Sur un cas d'agrypnie (4 mois sans sommeil) au cours d'une maladie de Morvan. Effet favorable du 5-hydroxytryptophane
C. Fischer-Perroudon, J. Mouret et M. Jouvet
Electroencephalography and Clinical Neurophysiology, 1974, 36: 1-18
TABLE DES MATIERES
Sommaire
Histoire de la maladie
Etude polygraphique du sommeil...
L'insomnie
Les hallucinations
I. Le problème diagnostique...
II. Les mécanismes de l'insomnie
III. Les hallucinations
IV. A quoi sert le sommeil?
Résumé
Summary
FIGURES
TABLEAUX
Tableau 1
Tableau 2
Tableau 3
Tableau 4

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IV. Les hallucinations

III - Les hallucinations

1. Le syndrome hallucinatoire distalgique

Dans une première hypothèse, un facteur sanguin serait responsable du syndrome hallucinatoire et de l'acroalgoérythème. Mais si leur apparition était toujours simultanée, les deux manifestations ne cédaient pas en même temps. De plus, on a pu voir à certaines périodes l'apparition du syndrome distalgique sans hallucination. Dans une deuxième hypothèse, un mécanisme central tiendrait sous sa dépendance le syndrome hallucinatoire et le syndrome vasomoteur, ce dernier par une action sur le système sympathique, mais les beta-bloquants se sont révélés inefficaces. La recrudescence des troubles perceptifs sous tryptophane fait également penser à la biosynthèse d'un métabolite "anormal". Dans l'hypothèse sérotoninergique avec atteinte au niveau du transport du tryptophane ou de la tryptophane-hydroxylase, le tryptophane serait métabolisé électivement suivant la voie de la tryptamine, ce qui entraînerait une surproduction de ses dérivés méthylés tels que la diméthyltryptamine dont on connaît le haut pouvoir hallucinogène (Garattini 1968; Anden et al. 1971; Brawley et Duffield 1972).

Les arguments en faveur d'une pathogénie autotoxique du syndrome hallucinatoire distalgique l'emportent sans doute sur une autre interprétation qui consisterait à voir dans ce tableau l'expression d'une forme anormale de SP. La destruction de la partie caudale de la région du locus coeruleus entraîne, en effet, chez le chat, l'apparition d'un tableau "pseudo-hallucinatoire" périodique au cours du sommeil (voir bibliographie Jouvet 1972). De nombreux arguments permettent de penser qu'il s'agit alors de l'expression motrice des phénomènes centraux du SP car le blocage du tonus musculaire a été supprimé par la lésion. Ces épisodes qui surviennent périodiquement toujours après une phase de sommeil lent préalable ont une durée similaire à celle du SP (5 à 6 min). Nous pensons qu'il n'est pas possible d'assimiler le syndrome hallucinatoire distalgique avec le tableau pseudo-hallucinatoire présenté par le chat pour les raisons suivantes: les hallucinations de notre malade n'étaient pas périodiques, mais survenaient une seule fois au début de la nuit. Elles n'étaient jamais précédées de sommeil mais survenaient toujours au cours de l'éveil. Leur durée excédait parfois considérablement celle d'une phase de SP. En outre, aucune lésion ne fut constatée au niveau de la région du tegmentum dorsolatéral pontique au niveau du complexe des noyaux du locus coeruleus. Enfin aucun signe polygraphique de SP ne put jamais être objectivé au cours de ces épisodes. Il est vrai que ce dernier argument n'est pas très solide puisque les artéfacts musculaires pouvaient fort bien avoir masqué les ondes en "dents de scie".

2. Les micro-hallucinations

Deux types d'interprétation sont possibles car ces épisodes survenaient au cours de brefs assoupissements (stade I). Il s'agissait donc d'épisodes de "microsleep" accompagné de brèves hallucinations revêtant tous les modes sensoriels.

On peut supposer qu'il s'agissait soit de l'enclenchement très bref de périodes de SP (trop court pour qu'apparaisse la disparition du tonus musculaire), soit de la survenue de pointes pontogéniculo-occipItal.es (PGO) (avec leur cortège de mouvements oculaires) au cours du stade I. On sait, en effet, qu'une des caractéristiques fondamentales de l'insomnie due à la diminution du turnover de la sérotonine est l'augmentation importante des PGO qui peut survenir soit au cours de l'éveil, soit à l'endormissement chez le chat (Delorme et al. 1966). Certains comportements de type hallucinatoire ont été décrits dans ces conditions chez le chat (Dement et al. 1972). Il n'est donc pas téméraire d'émettre l'hypothèse que les micro-hallucinations pourraient être en relation avec l'augmentation des PGO. En résumé, nous insistons à nouveau sur la pathogénie différente des 2 tableaux hallucinatoires présentés par ce malade. Le premier, inédit, ne semble pas devoir être rapporté directement à la suppression du sommeil ou du rêve, tandis que le second se rapproche de certains épisodes décrits lors des privations expérimentales de sommeil

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