Phylogenèse des états de sommeil
Michel Jouvet
Acta Psychiat. Belg., 94, 256-267 (1994)
TABLE DES MATIERES

Sommaire

Phylogenèse des états de sommeil

Le sommeil chez les oiseaux

Le sommeil chez les mammifères

Sommeil et hibernation

Le sommeil des mammifères marins

Ontogenèse du sommeil et du rêve

Une nuit de sommeil chez un homme de 20 ans

Conclusion


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Le sommeil chez les mammifères

2) Le sommeil chez les mammifères: Un point crucial dans l'évolution est la divergence entre les phylums des thériens, ou mammifères vivipares (marsupiaux et placentaires) et des non-thériens, ou mammiferes ovipares (monotrèmes).

a) Mammiferes ovipares (monotrèmes): chez l'echnidé et l'ornithorynque, il n'a pas été possible de mettre en évidence d'apparition périodique de sommeil paradoxal alors que le sommeil à ondes lentes est évident.

b) Mammiferes vivipares terrestres (marsupiaux et placentaires): Chez les marsupiaux (oppossum et kangourous) et 14 des 18 ordres de mammiferes placentaires étudiés par des techniques polygraphiques, le sommeil s'accompagne de variations électroencéphalographiques évidentes permettant de distinguer 2 stades à l'intérieur du sommeil "orthodoxe" (sommeil léger et profond). Chez les primates (gorilles, chimpanzés), l'organisation du sommeil orthodoxe est presque identique à celle de l'homme et comprend 4 stades.

Chez tous les ordres étudiés, le sommeil paradoxal existe. Il est très facile à reconnaître par ses critères classiques: activation de l'EEG, suppression du tonus musculaire, mouvements rapides des yeux.

Selon les espèces, il existe une grande variété dans l'organisation du sommeil par rapport à l'alternance lumière-obscurité, la durée totale du sommeil et enfin la durée de la période ultradienne du sommeil paradoxal (appelé encore T').

Chez l'homme adulte, aussi bien que chez la plupart des primates (chimpanzés, gorilles et orangs-outans), le sommeil ne comporte en général qu'une période nocturne, il est dit monophasique. Contrastant avec le sommeil monophasique des primates, celui de la plupart des autres mammiferes est polyphasique, c'est-à-dire que la période d'activité est entrecoupée d'épisodes de sommeil. Par exemple, les chats dorment beaucoup dans la journée mais ils passent également une bonne partie de la nuit à dormir. Les rats, qui sont des animaux nocturnes, dorment environ 80% des heures diurnes mais aussi 20% la nuit. On voit rarement les gros herbivores, tels que les vaches, chevaux et moutons, en train de dormir dans la journée.

c) Durée totale du sommeil (Campbell et Tobler, 1984): Il existe des différences importantes entre la durée totale du sommeil selon les espèces, même à l'intérieur d'un même ordre. Ainsi, dans l'ordre des rongeurs, le sommeil total (en % du nycthémère) occupe 50% et 65% chez le rat et le hamster et seulement 32% chez le cobaye.

De nombreuses corrélations ont été cherchées entre la durée du sommeil et certaines caractéristiques. En général, les animaux chasseurs (carnivores) ont un sommeil plus long que les chassés (herbivores).

d) Durée des cycles de sommeil (T') (Zepelin et Rechtschaffen, 1974): Cette variable est en général calculée depuis le début d'un épisode de sommeil paradoxal jusqu'au début du prochain épisode. Il existe une corrélation négative entre la durée du T' et le métabolisme alors que celui-ci est corrélé inversement avec le poids du corps ou du cerveau. Ainsi, le T' d'une souris est de 10 minutes, d'un chat de 24 minutes, d'un chien de 30 minutes, de l'homme de 90 minutes et de l'éléphant de 120 minutes.

e) Rapport cyclique (T'/DSP Jouvet, 1994): Ce rapport s'obtient en divisant la durée de la période T' par la durée moyenne des épisodes de SP. Il est voisin de 4 dans la grande majorité des espèces (sauf le lapin et les macaques). Il existerait ainsi une constante biologique selon laquelle il existerait, à l'intérieur d'un cycle de sommeil, une période "réfractaire" qui serait 3 fois plus longue que la durée du SP.

f) Régulation homéostatique des états de sommeil (Borbely, 1982): L'allongement de l'éveil (par des méthodes instrumentales ou pharmacologiques) entraîne chez tous les mammiferes une augmentation secondaire de la durée ou de l'intensité du sommeil. Il est possible également de ne supprimer que le sommeil paradoxal en gardant les animaux dans des conditions où ils ne peuvent relâcher totalement leur tonus musculaire (par exemple sur un petit support entouré d'eau, un rat ou un chat peut dormir sans présenter de sommeil paradoxal). Après une telle privation "spécifique", il existe une augmentation sélective du sommeil paradoxal alors qu'il n'y a pas de mécanisme compensateur au niveau de l'intensité des ondes lentes.

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