

Participation des systèmes noradrénergiques (NA - locus coeruleus), dopaminergiques (DA - système nigrostriatal), histaminergiques (H), cholinergiques (ACH - mesopontin), sérotonergique (5HT - raphé dorsalis) et de la formation réticulée mésencéphalique (FRM) aux processus de l'éveil.

  • Augmentation de l'activité unitaire pendant l'éveil.
  • Augmentation de la libération du neurotransmetteur pendant l'éveil.
  • La stimulation du système par des acides aminés excitateurs peut augmenter l'éveil.
  • L'inhibition de la synthèse du neurotransmetteur diminue l'éveil (effet présynaptique).
  • L'injection d'antagonistes de certain récepteurs peut diminuer l'éveil cortical/et ou comportemental.
  • La lésion des corps cellulaires peut diminuer l'éveil de façon durable.
  • La lésion des corps cellulaires peut augmenter l'éveil.

Cette "table de vérités" démontre, d'une part qu'aucun système particulier n'est qualifié pour obéir aux conditions de 1 à 6 et qu'ils agissent donc en réseau, et que d'autre part, le système à 5 HT possède un statut ambigu qu'explique son rôle homéostasique.

Le signe + indique que la condition est réalisée, le signe 0 indique que la condition n'est pas réalisée. Le signe ? indique qu'il n'a pas été possible de tester la condition.

Figure 1

A : éveil

B : sommeil calme ; noter les fuseaux (flèche 1) et les ondes lentes (flèche 2), la diminution du tonus musculaire et l'activité soutenue de la cellule MC2.

C : début de sommeil paradoxal. Noter l'activité EEG rapide de faible amplitude, l'atonie musculaire avec quelques brèves secousses (flèche), les mouvements oculaires et les pointes PGO caractéristiques. Remarquer l'activité de la cellule MC1 (SP-ON) et l'arrêt de MC2 (SP-OFF).

D : fin de sommeil paradoxal (flèche)

E : hypnogramme résumant 24 heures d'enregistrement polygraphique. Le sommeil du chat est polyphasique sans rythme circadien net.

EEG : électroencéphalogramme, dérivation pariéto-occipItal.e droite

EMG : électromyogramme des muscles de la nuque
EOG : électrooculogramme

GL : activité électrique des neurones thalamiques du corps genouillé latéral, relais des voies visuelles

MC1 : potentiels d'action (décharges unitaires) d'un neurone (SP-ON) du noyau magnocellulaire du bulbe rachidien

MC2 : potentiels d'action d'un neurone (SP-OFF) situé à 500mm de MC1

  • Ev : éveil
  • S1 : sommeil léger, stade 1
  • S2 : sommeil profond, stade 2
  • SP : sommeil paradoxal

Figure 2

(A) sommeil lent

(B) sommeil paradoxal

  • EEG : activité électrique fronto-occipItal.e,
  • EMG 1 : électromyogramme des muscles de la nuque,
  • EMG 2 : électromyogramme des muscles ischio-caverneux,
  • EMG 3 : électromyogramme des muscles bulbo-spongieux,
  • P.ic : pression sanguine intracaverneuse, exprimée en millimètres de mercure (mmHg).
  • Echelle de temps, 3 secondes.

Noter les pics de pression suprasystolique, de courte durée (150 ms) conséquence des contractions des muscles de la base du pénis.

D'après M. Schmidt et al, 1994

Figure 3

 

  • Voies 1,2 : dérivations EEG vertex-frontales droite et gauche
  • Voies 3, 4 : dérivations EEG vertex-occipItal.es droite et gauche
  • Voie 5 : électromyogramme des muscles de la houppe du mouton
  • Voies 6, 7 : respiration nasale et abdominale permettant de distinguer les apnées d'origine centrale ou périphérique
  • Voies 8, 9 : mouvements des yeux verticaux et horizontaux
  • Voie 10 : électrocardiogramme (dérivation précordiale)

A : éveil ; entre les 2 flèches, vitesse de défilement plus rapide (15 mm/s). Avant la première flèche, éveil les yeux ouverts avec de nombreux mouvements d'observation (voies 8,9) entraînant des artéfacts sur le dérivations frontales (1,2). Au niveau occipItal., l'EEG est rapide et de faible amplitude. Le tonus des muscles mentionniers est élevé. Après la première flèche, fermeture des paupières qui s'accompagne, sur les dérivations occipItal.es (3, 4), du rythme alpha (6-10 Hz) de grande amplitude.

B : endormissement ou stade 1 du sommeil

C : sommeil léger (stade 2) avec les complexes K caractéristiques (flèches)

D, E : sommeil profond (stade 3 et 4). Noter les ondes lentes de grande amplitude sur toutes les dérivations corticales

F : sommeil paradoxal avec ses composantes, EEG rapide voisin de l'éveil ou du stade 1, atonie musculaire, mouvements des yeux, irrégularité respiratoire. La flèche indique la fin du SP avec des artéfacts de mouvements corporels.

