Sur un cas d'agrypnie (4 mois sans sommeil) au cours d'une maladie de Morvan. Effet favorable du 5-hydroxytryptophane
C. Fischer-Perroudon, J. Mouret et M. Jouvet
Electroencephalography and Clinical Neurophysiology, 1974, 36: 1-18
TABLE DES MATIERES
Sommaire
Histoire de la maladie
Etude polygraphique du sommeil...
L'insomnie
Les hallucinations
I. Le problème diagnostique...
II. Les mécanismes de l'insomnie
III. Les hallucinations
IV. A quoi sert le sommeil?
Résumé
Summary
FIGURES
TABLEAUX
Tableau 1
Tableau 2
Tableau 3
Tableau 4

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Résumé

Nous rapportons l'observation d'un sujet de 27 ans atteint d'une chorée fibrillaire de Morvan. En dehors des fibrillations musculaires, ce sujet présentait une insomnie totale dont l'évolution spontanée et sous traitement au 5-HTP fut suivie presque continuellement par des enregistrements polygraphiques pendant 9 mois.

L'insomnie était remarquablement bien supportée. Au cours de la journée, le sujet était calme et avait un comportement normal. Il n'était pas fatigué. Le soir, il n'avait jamais sommeil. Il n'avait aucun des symptômes (conjonctivite, tremblement fin des extrémités, troubles de l'attention ou de la mémoire....) que l'on rencontre habituellement dans les insomnies provoquées instrumentales. Ses capacités intellectuelles étaient intactes et aucun déficit de la mémoire ne fut constaté. Par contre, ce malade présentait au cours de la nuit 2 types de symptômes pathologiques: (a) Un syndrome hallucinatoire majeur accompagné de vasoconstriction et de douleurs des extrémités (syndrome hallucinatoire distalgique). Ces hallucinations apparaissaient entre 21 et 23 h. Elles duraient 20 min à 1 h et revêtaient tous les modes sensoriels, visuel, auditif, olfactif, somesthésique. Elles étaient accompagnées par un tracé polygraphique similaire au stade I ou à l'éveil. Ces hallucinations furent aggravées par le tryptophane et disparurent lors du retour du sommeil avec les fortes doses de 5-HTP. (b) De brèves hallucinations (quelques secondes) qui apparaissaient pendant les épisodes de stade I ou pendant l'éveil.

Après une amélioration considérable coïncidant avec le traitement au 5-HTP, le malade fit une rechute après interruption du traitement. Cette rechute ne réagit pas à un nouveau traitement au 5-HTP et la mort survint après 11 mois d'évolution. L'examen anatomopathologique ne trouva aucune altération pathognomonique.

Les données de 117 enregistrements polygraphiques n'ont pas permis de mettre en évidence d'anomalies focales ou irritatives. Quelques atypies (blépharospasmes, stade I avec mouvements oculaires rapides, absence de réaction d'arrêt . . . ) ont parfois été notées.

La réalité de l'insomnie a été vérifiée par neuf enregistrements nocturnes; 5 enregistrements consécutifs réalisés avant toute thérapeutique objectivèrent une insomnie presque totale (TST moyen (stade I) de 26 min). Au cours de 4 autres enregistrements effectués lors de l'administration de placebo, le TST moyen était de 40 min (stade I).

Les thérapeutiques usuelles se montrèrent inefficaces. Seule la convulsivothérapie augmenta le TST de manière discrète mais significative sans affecter valablement chacun des paramètres du sommeil.

Le L tryptophane administré per os pendant 5 jours à dose quotidienne moyenne de 12 g n'entraîna aucune amélioration puisque le TST moyen ne dépassa pas 48 min (stade I). Le taux du 5-HIAA urinaire s'éleva cependant dans des proportions normales (14,48 mg/24 h). L'activité hallucinatoire fut très nettement exacerbée.

A faible dose (au dessous de 2 g/24 h) le DL-5-HTP n'influença pas valablement les paramètres du sommeil. Il eut cependant un effet sédatif et sa prescription coïncida avec une amélioration clinique.

A forte dose (plus de 2 g/24 h), le DL-5-HTP eut une action hypnogène certaine. Lorsque le 5-HTP entraîna l'apparition de stades III et IV, cet effet fut constaté 45 min après 1'administration du produit. Le TST augmenta de manière significative et il apparut des taux appréciables de stades III et IV et quelques minutes de sommeil paradoxal (SP) plusieurs nuits de suite (r TST/5-HTP = 0.4482, P < 0,001; r 5-HTP/II I + IV=0.6099, P < 0,001; r 5-HTP/SP=0.6134, P < 0,001; pour n=54). Enfin l'élimination du 5-HIAA urinaire fut directement corrélée avec le 5-HTP (r=0.9156, P < 0,001 pour n=30).

A la phase terminale, après une période d'arrêt thérapeutique, l'organisme du sujet cessa de répondre au DL-5-HTP en même temps que l'état clinique se détériorait inéluctablement et que l'excrétion urinaire de 5-HIAA diminuait.

Les résultats apportés par le 5-HTP permettent de discuter les mécanismes de cette insomnie majeure en fonction de l'hypothèse sérotoninergique du sommeil.

Enfin, la pathogénie des hallucinations et les différences cliniques entre cette insomnie totale (agrypnie) de longue durée et les privations expérimentales de sommeil sont discutées.

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