G : hynogrammes résumant 24 heures d'enregistrements polygraphiques. Le premier est celui d'un petit dormeur (6h), le deuxième celui d'un long dormeur (12h) avec 10 heures de sommeil de nuit et 2 heures de sieste. Le sommeil de l'homme, monophasique, présente un rythme circadien très net

Figure 5

A : voie réticulo-hypothalamo-corticale

B : voie réticulo-thalamo-corticale

  1. noyau réticulé bulbaire magnocellulaire
  2. hypothalamus postérieur avec le système à histamine et un autre système encore non identifié.
  3. noyau basal de Meynert (système du télencéphale basal).
  4. noyaux intralaminaires du thalamus qui excitent le cortex.
    • 4a : noyau réticulaire du thalamus (responsable de l'activité lente du sommeil) ce système doit être inhibé au cours de l'éveil.
  5. formation réticulée mésencéphalique. Elle est en fait beaucoup plus étendue que sur ce schéma et la plupart des voies ascendantes venant du bulbe et du pont sont situées à ce niveau -c'est pourquoi une lésion par coagulation provoque le coma par interruption de ces voies qui ne sont plus capables d'exciter les systèmes situés plus rostralement.
  6. complexe du faisceau solitaire recevant les afférences végétatives de l'organisme par l'intermédiaire du nerf vague et des nerfs sino aortiques.
  7. noyau raphé dorsal (5HT).
  8. complexe du locus coeruleus (système noradrénergique).
  9. noyaux mésopontins cholinergiques.

D'après Valatx, 1995

Figure 6

A : La lésion de l'aire préoptique (1) entraîne une insomnie complète de plusieurs semaines, représentée par un hypnogramme de 32 heures.

B : L'injection de muscimol agoniste des récepteurs GABA dans l'hypothalamus postérieur (2) provoque une hypersomnie en sommeil lent et sommeil paradoxal pendant 18 heures.

La région préoptique n'est donc pas un "centre" du sommeil. Elle exercerait une inhibition sur les systèmes de l'éveil

Figure 7

A - Etape sérotonergique - (Inhibition des réseaux de l'éveil)

Le noyau dorsal du raphé (7) est actif pendant l'éveil. Il se projette sur la région préoptique (10) et les noyaux suprachiasmatiques (11). La libération de 5 HT à ce niveau va entraîner, après un certain temps (qui est mesuré par l'horloge circadienne des noyaux suprachiasmatiques), la mise en jeu "homéostasique" d'un système descendant issu de la région préoptique. Ce système (soit directement GABAergique, soit en agissant sur des interneurones GABAergiques) va inhiber les réseaux de l'éveil au niveau de certains carrefours, soit l'hypothalamus postérieur (2), soit la substance grise périaqueducale (8). Il est probable également que le système issu de la région préoptique inhibe le télencéphale basal (noyau de Meynert) (3), la formation réticulée (5) et les systèmes d'éveil situés au niveau du bulbe (1) . Mais ceux-ci peuvent également être contrôlés par 8. (6) Mise en jeu du système du faisceau solitaire dont l'action s'ajoute à celle du raphé

B - Etape thalamocorticale (libération du Pace Maker Thalamique). Pace Maker cortical responsable des ondes lentes (O,5 à 2 hertz) du sommeil. 1. Interneurones GABAergiques - 2. Cellules pyramidales de la couche V

Pace Maker thalamique responsable de l'activité électrique de fuseaux - 4a. Noyau réticulaire qui entoure le thalamus. Il contient des neurones GABAergiques qui vont inhiber les neurones des noyaux intralaminaires (4). Voir détails dans le texte.

D'après Valatx, 1995

Figure 8

La présence de sommeil paradoxal chez l'animal décérébré

(A) par section du tronc cérébral (barre noire) et chez la préparation pontique

(B) indique que les structures nécessaires et suffisantes à la production du sommeil paradoxal sont situées dans le cerveau postérieur (C, zone hachurée)

Figure 9

A - Activation corticale : 1 = Noyaux cholinergiques méso-pontins (Ach) agissant sur les récepteurs nicotiniques des noyaux intralaminaires (4) et les récepteurs muscariniques du noyau réticulaire (4a) du thalamus ; 2 = noyau magnocellulaire bulbaire se projetant sur l'hypothalamus postérieur non histaminergique (3), le thalamus (4) et le noyaux basal de Meynert (5).

B - Activités phasiques : Neurones PGO-ON (1a) projetant sur le thalamus , le noyau genouillé latéral (4b) et le pulvinar (4c), relais vers le cortex occipItal. (5). Voir détails dans le texte.

C - Atonie musculaire : La voie principale est constituée par les neurones glycinergiques (Gly) du noyau magnocellulaire (2) projetant sur les motoneurones spinaux et des nerfs crâniens oculo-moteurs (VI) et facial (VII). Ces neurones reçoivent des afférences (Glutamate) du Locuc Coeruleus a et péri-a (1b). Quelques neurones du Locus Coeruleus (Gly?) se projettent sur les motoneurones spinaux. Le contrôle inhibiteur des réseaux du SP est schématisé en 8 par les neurones de la substance grise périaqueducale et en 9 par ceux de l'hypothalamus postérieur.

D'après Valatx, 1995

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